NANTES
L’institution, qui figure parmi les plus réputées en France, a engagé un programme unique de recherche et de résidences autour de l’art minimal, du Land Art et de la notion de frontière à Marfa, au Texas.
Comment obtenir une visibilité internationale, attirer des étudiants du monde entier, se targuer d’offrir un cursus unique, quand on est une école d’art située en région et dotée d’un budget correct (5 millions d’euros), mais pas extensible ? L’École supérieure des beaux-arts de Nantes semble avoir trouvé la solution, en se lançant dans le projet Marfa, du nom d’une petite ville texane, à une heure de la frontière mexicaine, un projet suffisamment séduisant pour susciter l’adhésion de partenaires publics et privés, français et étrangers. Un rêve américain qui devient réalité au moment où la filière beaux-arts nantaise affiche une belle vitalité avec la rénovation de son musée (pour 90 millions d’euros) et le transfert de l’école dans un site spacieux de 10 000 m2 (40 millions d’investissement) sur l’île de Nantes, au sein du quartier de la création regroupant 4 500 étudiants en art, architecture, design, danse, musique, digital et communication…
Sur les pas de Donald Judd
Marfa, au milieu du désert du Chihuahua, est un lieu mythique, investi dès les années 1970 par les artistes minimalistes, en particulier Donald Judd, qui y a créé in situ ses installations volumineuses. Ses invités ou ses émules seront nombreux : Dan Flavin, John Chamberlain, Carl Andre, Ilya Kabakov, Richard Long, Christopher Wool. Marfa est aussi un décor prisé des cinéastes : George Stevens y a tourné Géant avec James Dean, les frères Coen leur mythique long métrage No Country for Old Men et Paul Thomas Anderson There Will Be Blood.
Depuis, le ballet des touristes amateurs d’art s’intensifie d’année en année, surtout autour de la Fondation Chinati créée par Donald Judd, ou de la Judd Foundation, voulue par ses proches après sa mort. « Cela a d’abord été les Européens, surtout du Nord, puis les Américains s’y sont intéressés », se félicite-t-on à la fondation Chinati. « De trente visiteurs il y a trente ans, nous sommes passés à 40 000, sans publicité, juste par le bouche-à-oreille de connaisseurs. Marfa suscite un intérêt dans le monde entier, mais de la part d’un public très averti », affirme-t-on à la Judd Foundation. Certains collectionneurs se posent directement avec leur jet privé sur le petit aérodrome de Marfa, tandis que les hôtels et guest houses se multiplient, tout comme les galeries d’art et les boutiques branchées.
Pierre-Jean Galdin, directeur de l’École supérieure des beaux-arts de Nantes, collaborateur de Jack Lang pendant quinze ans, a succombé au magnétisme de Marfa en 2006. Un an plus tard, alors que des artistes investissent le paysage nantais sur 70 km dans le cadre de l’évènement Estuaire, il lui vient l’idée d’offrir à ses étudiants une opportunité exceptionnelle : s’immerger à la source de l’art minimal, à Marfa, apportant du même coup une visibilité internationale à leur travail.
Dès 2010-2011, des locaux sont loués, des résidences organisées avec l’aide de Jean-Pierre Greff, directeur de la Haute École d’art et de design de Genève, intéressé aussi par ce laboratoire en pleine nature. « Mais, pour être pris au sérieux par les Américains, il fallait acquérir un morceau de désert », souligne Pierre-Jean Galdin. Il invite alors des amateurs d’art nantais (galeristes, architectes, chefs d’entreprise…) à découvrir le site. Séduits, ceux-ci réunissent 117 000 dollars, de quoi acheter 7 hectares début 2016.
De multiples partenaires
L’aventure « Fieldwork Marfa », qui a déjà accueilli une trentaine d’artistes dont les travaux sont liés aux projets de recherche des écoles de Nantes et de Genève ainsi qu’une cinquantaine d’étudiants en master et d’enseignants, va donc monter en puissance. L’université des beaux-arts de Houston a rejoint le programme, et des liens ont été noués avec la communauté artistique texane pour faciliter la production et la diffusion des œuvres.
