Jardins intimes, musées en plein air et parcs de sculpture suscitent de plus en plus l’engouement du public. Du romantique Musée Rodin au très contemporain Domaine de Kerguéhennec, en passant par la toujours moderne Fondation Maeght, tous sollicitent la sculpture comme interrogation sur l’art et l’environnement. Visite.
Trois esprits et pas des moindres, puisqu’il s’agit de ceux de Rodin, Bourdelle et Gaudi, hantent encore leurs lieux métamorphosés en musées. Le visiteur pénètre à chaque fois dans un espace d’intimité, de souvenir. Statues, inscriptions, abris… Quelqu’un "parle, appelle et rappelle la présence d’un concepteur", écrit Anne Cauquelin dans Ligéia. Rodin à Paris occupe toujours son jardin de l’hôtel Biron avec des œuvres comme le Monument à Balzac et Le Penseur, qui semblent surveiller les récentes restaurations de Jacques Sgard, respectant bassin, tapis verts et alignements de tilleuls, chers aux naturalistes du XVIIIe siècle. La présence de Bourdelle s’impose encore dans son atelier fin de siècle, agrandi en 1992 par Christian de Portzamparc. Ses œuvres se répartissent dans les salles mais aussi dans les massifs des jardins. Et Gaudi à Barcelone, dans le parc Güell – site protégé par l’Unesco depuis 1984 – où, en paysagiste averti à l’écoute de la nature, il a soumis son architecture aux injonctions du paysage. Les musées en plein air sont nés de l’évolution de la pratique artistique dans un espace ouvert. Ici, "on reste dans le registre muséal sur le plan de la représentation, explique Dominique Marchès, directeur du Centre d’art de Vassivière. La verdure est identifiée au sol du musée, l’œuvre est souvent pensée dans un espace clos". C’est l’esprit du jardin de sculpture et de parfums du Musée Picasso d’Antibes et de l’esplanade du Musée d’art moderne et d’art contemporain de Nice. En Suisse, la Fondation Gianadda accueille dans ses espaces verts les plus grands artistes du siècle, tels Brancusi, Calder, César, Dubuffet et Moore. Le Musée de Middelheim, en Belgique, comblé par le succès de son exposition internationale de sculpture en plein air en 1950, a aménagé sur ses 40 hectares une formidable exposition permanente. Plusieurs initiatives ont marqué la différence entre musées de plein air et parcs de sculpture contemporains. Elles sont nées après les années cinquante, lorsque l’abstraction abandonne le socle de la statuaire et investit l’espace environnant. L’exemple le plus caractéristique reste celui de la Fondation Maeght, à Saint-Paul-de-Vence, réalisée en 1964. Dans son jardin en terrasses, Arp, qui désirait "produire comme une plante qui produit un fruit", réalise un Pépin géant, tandis que Miró, qui ne supportait pas ces "grands maîtres qui viennent dans un endroit et déposent leur chef-d’œuvre comme on jette une pierre dans une mare, et fini...", imagine son Labyrinthe. Les parties anciennes du Musée Kröller-Müller d’Otterloo, aux Pays-Bas, et du Louisiana Museum of Modern Art de Humlebaek, au Danemark obéissent à la même lignée novatrice.
Tout change dans les années soixante. Face à une surabondance d’œuvres, des plasticiens désertent leur atelier et les circuits traditionnels. Ils placent désormais la nature au cœur de leurs préoccupations. Aux États-Unis, le Land Art invente "le paysage moderne, industriel et "entropique", explique Guy Tortosa, commissaire de l’exposition "In situ in visu, paysages urbains et jardin", ajoutant qu’en Europe, les artistes contribuent au contraire "à une forme de renaissance de la culture des jardins européens en actualisant les savoirs qui furent jadis à l’origine des grands jardins continentaux". Parmi leurs principes : l’idéal classique et l’interaction du déplacement du corps et du regard. De cette vague d’enthousiasme, de nombreux lieux d’art contemporains émergent, en Europe comme aux États-Unis. En France, avec l’aide des collectivités locales, des Drac et des Frac, grâce au renouveau du concept d’art public à partir des années quatre-vingt et à une décentralisation des commandes dans le cadre de l’aménagement du territoire, certaines régions ont mis en place des parcs de sculpture qui comptent parmi les meilleures réalisations européennes du genre. Parmi celles-ci, trois hauts lieux d’un art du paysage rassemblant des œuvres d’artistes de renommée internationale, conçues spécialement pour les sites. Tout d’abord, le parc de sculpture du Domaine de Kerguéhennec, en Bretagne, installé sur le terrain d’une propriété du XVIIIe siècle à l’initiative de Françoise Chatel, en 1986 : sa collection s’articule autour de créations qui confrontent l’espace à la sensibilité contemporaine.
