L'AQUILA (ITALIE) - Plus de 70 % du patrimoine artistique, des églises et des monuments du centre historique de L'Aquila « sont sans protection, agressés par la neige et la pluie, voués à des dommages irréparables ».
Ce cri d’alarme est lancé par Alessandra Mottola Molfino, présidente d’Italia Nostra, association italienne pour la défense du patrimoine historique, artistique et naturel du pays. Dix mois après le tremblement de terre qui a secoué les Abruzzes, « la véritable reconstruction de la ville n’a pas encore commencé ». L’hiver détruit peu à peu ce qui reste des décombres non déblayés des églises qui n’ont pas encore été bâchées et dont les toits se sont écroulés. Celles-ci tombent en miettes, avec leurs stucs, leurs décors, leurs portails, leurs autels et leurs confessionnaux. Les dégâts concernent la très grande majorité d’entre elles – dont l’importante Santa Maria Paganica –, à l’exception de Santa Maria di Collemaggio et Anime Sante, protégées par des dispositifs provisoires.
Par ailleurs, sur la fameuse liste établie durant le G8 (qui s’est tenu à L’Aquila en juillet dernier), seules dix adoptions de palais et édifices religieux ont été véritablement financées sur les quarante-cinq prévues. « Le patrimoine se meurt, déclare Gianfranco Cerasoli, responsable des biens culturels de l’UIL (Confédération italienne du travail) et membre du Conseil supérieur du ministère des Biens et des Activités culturels. Un palais historique de trois étages sur la via Pretatti, déjà touché, s’est écroulé en décembre à cause de l’eau et du poids de la neige. Et il n’est pas le seul. » L’homme énumère les graves retards qui touchent également la sécurisation des édifices privés (208, dont 39 dans d’autres communes touchées par le séisme). Les travaux sont achevés dans dix cas seulement, et cinquante-trois autres chantiers sont en cours.
Aucun contrôle effectué
Toujours d’après Gianfranco Cerasoli, les marchés publics pour soixante et onze églises des diocèses de L’Aquila, Teramo, Sulmona, Avezzano, Pescara-Penne et Chieti ont été fixés à 7 millions d’euros seulement, soit une sous-évaluation « préoccupante et anormale » de plus de 25 %. Et de citer le maire de Prata d’Ansidonia qui a dénoncé la dépense mal avisée de 98 000 euros pour l’église de San Nicola : l’argent a seulement servi à « passer une couche de stuc pour recouvrir les microlésions des enduits ». Les contrôles se font désirer, et ce notamment parce que la Surintendance des Abruzzes (et ses 230 employés) est totalement indépendante de la Protection civile qui, jusqu’à décembre 2009, n’avait que vingt techniciens à sa disposition. « À L’Aquila, tout est encore en suspens, constate Alessandra Mottola Molfino. On travaille dans un manque total de coordination. Les institutions ne collaborent pas entre elles et, du coup, la sécurisation des édifices peut faire courir des risques aux sites voisins. » Elle demande une loi spéciale pour coordonner le travail et les compétences du ministère, des communes, des régions et du commissariat pour la reconstruction de L’Aquila.
Il manque encore une banque de données partagée des biens artistiques et architectoniques de l’État, de la région et de la Conférence épiscopale, sans laquelle, indique Alessandra Mottola Molfino, rien ne peut se faire. L’ancien adjoint municipal à la culture d’Avezzano, Flavia De Sanctis, propose quant à lui la création d’une division culturelle pour les zones touchées par le séisme, qui pourrait bénéficier de financements européens – un projet que se partageraient la région des Abruzzes, la province de L’Aquila, l’université, le réseau national de surveillance sismique et le ministère des Biens et des Activités culturels. La création d’un « Musée du séisme » est également prévue. D’ici là, le centre historique de L’Aquila, vidé de ses habitants relogés dans la « nouvelle ville », risque de passer au second plan. Un danger également dénoncé par le Conseil supérieur du ministère des Biens et des Activités culturels présidé par Andrea Carandini.
Le commissaire adjoint pour la reconstruction, Luciano Marchetti, rappelle qu’il faudra 3 milliards d’euros pour restaurer le patrimoine historique et artistique, et dix ans de travail. Fin 2009, le ministère, les divers fonds régionaux et pôles muséaux avaient réuni 50 millions d’euros. En janvier, l’ACRI, l’association des caisses d’épargne et des fondations bancaires italiennes, a versé 12 millions d’euros à L’Aquila. La région de la Ligurie a contribué à la restauration de l’église aquilaine Santa Maria di Roio à hauteur de 1,5 million d’euros. Le FAI (Fonds pour la protection du paysage italien) a versé 750 000 euros pour remettre en service la célèbre fontaine des 99 cannelles.
Malgré cela, Gianni Chiodi, gouverneur de la région des Abruzzes et commissaire pour la reconstruction, se préoccupe de l’absence de fonds. Il a déjà présenté un plan pour la restauration des biens culturels en 2010 nécessitant 60 millions d’euros. Sa priorité : la réouverture de l’église Anime Sante et la protection, grâce à une structure spéciale en acier, de Santa Maria Paganica. Pour résoudre ces problèmes économiques, la présidente d’Italia Nostra fait une proposition radicale : « Pour reconstruire L’Aquila, utilisons l’argent affecté au pont de Messine, ouvrage pharaonique et inutile. »
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L'Aquila, ville fantôme
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Les pompiers installent une couverture sur l'église Anime Sante, à L'Aquila © Vigili del Fuoco
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°319 du 19 février 2010, avec le titre suivant : L'Aquila, ville fantôme