PARIS
Arrivés en France au terme d’un parcours souvent difficile, les artistes syriens tentent de vivre de leur art. Certains bénéficient de soutiens publics et privés.
Paris. Sur le million de Syriens présents en Europe selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, environ 30 000 vivent en France (l’Allemagne en compte 600 000). Comme le reste de la société syrienne, les artistes ont fui leur pays à partir de 2011, d’abord pour des pays proches, puis pour l’Europe. Tous les artistes syriens installés en France ont connu ces trajets par étapes, comme la peintre Oroubah Dieb : « J’ai quitté Damas en 2012 pour Beyrouth, je pensais que la guerre ne durerait qu’un an ou deux… Puis, après un séjour avec visa touristique, je suis venue m’installer à Paris en 2016 avec mon mari et mes filles. »
Combien d’artistes syriens sont ainsi arrivés en France depuis 2011 ? Difficile de le dire, mais toutes les structures qui accueillent des artistes exilés constatent une forte présence des artistes syriens en France depuis plusieurs années. Ainsi, à l’Atelier des artistes en exil (AAE), à Paris : sur cent trente artistes vingt-cinq sont originaires de Syrie, et c’est de loin le groupe le plus important. À la Cité internationale des arts, à Paris aussi, la directrice Bénédicte Alliot précise que les différents programmes de soutien aux artistes étrangers ont vu passer « au moins une vingtaine de Syriens en dix ans » dans toutes les disciplines. Enfin, le réseau de résidences de l’Association des centres culturels de rencontre (ACCR) décompte quatorze Syriens sur cinq ans dans son programme « Nora » d’accueil des artistes exilés. Le festival parisien « Syrien n’est fait » rassemble aussi chaque année une centaine d’artistes syriens de tous horizons.
Judith Depaule, directrice de l’AAE, pointe les spécificités des Syriens, au-delà des traumatismes liés à la guerre : « De nombreux artistes syriens vivent une sensation de déclassement à leur arrivée, surtout les plus âgés. Nous avons à l’AAE deux générations, ceux de cinquante ans et ceux de vingt ans. Les premiers avaient souvent des postes à l’université et une carrière professionnelle bien avancée. Les seconds faisaient encore des études, et certains entrent en école d’art ici. » La plupart des artistes syriens présents en France sont professionnels et diplômés d’écoles des Beaux-Arts. Celle de Damas était particulièrement réputée avant 2011, et nombre d’artistes accueillis à l’AAE ou à la Cité internationale des arts en sont issus comme Oroubah Dieb pour qui l’arrivée en France a été difficile : « Avant, j’exposais souvent à Damas, à Beyrouth et à Dubaï. Et je dirigeais une école d’art privée à Damas que j’avais créée avec mon mari. Aujourd’hui, je n’ai plus de galerie », explique-t-elle.
Jusqu’à la guerre de 2011, les villes syriennes bénéficiaient d’une vie culturelle riche. La commissaire d’exposition Dunia Al Dahan, réfugiée en France, explique qu’à Damas il y avait « une vie culturelle orchestrée par les centres culturels étrangers et le ministère de la Culture, au rythme des expositions de printemps et d’automne, de la Foire internationale du livre [...] et des expositions de galeries ». Elle évoque aussi « un contexte de surveillance constante » pour les artistes et les intellectuels. Son mari, le sculpteur Khaled Dawa, ajoute que la capitale comptait à l’époque « une dizaine de grosses galeries, comme la galerie Atassi ». Lui-même commençait sa carrière après des études aux Beaux-Arts de Damas lorsqu’il a été blessé, puis envoyé en prison en 2013. À sa sortie, il a fui au Liban, puis en France. Les parcours sont souvent sinueux, en raison de la situation politique en Syrie et dans les pays voisins. Plusieurs artistes syriens ont connu la prison, voire la torture, et, en général, ils ont subi de multiples brimades en Turquie ou au Liban. La comédienne Hala Alsayasneh (membre de l’AAE) indique ainsi avoir demandé un visa pour la France, car elle ne pouvait plus travailler à Istanbul après deux années passées là-bas.
La question cruciale pour ces artistes est de vivre de leur art, car il leur est difficile de sortir du statut de réfugié. Judith Depaule précise que les Syriens « sont lassés d’être définis par l’exil » et qu’ils ont « des difficultés à trouver une stabilité professionnelle ». Certains artistes arrivent cependant à constituer un réseau, comme le graveur Najah Albukai (membre de AAE) dont les dessins ont été publiés dans Libération, et qui connaît un succès en galerie malgré un sujet grave, tel que la torture dans les prisons syriennes. L’AAE organise le festival Vision d’exil où les artistes présentent leurs œuvres, ainsi que des journées portes ouvertes dans ses ateliers. Bénédicte Alliot cite les programmes financés par le ministère de la Culture, l’Institut français ou la Ville de Paris auxquels ont accès les Syriens : « Nous participons par exemple au programme 2-12 pour les artistes syriens au Liban et en Égypte. Ils bénéficient d’un suivi individuel, et nous mettons à disposition notre réseau professionnel. » Ainsi, le musicien Omar Harb venu en résidence en 2020 sera programmé à l’Institut du monde arabe (Ima) et enchaînera avec une résidence aux Récollets à Paris.
C’est tout un secteur qui se mobilise. L’Ima joue aussi un rôle, à travers le fonds Claude et France Lemand qui a acquis plusieurs œuvres d’artistes syriens et prévoit une exposition sur le sujet. Le secteur associatif n’est pas en reste, comme l’association Portes ouvertes sur l’art qui a organisé une journée d’étude, ainsi qu’une exposition à Malakoff en 2019. Sa présidente Pauline de la Boulaye explique qu’il y a un intérêt des institutions pour les Syriens : « Quand je demande une subvention à l’Académie des beaux-arts, je l’obtiens toujours. » La nouvelle exposition, « Répare, reprise » à la Cité internationale des arts, présente entre autres Randa Maddah : du plateau du Golan syrien aux murs des institutions parisiennes en passant par la donation Lemand et l’Ima, son parcours en France est exemplaire. Un autre artiste, Bady Dalloul, a gagné le prix des amis de l’Ima en 2018, puis a été exposé au Palais de Tokyo en 2020, avant de partir en résidence à la Villa Kujoyama.
Enfin, plusieurs commissaires d’exposition commencent à s’intéresser à ces travaux, dont Nora Philippe, commissaire de « Répare, reprise » pour qui les œuvres « entrent aussi dans le champ postcolonial, au-delà de leur rôle de témoin ». Sortir de ce statut reste donc primordial, comme le confirme Khaled Dawa dont la dernière œuvre est présentée dans « Répare, reprise » : « Je ne veux pas exposer en tant que réfugié ou exilé syrien. Je n’ai fait que quelques œuvres sur mon emprisonnement et sur la guerre ; je me considère comme un artiste avant tout. »
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La difficile insertion des artistes syriens exilés
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°570 du 25 juin 2021, avec le titre suivant : La difficile insertion des artistes syriens exilés