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Le directeur des antiquités et musées de Syrie se confie au JDA

directeur des antiquités et musées de Syrie

Par Marie Zawisza · Le Journal des Arts

Le 3 janvier 2017 - 1531 mots

PARIS

Alors que le régime de Bachar el-Assad a repris le contrôle de la partie est d’Alep, Maamoun Abdulkarim, le directeur des antiquités et musées de Syrie s’est entretenu avec un de nos journalistes. Il commente la récente conférence d’Abou Dhabi, la situation du patrimoine dans la région et critique l’état des relations entre Paris et Damas. Il pronostique la perte d’influence de la France au plan patrimonial dans son pays, une fois la paix revenue.

Sauver le patrimoine en danger dans les pays en guerre : tel était l’objet du colloque international, qui s’est tenu à Abou Dhabi les 2 et 3 décembre derniers. Organisé par la France et les Émirats arabes unis, il a réuni une quarantaine de représentants d’États, ainsi que des organisations internationales, comme l’Unesco. Manquait cependant à l’appel un acteur essentiel de la préservation de ce patrimoine aujourd’hui menacé : la Direction générale des antiquités et des musées de Syrie (DGAM), avec qui la France a rompu tout dialogue officiel en 2011, lorsque la crise syrienne a éclaté. Maamoun Abdulkarim, son directeur, a répondu à nos questions depuis Damas. Depuis 2012, ce docteur en archéologie mobilise les 2 500 fonctionnaires de la DGAM pour tenter de protéger le patrimoine.

Vous n’avez pas été convié au colloque international pour la protection du patrimoine dans les pays en guerre, organisé par la France et les Émirats arabes, les 2 et 3 décembre à Abou Dhabi. Quel est votre bilan de l’événement ?
Il est ambivalent. Cette rencontre internationale témoigne de la volonté des décideurs politiques du monde entier de protéger le patrimoine menacé par les conflits. C’est très positif. Je me réjouis que les scientifiques et les représentants d’ONG, qui travaillent avec nous, comme l’Unesco ou Icomos (Conseil international des monuments et des sites), y aient participé. Nous collaborons avec eux de façon très rapprochée et je sais que leurs représentants ont porté notre voix. La DGAM n’a pas été invitée pour des raisons politiques et je le comprends : la France a décidé de rompre toutes les relations diplomatiques avec la Syrie. Je regrette cependant que des mesures politiques aient des répercussions sur les relations culturelles entre nos deux pays, malgré les liens tissés au cours de l’histoire. Et à vrai dire, je m’étonne qu’un colloque dans lequel le patrimoine syrien tenait une telle place, ait pu se passer de la présence du pays concerné, et de ceux qui se battent sur le terrain pour le sauver.

D’un point de vue scientifique, pensez-vous que ce colloque pourrait néanmoins avoir une efficacité pour les agents du patrimoine syrien sur le terrain ?
Le colloque d’Abou Dhabi était plus politique que scientifique. Il s’agissait pour les chefs de gouvernement de se positionner sur l’échiquier international en tant que défenseurs du patrimoine menacé. Ce colloque pourra porter ses fruits une fois la paix revenue et les relations diplomatiques avec la Syrie rétablies. Mais c’est aujourd’hui qu’il faut agir ! Ce qui importe n’est pas d’organiser des funérailles somptueuses, mais de sauver l’homme blessé avant qu’il ne meure. Nous organisons les 11 et 12 décembre à Damas un colloque scientifique international ; des archéologues et scientifiques français seront présents, à titre personnel, pour nous soutenir sur le terrain. [l’entretien a été réalisé avant ce colloque, ndlr] L’École normale supérieure, la Maison de l’Orient à Lyon ainsi que plusieurs universités françaises ont par ailleurs maintenu un contact avec nous, en se positionnant par-delà les questions politiques. Leur soutien est très précieux. Enfin, cinquante laboratoires français et suisses nous ont envoyé sept tonnes de matériel de conservation, via l’Unesco.

Lors de votre récent voyage à Paris, en novembre 2016, vous avez déclaré au micro de France Inter refuser la proposition de François Hollande d’offrir un asile au patrimoine culturel syrien pendant le conflit… Quelles en sont les raisons ?
Des mesures préventives pour protéger notre patrimoine ont été prises dès le début du conflit. Environ 300 000 pièces, c’est-à-dire 90 % des œuvres des musées syriens ont été mises à l’abri à Damas par nos équipes. J’ai expliqué que si Damas se trouvait menacé, les œuvres seraient exfiltrées en 48 heures vers le Liban, qui a de bonnes relations avec la Syrie ; un plan d’urgence est prévu. Comment transporter autant d’œuvres jusqu’à la France ? Par ailleurs, la question est aussi juridique : les lois des Antiquités syriennes l’interdisent. Pour accepter un « droit d’asile » de la France, il faudrait que les relations entre nos deux pays soient correctes. Or la France a rompu avec nous tout dialogue, même sur le terrain culturel.

