PARIS
Un cortège de nymphes, de Vénus, de satyres et d’animaux joue à cache-cache avec les visiteurs du jardin du Muséum national d’histoire naturelle. Exposées aux intempéries, ces statues font l’objet d’une campagne de crowdfunding pour leur restauration.
C’est l’un des musées les plus secrets de Paris. Une précieuse collection largement méconnue tapie dans un écrin de verdure, qui constitue lui-même un exceptionnel conservatoire botanique de 26 hectares en plein cœur de la capitale. Les nombreux arpenteurs et amoureux du Jardin des plantes ont en effet rarement conscience de déambuler dans un véritable musée en plein air. Un bréviaire de la sculpture des XIXe et XXe siècles, pour l’essentiel réalisé sous la IIIe République par des artistes primés au Salon. Le site est littéralement peuplé de personnages en bronze et en pierre, une trentaine d’œuvres s’offrant ainsi à la contemplation du visiteur curieux, qui prend le temps de les débusquer dans les allées et au gré des méandres du labyrinthe de la ménagerie.
Sans surprise, le site renferme des sculptures caractéristiques de la tradition décorative de l’art des jardins. Un cortège de nymphes, de Vénus, de satyres égaie donc les lieux. Une chaste Nymphe à la cruche orne ainsi le jardin des iris, tandis qu’une Vénus et un aguicheur Amour captif trônent dans la roseraie. Cet ensemble compte par ailleurs une œuvre au sujet nettement plus original : une Nymphe tourmentant un dauphin. Ce grand bronze de Joseph Félon, destiné à décorer le bassin des otaries, propose une iconographie rare et fantaisiste. La divinité marine nue à califourchon sur l’animal lui maintient d’une main la gueule ouverte lui faisant cracher de l’eau, alors que de l’autre main elle fouette vigoureusement la créature.
Outre ce corpus décoratif relativement classique dans l’enceinte d’un jardin de prestige, le site abrite d’autres œuvres moins galvaudées qui racontent l’histoire particulière du lieu et son rapport intime avec les artistes. Fondé sous Louis XIII, le jardin royal des plantes médicinales devient le Jardin des plantes après la Révolution française, lors de la création du Muséum national d’histoire naturelle. L’institution s’impose rapidement comme une référence pour la connaissance et un établissement qui, dès l’origine, associe l’art et les artistes à ses missions. À commencer par les peintres et dessinateurs qui intègrent les expéditions pour documenter les découvertes. Pour inventorier et connaître le monde végétal et animal, et conserver la trace des espèces, il était alors indispensable de pouvoir représenter fidèlement la nature. Les artistes ont donc toujours occupé une place primordiale dans ce temple du savoir. Les élèves du Muséum ont notamment pu se former au dessin animalier auprès des célèbres sculpteurs Antoine-Louis Barye puis Emmanuel Frémiet.
Les artistes ont par ailleurs abondamment fréquenté le jardin et sa ménagerie en quête de modèles. Pour témoigner de son attachement au site, Eugenie Shonnard, sculptrice américaine élève de Rodin et de Bourdelle, offre ainsi au Muséum un beau Marabout en granit, une petite pépite Art déco lovée dans la végétation. Mais ce don est une exception dans la constitution de ce patrimoine exceptionnel. La quasi-totalité des statues résulte en effet d’une intense politique de commande de l’établissement ou directement de l’État. Cette politique débute dès l’époque néoclassique, comme le rappelle la belle Vénus Genitrix, doyenne des sculptures exécutée en 1818, mais s’intensifie très clairement à la fin du XIXe siècle alors que la France tout entière succombe à une incroyable statuomanie.
En lieu et place des saints et des souverains, la IIIe République exalte ses grands hommes. Les brillants scientifiques intimement liés à l’histoire du Muséum sont logiquement portés aux nues dans le Jardin des plantes. Le comte de Buffon, le mythique directeur de l’établissement, mais aussi Lamarck, le premier théoricien de l’évolution, sans oublier Bernardin de Saint-Pierre, qui fut le dernier intendant du jardin royal, sont placés sur un piédestal et glorifiés dans le bronze. Siècle de la science et de l’histoire, le XIXe se passionne aussi pour les grandes découvertes, notamment en matière de sciences naturelles et d’anthropologie. Ce tropisme inspire aux artistes quelques-unes des plus belles statues du jardin. Le Premier Artiste de Paul Richer et L’Homme de l’âge de pierre d’Emmanuel Frémiet témoignent par exemple de l’image que l’on se faisait alors de la préhistoire. Tandis que le Charmeur de serpents et le Chasseur de crocodiles de Charles-Arthur Bourgeois rappellent le goût de la société de l’époque pour les scènes surfant sur le fantasme du bon sauvage.
