Disséminés dans tout l’Hexagone depuis les années 1990, les centres d’interprétation d’architecture et du patrimoine restent mal identifiés par le public et revêtent des formes très différentes.
Les CIAP ? Qu’est-ce donc? Derrière ce sigle énigmatique se cache l’appellation, toute aussi nébuleuse, de centre d’interprétation d’architecture et du patrimoine. Il s’agit là d’une catégorie typiquement française de centre d’interprétation (ces lieux imaginés outre-Atlantique dans les années 1950) qui, à la différence d’un musée, n’abritent pas de collections mais expliquent un lieu, un personnage… à l’aide de dispositifs de médiation (panneaux, maquettes, bornes interactives, films…). Dédiés à la présentation de l’architecture et du patrimoine d’une zone géographique, les CIAP sont censés être implantés sur les territoires, communes ou regroupements de communes ayant reçu le célèbre label Villes et pays d’art et d’histoire (VPAH) décerné depuis 1985 par le ministère de la Culture. La mise en place d’un CIAP est en effet un objectif de la convention qui unit une collectivité territoriale (qui s’est engagée à valoriser et à faire connaître son patrimoine) au ministère (qui doit en retour soutenir scientifiquement et financièrement la collectivité labellisée).
Les premiers CIAP voient le jour sur le sol français au cours des années 1990. Mais ils sont alors si peu nombreux que le ministère publie en 2004 un mode d’emploi (actualisé en 2007) (1) pour orienter élus et animateurs du patrimoine (recrutés sur concours pour prendre en charge les missions pédagogiques que confère le label) dans la création d’un CIAP. « Faire découvrir et comprendre l’architecture et le patrimoine du territoire concerné en présentant les étapes successives de sa constitution » et « sensibiliser la population aux enjeux de l’évolution architecturale, urbaine et paysagère de la ville ou du pays » : tels sont les objectifs du CIAP déroulés sur 80 pages. Sur le papier, les CIAP doivent prendre la forme d’un lieu de médiation, comprenant une présentation permanente, mais aussi des espaces dédiés à des expositions temporaires, à la documentation, à des conférences et à des ateliers pédagogiques.
Une multitude de modèles
Lorsque l’on observe les CIAP disséminés sur le territoire français, la diversité de leurs structures est frappante. Dans leur immense majorité, ils sont implantés dans un bâtiment existant et n’ont pas fait l’objet d’une construction neuve. Ouvert en 2010 au sein d’une ancienne usine de textiles réhabilitée renommée « Fabrique des savoirs », le CIAP de la petite ville industrielle d’Elbeuf-sur-Seine (Seine-Maritime) n’est qu’une partie d’un vaste regroupement d’équipements culturels (musée d’histoire naturelle et archives) avec qui il partage une salle d’expositions temporaires et un centre de documentation. La présentation permanente déroule l’évolution de la ville via des films, maquettes, ordinateurs mais surtout de nombreux textes à découvrir sur les murs et dans des tiroirs « pour approfondir ». À Soissons (Picardie), dans le CIAP créé en 2007 au sein d’un vieux logis jouxtant une abbaye, on est resté plus modeste pour narrer l’histoire de la cité du vase : pas de centre de documentation, ni d’espace d’exposition, mais une petite salle avec en son centre une simple table recouverte de textes et d’une maquette. Quatre guides conférenciers se relaient cependant à l’accueil pour orienter les visiteurs et compléter le discours. Dans le petit village médiéval de Sainte-Suzanne (Mayenne), aux vieilles pierres prisées par les touristes, le CIAP est une superstructure déployée à tous les étages d’un château du XVIIe siècle restauré en 2008. Tout le pays d’art et d’histoire de Coëvrons-Mayenne étant labellisé au titre des VPAH, le CIAP est une vitrine de l’ensemble du patrimoine du département... Mais aussi de sa faune et de sa flore. Il dépasse ainsi largement les objectifs d’un CIAP, un pied dans un centre d’interprétation de la nature (à noter des dispositifs sonores permettant d’écouter le chant des oiseaux) et l’autre dans le musée (il abrite de nombreux objets archéologiques). Il présente la particularité de faire payer son entrée, ce qui ne va pas dans le sens des visées du CIAP, outil de citoyenneté censé être accessible à tous. « Vu l’argent déboursé par le conseil général pour faire restaurer le château, il eut été difficile de lui faire entendre que l’entrée d’un CIAP se doit d’être gratuite », explique Pascal Trégan, animateur du patrimoine et concepteur du lieu.
