Espagne - Église

Vif débat en Espagne sur la non-gratuité des cathédrales

Par Julie Goy, correspondante en Espagne · Le Journal des Arts

Le 9 juillet 2024 - 834 mots

De nombreux édifices catholiques font payer l’entrée au public alors que l’Église espagnole perçoit 358 millions d’euros chaque année de l’État.

Mosquée-cathédrale de Cordoue. © Emilio Garcia, 2008, CC BY-SA 2.0
Mosquée-cathédrale de Cordoue.
© Emilio Garcia, 2008

Madrid. Le nombre d’églises catholiques dont l’entrée est payante pour les touristes ne cesse d’augmenter en Espagne. En Galice, sur les cinq cathédrales de la Communauté autonome, celle de Saint-Jacques-de-Compostelle est la seule à ne pas demander de billet pour l’accès à sa nef principale, mais pour visiter la cathédrale dans son intégralité, en particulier son célèbre portique de la Gloire, il faut débourser 15 euros. Dans les quatre autres cathédrales (Tui, Ourense, Mondoñedo et Lugo), l’entrée est systématiquement payante. Même constat de l’autre côté du pays, où la Sagrada Família, à Barcelone (Catalogne), qui a attiré près de 5 millions de touristes en 2023, peut être visitée moyennant 26 euros – tours non incluses. Au Sud, en Andalousie, la célèbre mosquée-cathédrale de Cordoue affiche un tarif de 25 euros. In fine, les cathédrales qui ne font pas payer la visite de leur nef sont rares : à la Galicienne de Saint-Jacques-de-Compostelle s’ajoutent l’Almudena de Madrid, les cathédrales de Saint-Sébastien et de Ceuta, ainsi que celle de Tolède, accessible uniquement entre 8 heures et 9 h 30 en semaine.

Des contribuables se sentent lésés

Depuis un accord conclu en 2006 entre l’Église catholique et le gouvernement de José Luis Zapatero (Parti socialiste ouvrier espagnol), les contribuables peuvent cocher une case afin que 0,7 % de leur impôt sur le revenu soit reversé à l’Église. En 2022, 8,7 millions de personnes ont coché cette case, générant un revenu de 358 millions d’euros pour les ecclésiastiques, d’après le rapport annuel sur les activités de la Conférence épiscopale espagnole, responsable des normes liturgiques et des tâches administratives ecclésiastiques. Les contribuables financent donc l’Église, mais ne peuvent accéder librement à ses bâtiments.

Si certaines paroisses ont instauré la gratuité d’entrée dans les églises pour les résidents régionaux, à l’exemple des cathédrales de Murcie, de Terrassa et récemment à l’Alhambra de Grenade, où les Grenadins et résidents de la province peuvent solliciter depuis 2022 un accès gratuit les week-ends – avec réservation en ligne préalable et pièces justificatives à l’appui –, cette tendance reste marginale.

Des contribuables ont manifesté leur mécontentement, à l’instar des membres de la Plataforma por la Gratuidad de las Catedrales de Jaén y Baeza (Jaén) (« plateforme pour la gratuité des cathédrales de Jaén et Baeza ») qui réclament depuis plusieurs années l’accès gratuit aux deux cathédrales pour les résidents. Et, en 2019, lorsque l’entrée à la cathédrale de Lugo a été rendue payante, l’association Lugo Monumental, qui regroupe les commerçants du centre historique de la ville, ont écrit à l’évêque de Lugo pour qu’il reconsidère une décision qui pénalise la ville et les pèlerins du chemin de Compostelle – une demande restée lettre morte.

Le débat sur la gratuité se focalise également sur l’opacité de ces recettes d’entrée. Dans le rapport d’activité 2022 de la Conférence épiscopale, les revenus générés par la location de biens immobiliers, par « l’activité économique » et par les « institutions diocésaines », où sont diluées les recettes des entrées touristiques, sont regroupés dans une seule rubrique. Rien ne permet de savoir combien rapportent vraiment les entrées, chaque église étant libre de fixer ses conditions d’accès et ses prix ; la Conférence épiscopale espagnole affirme ne pas connaître les montants détaillés des recettes de chacun des 70 diocèses du pays.

Cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle. © stephenD, 2018, CC BY-SA 4.0
Cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle.
© stephenD, 2018
Des avantages fiscaux revus

Depuis neuf années consécutives, la Conférence épiscopale annonce des revenus largement supérieurs à ses frais de fonctionnement (qui comprennent l’entretien des monuments), incitant la Cour des comptes espagnole à demander que « le montant des contributions [soit] adapté à la valeur des besoins ». En 2022, la Conférence épiscopale a enregistré plus de 22 millions d’euros de bénéfices. L’État continue néanmoins de verser chaque année plusieurs millions d’euros pour l’entretien du patrimoine historique espagnol, notamment via le programme du 1,5 % culturel (126 M€ versés à l’Église en 2022).

À la différence de la France, où les monuments historiques religieux appartiennent à l’État, l’Église espagnole est propriétaire de ses édifices en vertu de la loi des « immatriculations » de 1946. Cette loi lui a permis d’enregistrer plus de 30 000 terrains et monuments à son nom, en raison de leur utilisation plus ou moins directe pour le culte, parmi lesquels figurent plus de 3 000 édifices déclarés biens d’intérêt culturel.

Cependant, les avantages fiscaux de l’Église fixés par un accord de 1979 conclu avec l’État se sont progressivement réduits avec le rétablissement du paiement de la TVA sur les acquisitions de biens immobiliers et les achats d’objets destinés au culte en 2007 et, depuis 2023, l’Église paie la même taxe que les entités à but non lucratif pour les constructions nécessitant une licence municipale. Elle reste néanmoins exemptée du paiement de l’impôt sur les biens immeubles et de l’impôt sur les successions, les dons et les transferts patrimoniaux, ainsi que de l’impôt sur les sociétés, et demeure le seul organisme privé à bénéficier du système de « croix » lors du paiement de l’impôt sur le revenu.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°637 du 5 juillet 2024, avec le titre suivant : Vif débat en Espagne sur la non-gratuité des cathédrales

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque