PARIS
Alors que prévaut chez les défenseurs du patrimoine un sentiment d’abandon des églises de la capitale, près d’une trentaine de chantiers de restauration ont été lancés depuis 2015 dans le cadre du « plan pour le patrimoine cultuel » de la municipalité actuelle.
« Comme tout un chacun, lorsque je me promène place de la Concorde et que je vois l’église de la Madeleine entourée de filets pour ne pas tomber sur la tête des gens, je me dis qu’il y a un problème » : en amoureux des arts et du patrimoine, Olivier de Rohan-Chabot s’inquiète. En mai 2019, le président de la Fondation pour la sauvegarde de l’art français avait eu dans la presse cette formule pour décrire l’état des églises parisiennes : « Naples en 1947 ». Dans son bureau parisien, où l’entourent peintures et antiquités, le septuagénaire à l’œil vif et au franc-parler réitère le constat : « Il suffit de lever le nez pour s’en rendre compte, les églises parisiennes ne sont pas en bon état. » Mais, tempère-t-il, « depuis quatre ou cinq ans, ça bouge… ». Ce constat, la plupart des acteurs du patrimoine parisien le partagent, balançant entre inquiétude et optimisme.
Très médiatisée au printemps dernier, dans l’émotion de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame, l’inquiétude autour des églises parisiennes est alimentée par quelques signaux d’alerte, des accidents qui auraient pu virer au drame. En mars 2014, c’est un morceau de la croix de Saint-Louis-en-l’Île (4e arr.) qui s’écrase à quelques centimètres du prêtre de la paroisse. En novembre 2013, une statue d’évangéliste se décroche du massif d’entrée de Saint-Augustin (8e arr.). Au-delà des cas spectaculaires, c’est un sentiment d’abandon qui saisit les défenseurs du patrimoine lorsqu’ils voient, entres autres exemples, la pluie tomber dans la nef de Saint-Philippe-du-Roule (8e arr.) ou celle de Saint-Augustin. Ces négligences sont d’autant plus visibles qu’elles touchent les églises les plus connues de la capitale : la Madeleine (8e arr.), en souffrance depuis que la ligne 14 du métro a été percée sous ses fondations, ou bien Saint-Sulpice (6e arr.), dont les fresques intérieures ne sont quasiment plus apparentes.
Depuis la loi de 1905 proclamant la séparation des Églises et de l’État, ce sont les municipalités qui gèrent les édifices religieux, les cathédrales relevant, elles, de la responsabilité de l’État. La Mairie de Paris est ainsi à la tête d’un patrimoine de 96 édifices cultuels, dont elle est garante de l’entretien. Si certains sont tentés d’imputer la faute à la municipalité actuelle, l’état préoccupant des églises parisiennes résulte de plusieurs décennies de passivité. Pour Maxime Cumunel, de l’Observatoire du patrimoine religieux (OPR), « l’entretien des églises depuis quarante ans est très insuffisant, Hidalgo ou pas Hidalgo ». « Les Mairies de droite n’ont pas forcément fait davantage que celles de gauche », appuie Olivier de Rohan. Selon les chiffres de l’OPR, 20 millions d’euros ont été investis dans les églises sous la mandature de Jean Tiberi [1995-2001], puis 90 millions lors du premier mandat [2001-2008] de Bertrand Delanoë, et 65 lors du second [2008-2014]. Le « plan pour le patrimoine cultuel » d’Anne Hidalgo, lancé en 2015 et financé à hauteur de 80 millions d’euros, est dans la continuité de ceux de la précédente mandature.
Avec 28 chantiers lancés en l’espace de six ans, ce plan « églises » ambitieux aurait pu rassurer les amoureux du patrimoine. Mais, pour Maxime Cumunel, on est encore loin du compte, et ce budget mériterait d’être triplé afin d’atteindre un investissement de 500 millions d’euros sur une quinzaine d’années. « C’est évidemment un chiffre à la louche, reconnaît-il. L’important est d’avoir une politique ambitieuse sur le long terme, de viser une restauration complète du patrimoine à l’horizon 2040-2050. » Même s’il admet une forme d’avancée, et une bonne volonté certaine de la part de la municipalité actuelle, le délégué général de l’OPR dénonce une « technique du lifting » : un coup de neuf extérieur qui masque l’état intérieur des églises et les problèmes d’entretien courants (chauffage, électricité…).