Une image à construire
Selon les ambitions, les espaces et les moyens disponibles d’une collectivité territoriale, les CIAP sont ainsi très différents les uns des autres. Cela explique-t-il qu’ils soient si mal identifiés par le public ? Un rapport de 2012 sur les CIAP, diligenté par le ministère de la Culture, note qu’une « extrême minorité du public local interrogé sait ce que le sigle CIAP signifie » et qu’une extrême majorité « méconnaît son rôle culturel ». Pas simple de comprendre les CIAP quand il est déjà difficile de les localiser. Pour obtenir leur liste en France (dont il n’existe nulle trace sur le site du ministère qui coordonne le réseau), il faut demander au bureau de la promotion de l’architecture et des réseaux du ministère un document qu’il tient à jour pour un usage interne. Parfois, même les collectivités ne donnent pas les informations minimales sur ces équipements qu’elles ont pourtant conçus. Il est par exemple impossible d’identifier un CIAP à Poitiers (Vienne) en tapant ces deux occurrences sur Google. Un appel téléphonique à l’Office du tourisme de la ville ne donne pas davantage de détails, alors que le CIAP est installé entre ses murs depuis 2000 et plutôt de belle facture (textes et films pédagogiques). C’est que souvent les collectivités ont préféré ne pas s’embarrasser du nom de centre d’interprétation d’architecture et du patrimoine. D’abord car il ne faisait pas référence lors de la naissance de ce genre d’équipements de médiation, qu’on appelait alors plutôt « salles du patrimoine », et ensuite car il a souvent été jugé trop long, conceptuel et peu évocateur. Ainsi le CIAP de Trévoux (Rhône-Alpes) a été inauguré en 2014 sous le nom de « Carré Patrimoines ».
Mal identifiées, ces structures pourraient avoir des difficultés à rencontrer l’adhésion du public. « Les retours sont très positifs, surtout de la part du corps enseignant qui trouve là un nouvel outil gratuit, complémentaire aux musées », explique David Jurie, animateur du patrimoine ayant conçu le très interactif CIAP de Bordeaux (Gironde). Élise Laurenceau, animatrice du patrimoine à Elbeuf-sur-Seine confirme : « notre médiatrice est saturée par les groupes scolaires » Pour les autres catégories de visiteurs, c’est difficile à dire. Souvent, les CIAP constituent le lieu de rendez-vous et d’arrivée des visites guidées de la ville, ce qui en fait un lieu de passage obligé. Obligé et apprécié ? En 2011, une étude du ministère de la Culture basée sur des questionnaires a permis de mieux connaître les publics fréquentant les Villes et pays d’art et d’histoire (2). Si elle a montré que les visites guidées organisées dans le cadre du label remportent un fort taux de satisfaction, la réception des CIAP reste assez vague. Les questionnaires recueillis au sein de ces espaces étaient en effet trop peu nombreux pour avoir une valeur statistique.
(1) Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine mode d’emploi, 2007, ministère de la Culture
(2) « À l’écoute des visiteurs » dans les Villes et Pays d’art et d’histoire, résultats de l’enquête 2011, rapport de synthèse, Département de la politique des publics, Direction générale des patrimoines.
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Les centres d’interprétation en quête de notoriété
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°446 du 27 novembre 2015, avec le titre suivant : Les centres d’interprétation en quête de notoriété