Enfin, compte tenu de la nature des collections du Muséum et des spécimens vivant dans la ménagerie, la sculpture animalière ne pouvait que tenir une place prépondérante dans le jardin. On dénombre, entre autres, quatre lions, un ours, deux oiseaux et même un poisson. Ce dernier, réalisé par François-Xavier Lalanne à l’occasion de la réouverture de la Grande Galerie de l’évolution en 1994, après un chantier historique, est d’ailleurs l’œuvre la plus récente de la collection. Autre temps, autre mœurs, elle est le fruit du 1 % artistique.
Le "crowdfunding"à la rescousse des statues
Qui dit musée en plein air, dit œuvres exposées à des conditions météorologiques et environnementales défavorables à leur bonne conservation. Malgré des campagnes ponctuelles de restauration, les sculptures du Jardin des plantes se sont donc considérablement altérées. Les œuvres en pierre et en marbre sont par exemple colonisées par les lichens et les mousses, mais aussi menacées par la dégradation de leurs joints ainsi que par l’accumulation de végétaux, sans oublier les actes de vandalisme. Les bronzes, eux, s’oxydent et perdent irrémédiablement leur patine. Pour contrer ces désordres évolutifs qui nuisent à la lisibilité des œuvres et conduisent à la disparition progressive des surfaces originales, le Muséum national d’histoire naturelle lance une grande campagne de financement participatif avec la Fondation du patrimoine. L’objectif est de récolter 200 000 euros d’ici à 2021 afin de restaurer vingt-quatre statues du jardin. Les mécènes peuvent soit adopter la statue de leur choix pour la somme forfaitaire de 10 000 euros, soit participer à hauteur de leurs moyens au pot commun.
Charles Dupaty, "Vénus Genitrix"
Doyenne des lieux, la Vénus Genitrix a été réalisée en 1818. Cette statue représentant un thème mythologique, prétexte à un nu sensuel, est emblématique de l’art du Salon et de la statuaire de jardin du XIXe siècle. Cet élégant marbre aujourd’hui placé dans la roseraie souffre de divers désordres liés à son exposition en plein air ; sa pierre est notamment encrassée, ce qui rend l’œuvre peu lisible. Par ailleurs, la statue a été victime d’un acte de vandalisme et doit être débarrassée d’un graffiti.
Jean-Marius Carlus,"Buffon assis dans son fauteuil"
Le bronze monumental en l’honneur de Buffon est caractéristique de la vague de statuomanie qui anima la IIIe République. En 1904, Carlus, sculpteur méridional élève de Falguière, présente au Salon un plâtre rendant hommage au naturaliste dans son fauteuil de directeur du Muséum. Une version en bronze est ensuite commandée par l’État et inaugurée en 1909 lors de grandes fêtes glorifiant Buffon et Lamarck, à l’occasion de l’installation de leurs effigies aux deux extrémités de la perspective du jardin.
Henri-Alfred Jacquemart, "Lion de ménagerie bâillant, un chien entre ses pattes"
Le roi de la jungle est l’un des thèmes de prédilection de la sculpture animalière du XIXe siècle. Parmi les innombrables œuvres déclinant ce sujet, le bronze de Jacquemart se distingue par une iconographie extrêmement originale, car il s’agit d’un portrait de Woira, le légendaire lion de la ménagerie. Un fauve resté dans les annales, car il avait noué une étroite amitié avec un chien. Le sculpteur a su saisir cette complicité inattendue dans une scène à la fois pleine de tendresse et de majesté.
Emmanuel Frémiet, "Dénicheur d’oursons"
Figure majeure de l’art animalier, Frémiet s’est spécialisé dans les compositions spectaculaires illustrant la lutte entre l’homme et l’animal. Il représente ici une scène d’une rare violence dont l’issue semble incertaine. L’œuvre fit sensation, tant pour son sujet que par le traitement naturaliste de la fourrure et du pelage de cet ours impressionnant. L’artiste, qui fut titulaire de la chaire de maître de dessins d’animaux au Muséum, est très bien représenté dans les collections de l’institution.
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Le musée (secret) du Jardin des plantes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°729 du 1 décembre 2019, avec le titre suivant : Le musée (secret) du Jardin des plantes