Dans le Limousin, sur une des îles du lac de Vassivière et ses 70 hectares de forêts et de prairies, le Centre d’art contemporain, dirigé depuis 1987 par Dominique Marchès, fait appel à des artistes affrontant la nature non "pour la dominer" mais "pour la respecter". Enfin, le Centre d’art de Crestet, à Vaison-la-Romaine, que dirige Janis Bourdais, où l’imaginaire des artistes est sollicité : "la volonté de faire œuvre avec ce qui se redéfinit chaque jour comme nature, paysage, environnement." Que ce soit à la Villa Arson de Nice, dans les parties récentes des musées Kröller-Müller et Louisiana, ou encore au Storm King Art Center de New York, ces œuvres posent le problème de leur conservation. Bois, herbes ou mousses taillées, par exemple, par David Nash, Dominique Bailly, Giuseppe Penone, Toni Grand ou Richard Long, ont des vies plus ou moins longues. "Soit le problème de la restauration ne se pose pas, explique Dominique Marchès, la dégradation faisant partie de l’œuvre, soit il se conçoit avec l’œuvre grâce à un budget spécifique, soit enfin, nous avons affaire à des espaces paysagers qui, comme les matériaux, relèvent de l’entretien courant". Loin d’être un simple lieu de détente, le jardin fait donc "sens" comme n’importe quelle œuvre d’art. Et si l’"art de la nature" est entré dans l’histoire de l’art il y a une vingtaine d’années seulement, l’engouement collectif du public, des artistes et des commanditaires montre à quel point il est devenu l’une des expressions de l’art d’aujourd’hui les plus ouvertes à l’expérimentation.
Des jardins pour l’Art brut
L’Art brut ? "Des productions de toutes espèces... ayant pour auteurs des personnes... étrangères aux milieux artistiques professionnels", disait Dubuffet. Alors que cet art s’officialise, il est temps de visiter les jardins extraordinaires des petits frères d’Aloïse et Maisonneuve. Près d’Angoulême, à Yviers, "le décorateur du paradis" fut enterré au milieu de son bien étrange jardin planté de statues longilignes, qui avaient pour tâche de transmettre les angoisses de Lucien Favreau. "Un jour, j’ai cassé une assiette et, avec les débris, j’ai eu l’idée d’en décorer les parois", dit Robert Vasseur à propos de sa maison de Louviers. Bientôt, des murs aux arbres de son jardin, tout fut recouvert de débris de vaisselle cassée. Même principe du recouvrement chez l’Ukrainien Bodan Litnanski, débarqué en France dans les années trente, qui aux tessons en tout genre préfère les coquillages. Enfin, dans le Limousin, Jean-Marie P. cherche à s’unir à la terre et taille dans la campagne environnante des têtes de rois aux pouvoirs mystérieux.
La maison à la vaisselle cassée, 80 rue du Bal-Champêtre, 27400 Louviers, tél. 02 32 40 22 71
Le jardin-coquillage, 15 rue Jean-Jaurès, 02300 Vitry-Noureuil, tél. 03 23 39 35 17
Les granits de Jean-Marie, uniquement sur rendez-vous, tél. 05 55 56 07 70
La Bohème, hameau de Lavaure, 16210 Yviers, tél. 05 45 98 02 65
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Parcs et jardins de sculpture
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°41 du 4 juillet 1997, avec le titre suivant : Parcs et jardins de sculpture