La terre acquise grâce au mécénat nantais étant constructible, l’objectif est d’édifier un lieu de travail pour les étudiants le temps d’un semestre, mais aussi pour les artistes, curateurs, chercheurs, etc. « Nous voulons créer un village artistique avec des ateliers, des logements… », poursuit Pierre-Jean Galdin. Et il se donne les moyens de ses ambitions : après une première phase durant laquelle les écoles de Nantes et de Genève ont financé pour 320 000 euros de résidences, la phase 2016-2020 prévoit 670 000 euros de production d’œuvres financées par le ministère de la Culture et l’école de Nantes (sur son budget recherche et sur le 1 % artistique lié à sa nouvelle construction sur l’île de Nantes).
Parallèlement, pour bâtir le village artistique estimé à 545 000 euros, Pierre-Jean Galdin mise sur la contribution de philanthropes français, américains et suisses. Il travaille enfin à un symposium international sur le thème du désert et des frontières dont le coût (455 000 euros) serait partiellement couvert par la Fondation Face (French American Cultural Exchange), le Partner University Fund et l’université de Houston. « C’est un financement sécurisé pour trois ans, car ce projet aux multiples dimensions et aux partenaires de choix, est inédit aux États-Unis », souligne Sylvie Christophe, attachée culturelle du consulat de France à Houston. Parmi ces appuis, celui de Rex Koontz, le directeur de la Houston School of Art, qui compte huit cents étudiants, n’est pas le moindre : « Nous souhaitons développer des synergies avec Nantes. La scène artistique de Houston est l’une des plus dynamiques, et notre université un pôle majeur », précise-t-il.
De Stockholm à Séoul, en passant par Dakar
La Stockholm University of the Arts envisage à son tour son ralliement. Cela permettrait à Nantes de récupérer des subventions européennes et de s’associer à un établissement au profil complémentaire. Si l’école dirigée par Pierre-Jean Galdin, considérée comme l’une des cinq meilleures de France, offre des cursus en arts plastiques, photo, vidéo, l’institution suédoise est plutôt focalisée sur les Performings Arts. « Nous sommes enthousiastes et curieux de voir quelle place nous pouvons prendre dans l’aventure », explique Paula Crabtree, sa vice-chancelière. Quant à lui très investi dans le design, l’art numérique et l’hologramme, Ju-Yong Lee, professeur à la K-Arts University de Séoul, accueille déjà des étudiants nantais et réfléchit également aux collaborations possibles autour de Marfa. « Fieldwork Marfa deviendra une plateforme de partage et de travail avec les universités de Genève, Houston, Stockholm et Séoul », pronostique Pierre-Jean Galdin. Déjà signataire de quarante-quatre accords bilatéraux dans le monde, l’École des beaux-arts de Nantes s’imagine déjà tête de réseau de trois campus incluant Séoul et Dakar, pour un horizon planétaire cette fois…
En 2017, l’École nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad), plus connue comme « les Arts Déco », fête ses 250 ans. Un clin d’œil au bicentenaire des Beaux-Arts de Paris, auxquels elle dispute le titre de meilleure école d’art de France. Si de grands artistes en sont effectivement sortis (le dernier en date étant Anri Sala), les Arts déco entretiennent une dimension technique plus marquée, formant des designers dans tous les domaines, du textile à la vidéo, en passant par l’architecture d’intérieur. Après avoir affiché 250 œuvres originales d’étudiants dans le métro de Paris en janvier, puis exposé au Palais de Tokyo une sélection de travaux d’anciens diplômés, l’école prépare un cycle de conférences ouvertes au public en avril (www.ensad.fr).
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Les Beaux-Arts de Nantes réalisent leur rêve américain
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Abonnez-vous dès 1 €Fieldwork Marfa Land, Antelope Hills Roas, Marfa, Texas © Photo : Benoît-Marie Moriceau.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°699 du 1 mars 2017, avec le titre suivant : Les Beaux-Arts de Nantes réalisent leur rêve américain