SURESNES
Après un premier projet élaboré en 2020 pour déterminer les enjeux de ce musée-mémorial parisien, un projet culturel et scientifique très détaillé a été rendu public fin mars.
Paris. Le philosophe Paul Ricœur, (1913-2005) maître à penser d’Emmanuel Macron, distinguait pour les événements historiques la mémoire des survivants de la mémoire écrite, mise en ordre par les historiens. Le futur « Musée-mémorial du terrorisme » (MMT) voulu par le président de la République conciliera ces deux mémoires, sous la supervision de l’historien Henry Rousso, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale.
Le nom du futur établissement, premier du genre en France, montre bien que les enjeux s’entrecroisent : comment concilier un musée et un mémorial ? Autrement dit, comment concilier le recueillement avec la réflexion historique, voire politique, sur le terrorisme ? L’ex-otage de l’organisation État islamique Nicolas Hénin, membre du conseil scientifique du MMT, y voit une richesse plus qu’un obstacle : « Le musée donne une vertu éducative au mémorial, et le mémorial donne de la solennité au musée, les deux se complètent. » Henry Rousso, qui préside l’assemblée générale du groupement d’intérêt public du MMT, précise : « Le mémorial et le musée ont deux fonctions différentes, mais nous tenons beaucoup à l’idée qu’ils font un seul et même lieu » sur le même site. Le site choisi par Emmanuel Macron en 2021 abritait auparavant l’école de plein air de Suresnes (Hauts-de Seine) et est situé sur le mont Valérien. L’idée, à terme, est de créer sur cette colline un pôle mémoriel. Quant au statut juridique du futur établissement, les discussions avec les tutelles (au nombre de sept) se poursuivent ; selon Henry Rousso : « Il est probable que le MMT sera un établissement public », avec peut-être une labellisation « Musée de France ». Musée de société, musée d’histoire, centre de recherche, le projet scientifique ne tranche pas.
Très détaillé, ce document révèle les choix opérés conjointement par l’équipe dirigeante et le conseil scientifique et culturel du MMT, sous le regard attentif de l’Observatoire d’orientation présidé par le procureur général, François Molins. Représentants de la société civile et services de l’État participent en effet à l’élaboration du projet aux côtés des chercheurs, pour un total d’une soixantaine de personnes parmi lesquelles la plasticienne Esther Shalev-Gerz, la directrice du musée de l’Institut du monde arabe Nathalie Bondil, plusieurs médecins et des victimes d’actes de terrorisme. Le futur établissement devra refléter les choix de ces différentes composantes, ainsi que les missions qui lui sont confiées par les pouvoirs publics. Henry Rousso résume ces missions : « Le mémorial sera un lieu de recueillement et d’hommage aux victimes », notamment aux victimes d’actes terroristes en France reconnues depuis la loi de 1974, et aux victimes françaises à l’étranger.« Le musée proposera une réflexion sur l’histoire du terrorisme, sur le sort des victimes et sur les réactions de la société », ajoute l’historien, qui cite comme modèles des mémoriaux et musées situés aux États-Unis et en Norvège. À terme, le musée combinera un parcours permanent dont l’essentiel sera consacré aux actes terroristes depuis les années 1960, avec des expositions temporaires plus spécifiques. Le parcours entend centrer le regard sur les répercussions en France des événements terroristes de toute nature, avec une attention particulière accordée aux victimes.
Pour chaque période, le contexte politique sera rappelé, qu’il s’agisse des attentats des années 1980 de groupes palestiniens ciblant la communauté juive ou de ceux des indépendantistes corses. Henry Rousso évoque ici la bonne distance à trouver pour présenter les terroristes, surtout lorsqu’ils sont célèbres (Carlos, le groupe Action directe).
Quels types d’objets et documents seront exposés au MMT ? Le projet présenté en mars dernier mentionne à la fois les scellés judiciaires, les archives audiovisuelles et les objets personnels des victimes, en précisant que le musée est en train de constituer ses collections. Les visiteurs pourraient par exemple avoir accès aux pièces à conviction de l’enquête et du procès de l’assassinat du préfet Claude Erignac (1998), ou de certains attentats des années 1980. Les victimes occuperont une large place dans ce parcours, à travers des témoignages et des objets personnels donnés au MMT. C’est un aspect important du futur musée selon Henry Rousso, qui précise que des « entretiens filmés » pourraient compléter la campagne de collecte en cours auprès des victimes, de leurs proches et d’associations. Les répercussions d’actes terroristes sur la société seront documentées par des extraits de presse écrite ou télévisée, des œuvres de fiction et des témoignages. La réaction politique et judiciaire au terrorisme ne sera pas oubliée (état d’urgence, lois sur la sécurité, grands procès). Une question demeure : quelle place pour la violence ? Henry Rousso précise qu’elle sera exposée « avec toute la réserve et la distance nécessaires, en évitant le spectaculaire et l’euphémisation ». Des œuvres d’art contemporain pourraient y contribuer, et plusieurs artistes ont déjà manifesté leur intérêt pour le MMT.
Le projet est donc très ambitieux, d’autant que le musée-mémorial devra remplir une mission éducative à la limite du politique. Henry Rousso insiste sur l’importance de la médiation, notamment avec des textes « à plusieurs niveaux de lecture, des bulles sonores et des dispositifs interactifs ». De son côté, Nicolas Hénin espère que certains groupes sociaux seront plus précisément ciblés : « J’attends du MMT un grand potentiel de prévention de la radicalisation, et même de réparation, par exemple pour des personnes condamnées à du TIG (travail d’intérêt général). Il faut aussi éviter le voyeurisme et l’instrumentalisation politique du terrorisme ».
Aucune opposition politique ne s’est manifestée à ce jour selon Henry Rousso, qui se félicite de ce « minimum de consensus sur ce projet malgré une très forte polarisation de la société ».
Le MMT devrait ouvrir au plus tôt en 2027, après une réhabilitation totale des bâtiments classés, qui datent des années 1930. Le budget estimé pour la période 2022-2027 avoisine les 100 millions d’euros, à répartir entre les tutelles : il s’agit donc d’un projet qui nécessite une implication durable de l’État.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le futur « musée du terrorisme » franchit une étape
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°589 du 13 mai 2022, avec le titre suivant : Le futur « musée du terrorisme » franchit une étape