Sinistre

Au chevet de L’Aquila

Cinq élèves restaurateurs rentrent d’un chantier-école mené sur les décombres d’une église baroque

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 24 novembre 2009 - 652 mots

L’AQUILA - Le 6 avril 2009, un tremblement de terre d’une magnitude de 6,3 sur l’échelle de Richter dévastait la région des Abruzzes, en Italie, en particulier la ville de L’Aquila.

Outre un lourd bilan humain chiffré à près de trois cents victimes, les conséquences ont été dramatiques pour le patrimoine historique de la région, dont plus de quarante monuments se sont effondrés. Dès le 10 avril, des pourparlers étaient engagés par la ministre française de la Culture, Christine Albanel, pour lancer une coopération avec l’Italie. Le 16 avril, Didier Repellin, inspecteur général des Monuments historiques, chargé des bâtiments français en Italie, et Roch Payet, directeur des études du département des restaurateurs de l’Institut national du patrimoine (INP), étaient dépêchés sur place afin d’étudier les voies possibles d’une coopération franco-italienne. « Les Italiens ont accepté le principe sur la base d’un échange en termes de compétences », précise Roch Payet, déjà expérimenté en matière de sinistre pour être intervenu sur les chantiers du Parlement de Rennes (Ille-et-Vilaine) et du château de Lunéville (Meurthe-et-Moselle), tous deux ravagés par un incendie. Quelques mois plus tard, en juillet, le président du Conseil italien, Silvio Berlusconi, proposait aux chefs d’État étrangers réunis lors du G8 dans la ville sinistrée d’adopter un monument. « Avant de savoir quelle serait notre enveloppe budgétaire, notre choix s’est porté sur l’église Santa Maria Del Suffragio, qui était intéressante d’un point de vue méthodologique », explique Roch Payet. Reconstruite après le tremblement de terre de 1703 – avec un système antisismique mis à mal lors de travaux modernes –, l’église a perdu sa coupole, totalement effondrée. Estimés à 6,5 millions d’euros par les Italiens, les travaux de restauration seront pris en charge à parité par les deux pays. Roch Payet s’est ensuite posé une autre question : « Comment insérer des chantiers-école dans le cursus des opérations ? »

    Recrutés sur la base du volontariat, cinq élèves restaurateurs de l’INP ont été envoyés à L’Aquila, fin octobre, durant une semaine. Avec un objectif : rechercher des stucs sous les tas de gravats de la coupole, les trier et les conditionner, en mettant en œuvre un processus de fouilles archéologiques. Une situation nouvelle pour les élèves, confrontés pour la première fois à la réalité de l’urgence. « Nous avons découvert une ville fantôme avec un périmètre sécurisé gardé par des militaires », raconte Laure Vidal. Mais la plus grande surprise, pour Marie Peillet, est venue de la « grande rigueur de l’organisation ». « Dès le début du sinistre, tout ce qui était démontable a été évacué vers le Musée de Celano, confirme Roch Payet. Les brigades d’intervention italiennes comprennent des membres des services des biens culturels. Alors qu’on évacuait encore les blessés des décombres, tous les biens culturels ont été mis sous protection, tandis que les lieux étaient sanglés par des pompiers conscients des impératifs des restaurateurs. Ce modèle d’organisation mériterait d’être répandu en Europe. » Sur place, les élèves ont été encadrés par les membres d’une ONG, Legambiente, qui a su enrôler des professionnels volontaires, historiens de l’art, archéologues et restaurateurs. Si, techniquement, le bilan des élèves restaurateurs se réduit au traitement de seulement « 1,5 mètre de hauteur de gravats », l’expérience leur a permis de connaître une situation inhabituelle, en sortant de l’atelier pour agir face à l’urgence. Une manière, aussi, de relativiser l’enseignement théorique et d’éviter le dogmatisme. « L’intervention sur le dôme consistera à le reconstruire, souligne Roch Payet. Nos élèves se confrontent ainsi à la réalité du terrain et comprennent que la restitution dans le domaine de la restauration n’est pas le diable ! » À terme, l’école entend aussi former plus spécifiquement des « restaurateurs urgentistes », comme il existe des architectes urgentistes. En attendant, et pendant toute la durée de l’intervention française sur l’église de Santa Maria Del Suffragio, d’autres élèves pourront à leur tour s’affronter à la triste réalité de L’Aquila.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°314 du 27 novembre 2009, avec le titre suivant : Au chevet de L’Aquila

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