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Le rapport Dumas-Zalio sur les Beaux-Arts esquisse une voie de passage

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 27 mars 2025 - 1340 mots

Si l’idée d’une fusion pure et simple entre l’École des beaux-arts et celle d’architecture s’éloigne, des points d’achoppement subsistent.

Paris. Laurent Dumas (président du conseil d’administration de l’École des beaux-arts, président-directeur général d’Emerige) et Pierre-Paul Zalio (président de l’établissement public Campus Condercet et membre du conseil d’administration de Paris-Malaquais) ont rendu leur copie sur l’avenir de l’École des beaux-arts de Paris et de l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Malaquais. Chargés par la ministre de la Culture d’une mission de réflexion « pour la réalisation d’un grand campus des arts et de l’architecture », les deux rapporteurs n’abordaient pas cet exercice dans les meilleures conditions. Car le « campus » inter-école dont il est question dans la lettre de Rachida Dati, et qui fusionnerait tout ou partie des deux écoles cohabitant sur le site Bonaparte, n’a jamais reçu l’assentiment des professeurs, et élèves de l’École des beaux-arts.

Le rapport Dumas-Zalio accouche donc en cette fin mars, après plusieurs allers-retours du texte final avec le cabinet de la ministre. S’ils devaient remettre leurs conclusions à l’automne 2024, les rapporteurs avaient bien besoin des quelques mois d’hiver pour faire le tour de cette question bâtimentaire, pédagogique, mais aussi politique. « On s’est interdit de définir des solutions, explique Pierre-Paul Zalio, à l’issue de cet exercice. Nous formulons des préconisations à partir des quelque 65 entretiens que nous avons menés, et nous incitons les deux écoles à travailler ensemble pour réaliser des travaux. »

Obtenir une subvention du ministère de la Culture pour lancer un vaste chantier de restauration (voir encadré) est une urgence dont la gravité a été révélée par un diagnostic de l’agence Chatillon, remis fin 2023. Sur les quais de la rive gauche du 6e arrondissement, le Palais des Études vacille sur ses fondations : le vaste bâtiment des années 1830 est le cœur de l’École des beaux-arts, vitrine pour ses étudiants qui y exposent, écrin pour les expositions et les collections, et première source de revenus grâce aux privatisations.

Du côté de Paris-Malaquais, l’enjeu est différent : il faut trouver de la place pour développer l’école d’architecture, occupante secondaire du site, bénéficiant également d’une annexe de prestige, un superbe bâtiment paquebot de Roger-Henri Expert, rue Jacques-Callot, à une centaine de mètres des Beaux-Arts. Nommé directeur de l’école en 2022, Jean-Baptiste de Froment est alors confronté à une mobilisation des élèves, et aux indispensables mutations que doit opérer l’enseignement en architecture : « transition écologique, outils numériques, et intelligences artificielles », notait-il dans un entretien à Chroniques d’Architectures, quelques mois avant que ce scénario ne devienne une réalité, en ce début d’année.

Les ambitions de Jean-Baptiste de Froment vont rencontrer un soutien de poids avec la nomination de Rachida Dati au ministère de la Culture : son chef de cabinet, Gaëtan Bruel, œuvre en faveur d’une fusion des deux écoles. « On savait que le directeur de Paris-Malaquais était soutenu par le cabinet de la ministre, raconte un professeur des Beaux-Arts, mais à sa grande surprise, il a rencontré une levée de bouclier, y compris parmi les franges plus policées de l’école. »Échaudés par l’intitulé de la lettre de mission adressée au binôme Dumas-Zalio, et son idée de « campus », élèves et professeurs des Beaux-Arts lancent une pétition signée par une bonne partie du milieu artistique à l’automne 2024.

La découverte par les élèves de l’École des beaux-arts d’un document adressé par Paris-Malaquais au Haut Conseil de l’évaluation et de la recherche en enseignement supérieur (HCERES), révélé ensuite dans le quotidien Le Monde, transforme le conflit larvé en une bataille de tranchée. «C’est l’élément qui a définitivement rompu la confiance avec M. de Froment, explique François-René Martin, professeur d’histoire générale de l’art aux Beaux-Arts. C’était un document pour nous inconcevable, dans lequel l’objectif d’une fusion théorique, sur les enseignements techniques, le dessin, est détaillé. Nous n’avons rien contre nos collègues architectes, si l’un d’eux vient nous voir pour proposer un projet nous l’écouterons. Mais fixer une mutualisation dans le marbre, sans nous consulter, c’est inacceptable. »