Pourtant, à examiner les « investissements localisés » dans les documents budgétaires parisiens, les nombreux travaux importants de mise en sécurité, de plomberie, ou sur les systèmes de chauffages vieillissants ne concernent pas moins de 66 édifices. « C’est l’exploit du quotidien, résume Pierre-Henry Colombier, sous-directeur du patrimoine à la Mairie de Paris. En tout ce sont mille petites opérations qui sont réalisées chaque année par nos équipes sur le patrimoine religieux. »
Aussi, il est difficile d’accuser la Ville de donner dans le cosmétique lorsque celle-ci investit 2 millions d’euros dans la restauration des façades sud de l’église Saint-Merry (4e arr.), visibles et accessibles uniquement depuis une cour privée. Inaugurés fin décembre, ces travaux auront été les tout premiers à avoir été lancés sous la mandature d’Anne Hidalgo ; il aura donc fallu six années pour restaurer une partie de cet exemple de gothique flamboyant. « Dans le domaine du patrimoine, on ne parle pas de rapidité », rappelle Karen Taïeb, adjointe à la Mairie de Paris chargée du patrimoine. Du côté de l’OPR, on garde à l’esprit cette temporalité longue propre aux travaux patrimoniaux, et « un candidat à la Mairie qui dirait “en cinq ans je vais tout régler” ne serait pas crédible ». Chaque réhabilitation fait l’objet d’études préalables dont la durée s’allonge souvent au fil des découvertes. Les efforts entrepris ne sont alors pas immédiatement visibles, et il faut attendre la fin de la mandature pour voir les premiers chantiers d’envergure achevés. Parmi les plus marquants : la restauration du massif d’entrée de Saint-Augustin, qui a retrouvé une blancheur éclatante ; la restructuration complète de l’église Saint-Germain de Charonne (20e arr.) ; ou la restauration des façades sud de Saint-Eustache (20e arr.). Face à ces réussites, certains édifices en déshérence n’ont pas fait l’objet de projet de réhabilitation durant la mandature, notamment Saint-Séverin (5e arr.), Sainte-Clotilde (7e arr.) ou Saint-Germain-l’Auxerrois (1er arr.). Et, déplore Maxime Cumunel, « il pleut toujours dans la nef de Saint-Augustin ».
Les chantiers ont été planifiés en début de mandat, dans le plan d’investissement de la mandature, et classés par ordre de priorité en fonction de la salubrité des édifices. Gabrielle de la Boulaye, responsable du mécénat à la Fondation Avenir du patrimoine, souligne que la municipalité actuelle a particulièrement concentré ses efforts sur la réfection des toitures, comme à Saint-Merry, Saint-Louis-en-l’Île, ou Saint-Philippe-du-Roule où 8 millions d’euros ont été investis dans d’urgents travaux de couverture.
Mais le plan de charge de la Mairie, déjà susceptible d’être modifié selon les urgences, a également dû composer avec les priorités des mécènes. Innovation de la mandature, le budget de rénovation s’est en effet enrichi de nouvelles sources de revenus : publicité, avec le bâchage des monuments en restauration, et mécénat. Le mécénat de la Fondation Avenir du patrimoine, ou d’autres fondations dévolues à un édifice en particulier, représente une manne. La restauration complète des fresques de Saint-Germain-des-Prés (6e arr.) a ainsi été financée à hauteur de 4 millions d’euros par le fonds de dotation de l’église.