Qu’en est-il à ce propos des vingt-trois œuvres d’art prêtées à l’Institut du monde arabe (l’IMA) et qui devaient vous être rendues en 2014 ?
L’IMA refuse de répondre officiellement à mes demandes de restitutions. Mes appels tombent dans le vide, si bien que toute négociation est impossible. Aussi ai-je dû saisir notre délégation permanente à l’Unesco et lui envoyer le dossier du dépôt, avec le certificat signé par le ministère des Affaires étrangères s’engageant à nous restituer notre patrimoine en 2014. Les œuvres que nous avons prêtées sont très importantes. Cette affaire est un scandale. Elle a contribué, hélas, à remplacer en octobre le français, qui était resté la langue officielle de la DGAM, par l’anglais. J’ai heureusement obtenu que le grand panneau « Musée national » à Damas reste en français, car la France reste chère au cœur des archéologues syriens : notre musée national a été fondé pendant le mandat, tout comme la DGAM. Moi-même, j’ai fait mon doctorat en France, comme la plupart des archéologues de mon pays… C’est ainsi grâce à la France que nous avons finalement été en mesure de protéger nos œuvres. Cependant, lorsque la paix sera revenue, la France, à mon grand regret, aura beaucoup perdu en Syrie, à cause de son abandon actuel.

Quelles pourront être justement à votre avis les relations culturelles franco-syriennes, après la guerre ?
Je l’ignore. Je ne serai plus à ce poste pour défendre ce pays qui me reste cher, et je ne pense pas que l’archéologie française conservera la même place dans notre pays. Je ne sais pas selon quelles modalités les archéologues français pourront revenir dans notre pays. Pourquoi la France est-elle allée jusqu’à fermer l’Institut français du Proche-Orient (IFPO) à Damas ? L’Allemagne, par exemple, a gardé son institut archéologique ouvert… Certes, ce sont à présent des équipes syriennes qui y sont présentes, mais nous restons en contact pour des questions scientifiques, malgré l’embargo et la rupture politique entre nos pays.

Le Louvre mène actuellement un programme de recensement des archives scientifiques sur le patrimoine islamique syrien et irakien, pour préparer notamment la reconstruction : qu’en pensez-vous ?
La France et l’Allemagne possèdent les plus importantes archives sur le patrimoine syrien au monde. Les relations officielles avec le Louvre sont hélas coupées et nous ne sommes pas impliqués dans ce projet. Cette rupture totale, encore une fois, est une spécificité française – même si je sais que le Louvre, une fois la paix revenue, transmettra son catalogue et le fruit de ses recherches à la Syrie. De son côté, l’Institut archéologique allemand, le Deustsches Archäologisches Institut (DAI), mène une campagne de numérisation des archives, et remettra aussitôt son travail à la DGAM. Les Allemands ont beaucoup d’initiatives et ils sont en contact permanent avec nous.

Le monde entier a aujourd’hui les yeux tournés vers Alep… qu’en est-il de son patrimoine ?
La situation est absolument catastrophique. Les destructions à Alep équivalent à l’ensemble des destructions dans toute la Syrie, et chaque jour, on en rapporte une nouvelle. Des milliers de boutiques du vieux souk ont disparu, des centaines de maisons traditionnelles et plus de 150 bâtiments historiques ont été endommagés… C’est une tragédie humaine, mais aussi patrimoniale.

Et pourtant, la Syrie avait signé la Convention de Genève, et la protection du patrimoine en cas de conflit armé…
Il y a une guerre en Syrie, et hélas, ce ne sont pas des anges qui la font. La DGAM ne cesse de lancer des appels pour épargner le patrimoine. Pour ce qui est d’Alep, certains groupes armés ont établi leur base militaire dans la vieille ville. Que se passerait-il en France si une guerre civile éclatait et que des fondamentalistes occupaient Versailles ? Nous avons évacué 24 000 objets du musée historique d’Alep dans des avions militaires quand cela était possible, mais nous ne pouvons malheureusement pas déplacer les bâtiments. La DGAM a mené son action en se situant en dehors de la politique, en ne prenant jamais parti pour un camp ou pour l’autre. Nous avons continué à verser les salaires de nos 2 500 fonctionnaires même dans les zones occupées par l’opposition, pour pouvoir assurer notre mission de protection du patrimoine, et sans jamais nous enquérir des partis pris politiques de nos fonctionnaires. Mais il reste que dans une guerre, les archéologues sont parfois impuissants. Même si nous obtenons aussi parfois gain de cause. En 2014, quand le Krak des Chevaliers a été repris par l’armée, nous avons aussitôt demandé aux militaires de nous rendre le site. Aujourd’hui, nous avons pu commencer à faire sur ce site bombardé les premières restaurations d’urgence.

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Maamoun Abdulkarim dans le site antique de Palmyre en avril 2016. Photo D.R.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°470 du 6 janvier 2017, avec le titre suivant : Le directeur des antiquités et musées de Syrie se confie au JDA

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