Une collaboration entre les deux écoles

Avançant en terrain miné, les deux rapporteurs se sont appliqués à contourner l’inflammable enjeu pédagogique pour se concentrer sur les problèmes bâtimentaire et les pistes de « co-activité » : « Nous n’avons pas travaillé sur de nouvelles modalités pédagogiques, mais à partir de celles qui existent : l’apprentissage par atelier aux Beaux-Arts de Paris, par projet à Paris-Malaquais », explique Pierre-Paul Zalio. Le système d’atelier, auquel les professeurs des Beaux-Arts sont particulièrement attachés, n’est pas remis en cause. Les préconisations du rapport relèvent quelques axes qui pourraient donner lieu à une « collaboration » entre les deux écoles : scénographie, matériaux, intelligence artificielle. De manière très concrète, le rapport invite les deux écoles à se doter d’une gestion commune du site et des bâtiments, et à mutualiser certains espaces : lieux d’expositions, de convivialité, espaces d’accueil.

Subsiste tout de même dans le rapport Dumas-Zalio l’idée d’une mutualisation de l’apprentissage des « bases techniques » : une ligne rouge pour le corps enseignant des Beaux-Arts. Mais la préconisation la plus inflammable concerne les collections de l’école : « Il faut accepter l’idée qu’une partie de la collection soit amenée à déménager, estime Pierre-Paul Zalio. Une partie est nécessaire à la pédagogie, une partie mérite d’être exposée, et une partie pourrait être stockée à l’extérieur. Le choix relèvera des équipes pédagogiques, nous ne décidons de rien. »

450 000 œuvres, héritées des académies royales de peinture et de sculpture, des travaux d’anciens élèves, labellisés « Musée de France » en 2017 : à contre-courant des préconisations du rapport, les enseignants souhaitent faire de cette collection singulière un axe de leur projet pédagogique. « Elles ont été sous-exploitées dans notre enseignement, admet François-René Martin, mais depuis quelques années nous les mobilisons. Cela correspond à une volonté commune de la conservation et des professeurs, à laquelle adhèrent les étudiants, de penser une “école-musée”. À mon avis, on peut concilier la recherche d’espace et le maintien des œuvres sur site en faisant du Palais des Études, le foyer d’un enseignement autour des œuvres. »

Directrice de l’École des beaux-arts depuis 2022, Alexia Fabre a payé de son poste son soutien aux professeurs et élèves. Tout en négociant un compromis avec le ministère, elle encourageait les membres de l’établissement à défendre le modèle singulier des Beaux-Arts. Conséquence, elle n’a pas été renouvelée à l’issue de son premier mandat, en février dernier. Martin Bethnod, Éric de Chassey, Yann Fabès, Raphaël Cuir et Emmanuel Guez seraient les cinq candidats (tous des hommes) en lice pour succéder à la première femme dirigeante de l’école.

Les étudiants de l’école, eux, ruminent encore l’éviction d’une directrice qui s’était opposée au projet de fusion : « Il y a une désapprobation générale de ce choix véritablement politique, fait savoir Raphaël Mériech, représentant du syndicat étudiant de l’école, le SBAP de Paris. Parmi les étudiants, beaucoup s’interrogent également sur les liens qu’entretient l’école avec le secteur privé, et la figure de Laurent Dumas est centrale dans cette question… les choix de l’école sont-ils indépendants ? » Lors du dernier Conseil d’administration de l’école, le 14 mars dernier, l’irruption des étudiants leur a permis d’obtenir un rendez-vous avec le cabinet de la ministre de la Culture.

Portés par les nombreuses mobilisations dans la Culture autour des baisses de subventions, les syndicats étudiants veulent peser dans le destin de leur école, et notamment dans le choix du futur directeur… bien que parmi les candidats présents, leur choix soit celui du « moins pire » : « Il y a une déconnexion autour des urgences bâtimentaires, le sujet est à peine évoqué dans les candidatures, remarque Raphaël Mériech. Tout comme dans les préconisations du rapport Dumas-Zalio, hors-sol, qui auront permis au ministère de passer un an sans faire de travaux. »

La situation est pourtant plus que jamais urgente : fin février dernier, une rupture de canalisation déversait deux millions de litres d’eau sous la cour Bonaparte, la rendant depuis inaccessible aux véhicules de service et de secours. « La situation n’est pas prise au sérieux. Lors de notre rendez-vous, le cabinet de la ministre évoquait seulement une gestion au jour le jour de ces problématiques », regrette le responsable du syndicat étudiant.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°652 du 28 mars 2025, avec le titre suivant : Le rapport Dumas-Zalio sur les Beaux-Arts esquisse une voie de passage

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