De Nantes à Bordeaux ou des Bouches-du-Rhône à Nice, événements et saisons en cours ou en préparation sont autant des opérations de communication bien huilées que des enjeux territoriaux.
La période estivale n’échappe pas aux festivals. Cette année se caractérise néanmoins par d’autres temps forts d’un gabarit d’un type différent par l’ampleur des moyens engagés tant du point de vue des acteurs culturels ou économiques que des expositions programmées ou commandes passées à des artistes. « Un été au Havre », « Le voyage à Nantes », « Paysages Bordeaux » ou « École(s) de Nice » dressent en effet une ligne de quatre manifestations culturelles et artistiques d’un nouveau genre. Avec ses six ans d’âge, Le voyage à Nantes est la doyenne des manifestations du genre, qui ne peut être dissociée de son fondateur Jean Blaise, qui fut le créateur du Festival des allumés, du Lieu unique puis des trois éditions d’Estuaire qui, de 2007 à 2011, ont permis de doter de Nantes à Saint-Nazaire les rives de la Loire d’œuvres éphémères ou pérennes. Les Anneaux de Daniel Buren furent, sur l’île de Nantes, la première commande passée il y a dix ans pour ranimer le cœur du site des chantiers navals alors en déshérence.
L’image de Nantes redorée par la culture
Depuis lors, Le voyage à Nantes a poursuivi l’esprit d’Estuaire. Chaque édition apporte en été à la ville qui soutient l’événement son lot d’expositions, de créations nouvelles et d’étonnements. Que l’on emprunte le toboggan suspendu au-dessus des douves du château des ducs de Bretagne ou que l’on traverse de part en part le géant de Nicolas Darrot, endormi devant les colonnes de l’Opéra : l’art dans l’espace public est une invitation à découvrir autrement, en suivant une ligne verte tracée au sol, les différents visages de Nantes, mais aussi à rassembler, solliciter et impliquer les habitants de la ville ou les associations dans la confection du Voyage. Fort de son succès, l’itinéraire de la ligne verte peinte sur 13 km de trottoirs, de rues piétonnes et de quais, a gagné cinq kilomètres en cinq ans. Progressivement, la programmation et les installations d’artistes in situ ont séduit également promoteurs immobiliers et commerçants au vu de la réception et des retombées économiques : 51,1 millions d’euros en 2016 pour 2,7 millions d’euros dépensés pour son organisation. Et, d’année en année, la manifestation élargit son succès : 55 % de visiteurs estivaux depuis sa création en 2012, avec une progression du taux d’occupation des hôtels en juillet et août 2016 en hausse ( 7,3 % pour la gamme économique par rapport à 2015) alors qu’ailleurs en France, durant la même période, les taux ont oscillé entre – 2 et 2 %. « Nantes a grandi avec la culture, et la culture avec Nantes. Elle constitue une partie essentielle de son identité », rappelle Johanna Rolland, maire de la ville qui a succédé à Jean-Marc Ayrault en 2014. De fait, la culture a été un facteur de changement profond d’image et de transformations urbaines. En trente ans, la ville est passée d’une cité sinistrée après la fermeture des derniers chantiers navals à une agglomération où il fait bon vivre. Elle affiche désormais une belle dynamique que beaucoup lui envient. Entre 2008 et 2013, la métropole nantaise a gagné 5 670 habitants par an selon l’Insee. Dans les quinze années à venir, l’institut table sur un accroissement annuel de 7 500 habitants. D’ailleurs, la date de la réouverture du Musée d’arts de Nantes une semaine avant le lancement, le 1er juillet, de l’édition 2017 du Voyage à Nantes ne peut être dissociée des liens et des synergies des différents acteurs culturels de la ville. « Notre offre culturelle ne se limite pas à un seul bâtiment comme le Musée Guggenheim à Bilbao. Elle joue la diversité, la complémentarité », souligne Jean Blaise. Le modèle développé à Nantes est effectivement bien différent de celui engagé par les pouvoirs publics basques avec l’édification du bâtiment de Frank Gehry inauguré il y a vingt ans et appelé de leurs vœux par le gouvernement basque, la province de Biscaye (ses financeurs) et par la municipalité de Bilbao qui a mis à disposition le terrain.
