Droit - Église

Les propositions de Rachida Dati sur les billets d’entrée à l’épreuve du droit

Par Pierre Noual, avocat à la cour · lejournaldesarts.fr

Le 25 octobre 2024 - 649 mots

PARIS

Que dit le droit à propos d’un billet plus cher pour les non Européens dans les musées et une entrée payante à Notre-Dame ?

Notre-Dame de Paris. © tom_suttill97, Pixabay License
Notre-Dame de Paris.

Les débats sur la politique tarifaire des musées, églises et monuments culturels sont récurrents. Ainsi Rachida Dati vient de l’alimenter à nouveau dans les colonnes du Figaro : « Est-il par exemple normal qu’un visiteur français paie son entrée au Louvre le même prix qu’un visiteur brésilien ou chinois ? ». Et d’ajouter « Je souhaite que les visiteurs hors UE paient davantage leur billet d’entrée et que ce supplément aille financer la rénovation du patrimoine national ». Que dit le droit ?

L’article 18 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit qu’est « interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité ». Le juge européen a ainsi estimé le 16 janvier 2003 que l’octroi d’avantages tarifaires par l’Italie à ses nationaux constituait une restriction au droit à la libre prestation de services dont peuvent se prévaloir les touristes étrangers qui visitent les sites archéologiques et culturels italiens et une discrimination selon la nationalité. Mais cet article 18 ne concerne que les ressortissants de l’UE ce que Rachida Dati a bien précisé.

Du côté français le Défenseur des droits a considéré le 13 septembre 2010 que l’application d’une différence tarifaire entre nationaux et étrangers résidant régulièrement en France serait discriminatoire et contraire au principe d’égalité. Dès lors aucune différenciation sur les droits de visite entre Français et Européens ne serait possible, mais, encore une fois elle le serait pour les non Européens. 

En revanche selon la doctrine, les ressortissants de pays tiers à l’Union européenne doivent être traités de façon « équitable », ils doivent se voir reconnaître des droits « comparables » à ceux des citoyens de l’Union européenne, ce qui signifie qu’ils n’ont pas accès à une égalité de traitement mais peuvent bénéficier de régime privilégié caractérisé par l’absence de discrimination notamment en matière sociale. Ne pourrait-il pas en être de même en matière de culture ?

Cette tarification différentiée se heurterait à une difficulté technique particulièrement pénalisante dans les musées nationaux hyperfréquentés : elle obligerait les gardiens à vérifier la nationalité des porteurs de billets au risque de ralentir considérablement un flux déjà très encombré. D’un autre côté, si le billet d’entrée était majoré de 3 € au Louvre par exemple pour les étrangers non ressortissants de l’UE, cela représenterait un gain de 5 M€.

Ainsi mis à part des conséquences sur le confort des visiteurs, un prix différent d’entrée dans les musées nationaux pour non Européens ne pose pas vraiment de problème juridique.

Ce qui n’est pas le cas de l’autre proposition de la ministre qui souhaite que l’entrée de la Cathédrale Notre-Dame de Paris soit payante pour tous car « avec 5 euros seulement par visiteur, on récolterait 75 millions d’euros par an [pour sauver] toutes les églises de Paris et de France ». Ici le droit est encore plus clair puisque l’article 17 de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État est formel : « La visite des édifices et l’exposition des objets mobiliers classés seront publiques : elles ne pourront donner lieu à aucune taxe ni redevance ». De fait la gratuité d’accès aux lieux de culte est le corollaire de la liberté de culte et la proposition illégale. Surtout elle n’est pas sans soulever des difficultés d’application concrètes : comment différencier le visiteur du simple fidèle qui vient se recueillir ?

Plusieurs édifices religieux ont contourné cette prohibition en instaurant un droit de visite du « Trésor » dont les modalités sont prévues par l’article L. 2124-31 du Code général de la propriété des personnes publiques et dont le Conseil d’État a pu préciser les limites par un arrêt « Abbé Chalumey  » du 4 novembre 1994. Il est possible également de faire payer pour monter dans les tours comme à Notre-Dame.

On le voit, le droit s’oppose partiellement aux ambitions ministérielles, mais rien n’interdirait au législateur de créer de nouvelles dispositions législatives. Or le chemin parlementaire est particulièrement encombré ces temps-ci.
 

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