ROQUEBRUNE-CAP-MARTIN
Le chantier de restauration de la villa de la créatrice s’est étendu à l’ensemble des meubles et décors, restitués dans les moindres détails.
Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes). En 1929, l’architecte irlandaise Eileen Gray achevait la construction de la Villa E-1027, conçue pour elle-même et son compagnon, Jean Badovici. La vie de cette demeure exceptionnelle, nichée au-dessus des eaux transparentes de la Côte d’Azur à Roquebrune-Cap-Martin, a été mouvementée : au début des années 2000, ce chef-d’œuvre de l’architecture moderne était même devenu un squat. Grâce au mécène Michael Likierman et à une équipe d’architectes et d’artisans, la villa a désormais retrouvé son visage originel (lire le JdA no 567, 14 mai 2021).
L’urgence des travaux lancés en 2014 consistait à mettre hors d’eau les structures en béton de la villa et à trouver une solution pour les préserver : l’usage pionnier de la protection cathodique sur un monument historique, protection normalement réservée aux ouvrages d’art (ponts, digues…), a été retenu ici. L’ambition de cette restauration s’est étendue à l’ensemble du mobilier et des décors. « Il y a eu un débat pour savoir si on le faisait ou pas, se souvient Claudia Devaux, architecte du patrimoine spécialiste des bétons et chargée de la restauration. On a fait un prototype pour la salle de bains : c’était très convaincant. » L’idée séduit le comité scientifique, un panel de spécialistes choisis pour veiller sur l’opération, et l’équipe s’étoffe de deux autres architectes, tout entiers dévolus à la tâche de restituer ce mobilier : Renaud Barrès, fin connaisseur de la villa, à laquelle il a consacré son diplôme d’architecte et une thèse (en cours), et Burkhardt Rukschcio, architecte et historien de l’art autrichien couronné par un prix Europa Nostra pour ses restaurations des œuvres d’Adolf Loos.
Le tandem est complémentaire : l’un dispose d’une connaissance livresque de l’histoire de la villa de Roquebrune – il a travaillé pour la municipalité dès 1999 –, l’autre d’une expérience précieuse sur ce type de chantiers, et surtout d’un réseau d’artisans autrichiens capable de recourir aux techniques de 1929. Une ressource indispensable, puisque la majorité des meubles ont été reconstruits pour l’occasion. « On s’est demandé si l’on mettait des originaux, explique Renaud Barrès, mais le dernier fauteuil Bibendum d’Eileen Gray s’était alors vendu 650 000 euros. » Avec cet argument économique, allié au souci de bien faire, la reconstruction s’impose : une attention est portée aux moindres détails, en particulier à la restitution des matériaux originaux. Si le celluloïd, les toiles cirées d’ameublement ou le verre à pointe de diamant étaient autant de matériaux bon marché et industrialisés en 1929, il sont désormais rares. « Pour le verre à pointe de diamant, on a même dû faire fabriquer à la main un matériau qui était industriel », sourit Michael Likierman, fier du degré d’exigence mis en œuvre. Le souci d’exactitude s’étend à la reproduction du système électrique (fonctionnel) et sanitaire d’origine.
Pour mener à bien ce travail, la source principale des architectes a été un numéro de L’Architecture vivante, la revue éditée par Jean Badovici, entièrement consacré à la maison, mais composé uniquement de photos. Ces clichés, croisés avec des dessins, des observations quasi archéologiques sur site, d’autres photos issues des archives réunies par Renaud Barrès, ainsi que des relevés effectués sur des meubles originaux vendus aux enchères, donnent un tableau précis de l’état d’ameublement de la demeure en 1929. Prototypes de meubles, textiles, éléments décoratifs, tous dans leur état et matériau d’origine, peuvent désormais être admirés dans la villa E-1027.
Quant aux peintures murales de Le Corbusier réalisées en 1938 dans la villa, elles demeurent en place, malgré l’état de référence choisi, 1929. Sujet de débats académiques houleux, ces peintures auraient été réalisées sans le consentement d’Eileen Gray, qui ne les appréciait pas. La possibilité de les retirer a été un temps étudiée, mais la complexité technique de l’opération a vite enterré cette solution. Le comité scientifique décide alors de cacher certaines peintures. « Ça n’a pas été facile à expliquer [à la Fondation Le Corbusier], se souvient Michael Likierman, mais on leur a dit qu’ici c’était le seul endroit pour voir le génie architectural d’Eileen Gray. Des peintures de “Corbu”, il y en a ailleurs ! » Sur les quatre peintures, seule celle du salon principal est aujourd’hui masquée par une cloison. Renaud Barrès souhaiterait que la peinture de la chambre d’amis soit également dissimulée, afin de mettre en valeur les espaces de l’architecte : « Eileen Gray faisait des meubles de petite échelle, ce qui donne l’impression de grandes pièces. Au contraire, la peinture de Le Corbusier est surhumaine et rapetisse l’espace. »
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La Villa E-1027 a reconstitué le mobilier d’Eileen Gray
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°573 du 17 septembre 2021, avec le titre suivant : La Villa E-1027 a reconstitué le mobilier d’Eileen Gray