Au Havre, la culture pour modifier la ville
À Nantes, aucun geste architectural ni installation d’antenne de musée n’a conditionné ou du moins participé à la sortie de crise de la ville ni attiré l’attention des médias nationaux et internationaux. Seuls ses divers atouts ont progressivement fait de la métropole un territoire urbain attractif. Le choix de Jean Blaise par Édouard Philippe, maire du Havre jusqu’à sa nomination au poste de Premier ministre, pour concevoir et organiser le 500e anniversaire de la cité portuaire illustre bien les ambitions et les enjeux de l’événement pour cette autre grande ville de l’ouest, premier port de conteneurs en France qui, après avoir perdu 1 000 habitants chaque année pendant trente-cinq ans, connaît depuis 2016 un retournement de la tendance à la hausse. « Nous souhaitons que cet événement permette une découverte du Havre ; de ses quartiers, de sa lumière, de son architecture, de son port. La meilleure façon de surprendre, et d’y parvenir, est de proposer une offre culturelle », expliquait Édouard Philippe avant sa nomination à Matignon. La programmation d’Un été au Havre à cet effet ne déroge pas au grand principe qui prévaut pour Le voyage à Nantes : à savoir convoquer autant le succès touristique que l’adhésion locale. Montrer que la ville portuaire est plus vigoureuse qu’elle n’en a l’air et qu’elle dispose de solides atouts architecturaux, artistiques et culturels irrigue les presque six mois de festivités. Quatre parcours depuis le Volcan d’Oscar Niemeyer relèvent ainsi les différentes physionomies de la ville reconstruite par Auguste Perret au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Fêtes, parades, expositions et interventions d’artistes rythment par ailleurs son quotidien depuis le 27 mai. Le Havre n’a jamais connu un événement d’une telle ampleur ni investi autant d’argent (26 millions d’euros) pour célébrer sa naissance. La participation des commerçants, des habitants et des institutions culturelles ou artistiques a été immédiate. Huit bars typiques de la ville se sont notamment associés pour tisser un circuit et se sont soumis au regard porté sur eux par le photographe Franck Gérard. Dans l’ancienne poudrière du fort de Sainte-Adresse dominant Le Havre et l’estuaire de la Seine, l’installation Le Temps suspendu rassemble de son côté les portraits des habitants de la métropole tandis qu’à l’intérieur de l’église Saint-Joseph, l’artiste japonaise Chiharu Shiota a tissé sa toile en fils de laine rouge. « Un été au Havre génère également des transformations pérennes d’espaces », relève Jean Blaise. « Le fort de Tourneville, lieu de concerts de musique actuelle et d’arts numériques, a été réaménagé. Les espaces du Portique, seul et unique centre d’art contemporain de la ville, se sont agrandis de un à trois niveaux. » Jusqu’au 8 octobre, y ont pris place Julien Berthier, Vincent Ganivet et Stéphane Thidet, trois artistes invités d’autre part à intervenir dans la ville. Au MuMa, c’est le chef-d’œuvre de Monet, Impression, soleil levant, prêté en septembre par le Musée Marmottan-Monet ainsi que la rétrospective, cet été, de Pierre & Gilles que l’on vient voir, en sachant que Gilles Blanchard est un enfant de la ville. « À l’instar de Nantes, Le Havre a parfaitement intégré l’attractivité de l’art contemporain et l’obligation d’y associer les acteurs locaux, institutions et associations », note Jean Blaise. « Le schéma parc d’attractions du type Puy du Fou appartient à une autre époque. Les élus locaux et les acteurs économiques se sont progressivement rendu compte de l’impact du développement du tourisme culturel. »
De Lille à Marseille, comment prolonger la dynamique des saisons culturelles ?