Olivier de Rohan connaît bien le problème, lui qui coordonne des chantiers de restauration d’église dans toute la France avec la Fondation pour la sauvegarde de l’art français. Il l’assure, « le plus dur n’est pas de trouver de l’argent, mais de le faire accepter par les mairies car l’administration est dérangée dans ses priorités ». À la sous-direction du patrimoine de Paris, certains ont mal vécu cette arrivée massive de fonds pour Saint-Germain-des-Prés, alors que d’autres chantiers présentaient un caractère plus urgent : l’église germanopratine a mobilisé des forces vives qui auraient pu être utilisées ailleurs. Pierre-Henry Colombier l’admet : « C’est un vrai sujet, et l’administration parisienne est beaucoup plus professionnelle qu’il y a six ans, lorsqu’on a ouvert les financements par le mécénat. »
Si la sous-direction du patrimoine établit ses priorités selon des critères de salubrité, les mécènes, eux, donnent avec leur cœur, et acceptent rarement que leurs dons soient affectés à un autre édifice que celui qu’ils souhaitent aider. Pour la Ville, l’enjeu consistera à orienter les mécènes vers des opérations précises afin de faire coïncider leur générosité avec son plan de charge.
L’autre enjeu majeur devrait concerner la restauration du patrimoine artistique des églises parisiennes.« Les églises de Paris sont le plus grand musée de peinture du XIXe siècle, résume Olivier de Rohan, mais si je vais à Saint-Sulpice par exemple, les fresques des bas-côtés sont en ruine. » Il en va de même dans nombre d’autres églises (Saint-Séverin, Saint-Germain-l’Auxerrois, Saint-Sulpice), où des fresques sont ravagées par les fuites et l’humidité des murs. « Toutes ces fresques sont dans notre esprit, assure l’adjointe chargée du patrimoine. Nous avons bien le caractère urgent de ces situations en tête. » Mais les travaux ne peuvent être lancés dans n’importe quelles conditions, car il faut s’assurer de la pérennité des restaurations : « Il faut faire les choses dans l’ordre, explique Karen Taïeb, et assainir les murs avant de procéder à une restauration. »
En mauvais état, ce patrimoine pictural est également largement ignoré des touristes comme des Parisiens. Pour preuve, Olivier de Rohan évoque un Delacroix abrité par l’église Saint-Paul-Saint-Louis (4e arr.), récemment restauré et exposé : « Les gens se sont déplacés pour le voir au Met [Metropolitan Museum of Art] de New York et au Petit Palais, mais ça ne leur viendra jamais à l’esprit de traverser la rue pour l’admirer dans son église. » Les fresques d’une chapelle de Saint-Sulpice, restaurées dans le cadre du plan « églises », sont d’ailleurs l’un des chefs-d’œuvre de Delacroix, et restent largement méconnues… Pour combattre cette indifférence, l’adjointe ne dispose pour toute arme que d’un simple dépliant, qui présente les peintures incontournables de ce « musée gratuit » : des toiles du Guerchin, de Zurbarán, Charles Dorigny ou Ary Scheffer. « Il faut alerter la population pour qu’elle ait vraiment envie de beauté ! », s’enflamme Olivier de Rohan… Pour lui, pas de doute : le salut des églises parisiennes passe par les Parisiens.
Budget. La Mairie de Paris a engagé durant la première mandature d’Anne Hidalgo plus de 130 millions d’euros engagés (mécénat, recettes publicitaires et aide de l’État inclus), mais a-t-elle beaucoup dépensé ? Les crédits effectivement dépensés devraient, selon l’adjointe chargée du patrimoine, Karen Taïeb, atteindre le montant de 80 millions d’euros annoncé en début de mandat. Un chiffre impossible à vérifier tant que les documents budgétaires ne sont pas publiés. Mais on peut avoir une idée du rythme des dépenses en se référant à la fin de l’exercice 2018. Au 1er janvier 2019, la Ville avait dépensé 54 millions d’euros sur les 130 millions de crédits affectés aux projets de restauration du patrimoine culturel. Restent donc plus de 25 millions à dépenser en un an et demi, soit selon un rythme beaucoup plus élevé que sur les cinq premières années de la mandature. La dépense n’apparaît cependant pas improbable si l’on tient compte du fait que, en cette fin de mandat, de nombreuses études préalables laissent place aux restaurations à proprement parler, plus gourmandes en crédits.
Sindbad Hammache
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Églises parisiennes : un patrimoine en rémission
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°539 du 14 février 2020, avec le titre suivant : Églises parisiennes : un patrimoine en rémission