Lorsque Christian Estrosi, maire de Nice, fait appel à l’ancien ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon pour rassembler autour d’une thématique une partie de l’offre culturelle de la ville, il surfe aussi à sa manière sur cette vague. Après Un été pour Matisse en 2013, Promenade(S) des Anglais en 2015, c’est au tour d’École(s) de Nice d’établir une cartographie d’expositions, du Mamac au Musée Masséna, en passant par la Galerie des Ponchettes et le 109 implanté dans les anciens abattoirs de la ville. « Plus la programmation culturelle de Nice s’agrège à ce type d’événements, plus Nice renforce son tourisme d’affaires », dit sans ambages Christian Estrosi. Quand le monde économique et les acteurs culturels des Bouches-du-Rhône décident de se regrouper avec l’université d’Aix-Marseille pour créer Marseille Provence 2018 (MP18), quatre ans après que Marseille et la Provence eurent été capitale européenne de la culture en 2013, la synergie recherchée est toutefois plus ambitieuse dans sa mobilisation et ses enjeux qui dépassent le seul cadre de Marseille, ville centre des festivités de MP13. C’est un autre modèle inédit dans sa gestation et sa configuration qui se construit dans les Bouches-du-Rhône depuis quelques mois. À l’instar de Lille qui, à partir de son expérience de capitale européenne de la culture en 2014, a consolidé son propre modèle de développement culturel et de saisons culturelles avec Lille 3000, MP18 entend renforcer la dynamique créée par MP13, non sans avoir pris soin au préalable de mettre à distance les dissensions politiques qui ont enlisé et empoisonné la construction de la programmation de MP13. « MP18 marque la volonté de cesser d’avoir comme référence qu’une addition de villes qui fonctionnent et dialoguent mal entre elles », relève l’armateur Raymond Vidil, vice-président de Mécènes du Sud et président de l’association MP Culture en charge de l’organisation et de la coordination de la manifestation. « Cette édification ne peut se faire uniquement à partir d’un organigramme politique. Elle se réalise aussi via une histoire fondatrice commune qui passe à fois par le patrimoine et par la convocation d’artistes pour éclairer ce qui est en train de se dessiner. Grâce à elle, nous construisons un espace métropolitain qui s’étend d’Arles à Aubagne et de Pertuis jusqu’à Cassis. » Sur le thème de l’amour, MP18 concocte donc actuellement sa programmation pour 2018 sous la direction artistique de quinze institutions culturelles du département chargées de sélectionner les projets. Portée par le MuCEM, La Criée, le Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence et les Rencontres d’Arles, moteurs dans l’opération, la mobilisation affiche une belle dynamique. « Les collectivités locales comme Aubagne sont soucieuses de ranimer leur centre-ville déserté. Dès que l’on s’est constitué, elles nous ont rejoints », note Raymond Vidil.
À Bordeaux, une saison pour fédérer les acteurs de la culture
L’idée féconde de relier les saisons culturelles aux logiques de politiques culturelles et, plus largement, aux politiques de développement d’une ville et d’un territoire fait de plus en plus d’émules. Lille et Nantes sont des exemples éclatants. MP18 entend le devenir. Avec Paysages Bordeaux 2017, la capitale bordelaise affirme haut et fort son ambition bien que déjà référencée pour la dynamique de sa politique culturelle, d’urbanisme et d’architecture. Pour célébrer l’arrivée de la ligne grande vitesse mettant désormais la capitale bordelaise à 2 h 04 de Paris, la ville et la métropole ont lancé une saison culturelle, fédération des grands temps forts de l’agenda estival des opérateurs locaux telle Agora, biennale d’architecture d’urbanisme et de design et dont la thématique « Paysages » a donné son titre à la saison. Les cartes blanches données aux chorégraphes Mathilde Monnier et Hamid Ben Mahi, au chef d’orchestre Marc Minkowski, directeur de l’Opéra national de Bordeaux, et à José-Manuel Gonçalvès, directeur du Centquatre à Paris, ont construit de leur côté d’autres rendez-vous phares, installations, interventions ou performances d’artistes dans la ville. « On ne veut pas s’inscrire dans une logique événementielle mais dans une logique de saison », se défend Claires Andries, directrice des affaires culturelles à la mairie de Bordeaux, quand on suggère que la manifestation est une belle opération de communication et de marketing. « L’objectif est de dessiner un portrait kaléidoscopique du territoire qui dépasse la seule ville de Bordeaux et de la métropole puisque nous avons intégré d’autres villes telles qu’Angoulême, Poitiers et Pau. Les projets de la saison culturelle tels qu’ils ont été pensés sont étroitement liés à la politique culturelle de la ville. Il s’agit de mettre en valeur l’ensemble de ses acteurs et de les fédérer. Pour la première fois, tous les établissements liés notamment aux arts visuels se sont ainsi entendus pour échelonner leurs vernissages. Plus largement, c’est l’ensemble de l’écosystème culturel public et privé que l’on mobilise et qui se mobilise sans oublier de prendre en compte les associations et les projets à dimensions citoyenne ou participative », souligne la jeune femme aux commandes de l’organisation de cette saison depuis son arrivée à la mairie de Bordeaux en mars 2016. L’itinéraire de cette dernière en dit d’ailleurs long sur les profils recherchés désormais dans le montage de telles opérations. Avant d’œuvrer à Bordeaux, Claire Andries s’est vu confier la mise en œuvre du dossier de MP13 lors de la candidature de Marseille à l’élection de capitale européenne de la culture puis de sa réalisation une fois le titre obtenu. Bordeaux, elle aussi candidate, avait été alors retoquée. Candidatera-t-elle à nouveau quand les grandes villes françaises seront appelées à le faire ? Pour l’heure, la saison qui s’annonce devrait être réitérée dans un format plus réduit en 2019. À la mairie de Bordeaux, on y travaille déjà avec les musées de la ville.
Il n’y a pas qu’en France que la culture est placée en wagon de tête dans le cadre du développement démographique, économique et touristique d’une ville. À Hongkong, si elle a longtemps été négligé par les autorités, l’ancienne colonie britannique a compris qu’elle devait développer son offre en matière de musées, de théâtres, de foires, etc., pour concurrencer les projets développés par les Émirats arabes unis (notamment à Abou Dhabi, qui devrait inaugurer son « Louvre » à l’automne 2017) et ailleurs, mais aussi par sa rivale Singapour.« Le tourisme est l’un des quatre piliers économiques de Hongkong », admet Jerry Liu, le président de CreateHK, le département du gouvernement de Hongkong qui assure la promotion des industries créatives (architecture, design, cinéma et musique). La ville se félicite de promouvoir chaque mois, en son sein, un événement international différent : festival de musique pop asiatique, festival de cinéma, semaine du design, etc., tout en étant présente sur d’autres continents – à Angoulême pour défendre son savoir-faire en matière de comics, à Paris durant la fashion week ou à Milan pour promouvoir son design.
Un futur quartier culturel avec le M
En matière de design, un autre département gouvernemental a développé un programme d’incubateurs de projets qui attire de jeunes créateurs venus du monde entier séduits par les moyens qui leur sont offerts pour, en retour, faire rayonner Hongkong. Pourquoi le design ? « Mais parce que le design, c’est le futur ! », répond Edmund Lee, le directeur exécutif du Hongkong Design Centre, qui englobe dans le design « les services, les villes » et même « l’intelligence de demain ». L’implantation de la foire Art Basel à Hongkong depuis 2013 bénéficie de cette politique favorable, qui passe par l’exonération des taxes sur le commerce de l’art incitant de puissantes galeries internationales, à l’instar de Perrotin, à mettre un pied en Chine.
Mais Hongkong sait qu’elle doit aussi rattraper son retard en matière d’institutions. La construction d’un nouveau quartier culturel gagné sur la mer est l’instrument de cette ambition. Le West Kowloon Cultural District comprendra, outre des bureaux et des habitations, un parc arboré avec espaces réservés aux performances et aux concerts en plein air, des théâtres aux capacités variables et deux musées, dont le Hongkong Palace Museum et le très attendu M . Ce dernier, dessiné par Herzog & de Meuron avec sa façade couverte de led, devrait ouvrir en 2019 après plusieurs reports de date. Sa collection, centrée sur l’art chinois des XXe et XXIe siècles, est composée de donations privées, dont celle, en 2012, de 1 463 œuvres réunies par le collectionneur Uli Sigg. Tout cela, comme le défend un des promoteurs du site, pour former « un environnement artistique et amical » connecté à la ville et au monde (à l’aéroport) par un puissant réseau de transports.
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L’art pour redorer son image
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Karel Martens, Couleurs sur la plage, 2017, réalisation au Havre © Photo Karel Martens
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°703 du 1 juillet 2017, avec le titre suivant : L’art pour redorer son image