NARBONNE
L’ouverture du Musée Narbo Via permet à la ville de renouer avec son passé antique exceptionnel. L’architecture et la muséographie sont à la hauteur de son statut de cité majeure dans l’Antiquité.
Narbonne. Le passé romain se fait discret dans les ruelles du centre-ville de Narbonne. La sous-préfecture de l’Aude évoque davantage le décor d’une chanson de Charles Trénet, natif de la ville, que celui d’une ancienne métropole de l’Empire romain. La portion de la Via Domitia mise au jour au beau milieu de la place de l’hôtel de ville dans les années 1990 est l’une des rares manifestations du passé antique de la ville. Plaque tournante du commerce, capitale d’une province éponyme s’étirant des Alpes aux Pyrénées, placée sous la protection directe des empereurs, Narbo Martius, de son nom latin, était pourtant la « fille de Rome », stratégiquement placée à mi-chemin entre l’Italie et l’Espagne.
Si les traces des grands monuments romains sont fragmentaires, « la ville antique disparue est très présente dans la mémoire des habitants, assure Valérie Brousselle, directrice générale du nouveau Musée Narbo Via. «Dans ce territoire, tout le monde a déjà trouvé un vestige romain en creusant dans son jardin ! » Et il y a surtout cet ensemble de blocs lapidaires exceptionnels, réemployés dans les remparts médiévaux et renaissants, puis sauvegardés au XIXe siècle par des habitants réunis en une société savante. Longtemps, ces vestiges se sont laissé admirer dans la pénombre de l’église déconsacrée Notre-Dame de Lamourguier, à deux pas des halles de la ville. Les découvertes sur le site dit du Clos de la Lombarde, fouillé depuis 1974, occupaient quant à elles une douzaine de salles du palais des Archevêques.
Dispersé, peu visible, souterrain (à l’image de l’horreum, un entrepôt antique sauvegardé dans le sous-sol du centre-ville), le patrimoine romain de Narbonne méritait d’être montré en un lieu unique à la hauteur du statut de cette ancienne capitale de province. C’était en tout cas l’idée lancée en 2010 par Georges Frêche, président de la Région lorsque celle-ci s’appelait encore Languedoc-Roussillon, et Jacques Michaud, président de la Commission archéologique narbonnaise. 11 ans, 50 millions d’euros et une pandémie plus tard, le Musée Narbo Via a ouvert ses portes, à la faveur du déconfinement. Le bâtiment dessiné par l’agence Foster + Partners se dresse à l’entrée est de la ville, le long du canal de la Robine, qui reprend l’ancien lit de l’Aude où transitaient les marchandises venues d’Ostie ou d’Alexandrie.
Habitués aux ouvertures de musée, Anne Lamalle – directrice de la médiation venue du Louvre-Lens – et M’hammed Behel – directeur scientifique, auparavant directeur du Musée de Saint-Romain-en-Gall – ne sont pas mécontents de voir le lieu s’ouvrir graduellement, au rythme des jauges autorisées par le gouvernement, avant une inauguration plus formelle à la rentrée 2021. Pour l’équipe, c’est l’occasion de voir les Narbonnais se réapproprier peu à peu un passé qui fait partie de leur identité, mais dont la portée leur échappe encore : « Ce que les gens ne savent pas, c’est l’importance de cette province dans le monde romain » , souligne Valérie Brousselle. Ce sont aussi des conditions idéales pour tester et ajuster les dispositifs spectaculaires dont s’est doté l’établissement.
Le parcours commence sur un mur présentant les 1 500 bas-reliefs sculptés venus de Notre-Dame de Lamourguier, entreposés ici sur une immense étagère d’acier : une ouverture grandiose qui fait le pont entre la scénographie et la partie conservation-restauration du musée, car, de l’autre côté de l’étagère, ce sont les conservateurs que l’on voit s’affairer. Côté visiteur, le dispositif de présentation, adapté des entrepôts industriels, permet d’acheminer les bas-reliefs au centre d’un écran, qui diffuse un film relatif à chaque artefact. Une borne interactive contextualise aussi chacun des blocs en évoquant d’autres sites ou objets comparables : une « lapidothèque » pour l’instant incomplète, que la directrice souhaite enrichir avec le concours des visiteurs.
L’exposition permanente, découpée en cinq séquences, a la même ambition que ce mur hors norme : il s’agit de faire vivre au visiteur l’expérience d’une monumentalité disparue. Les gigantesques fragments du Capitole de Narbo Martius sont ainsi hissés sur des supports qui laissent imaginer les dimensions de l’édifice, deux fois plus vaste que la Maison Carrée nîmoise, ou le Temple d’Auguste et de Livie à Vienne.
La scénographie, signée par le studio Adrien Gardère, est entièrement structurée par les objets de la collection, textes et cartels intervenant dans un second temps. Passé les grands chapiteaux du Capitole, une série de bustes regardent le visiteur à hauteur d’homme et introduisent une séquence très réussie sur la société romaine. Devant une grande ancre en bois, restaurée par le laboratoire ARC-Nucléart de Grenoble, la visite s’achève sur les activités commerciales de Narbonne.
Les objets sont donc omniprésents, les outils numériques de médiation apportant un soutien discret mais nécessaire. Quatre alcôves rythment le parcours, où l’on découvre des films consacrés aux fouilles récentes et aux reconstitutions qui mettent en scène les dernières hypothèses de la recherche archéologique sur les sites narbonnais. Dans ces quatre pièces, le nouveau musée affirme son rôle de médiateur de la recherche. Des conventions cadres signées avec l’Inrap et le CNRS, ainsi que des partenariats noués avec quatre universités font de Narbo Via une interface entre chercheurs et visiteurs. Et pourquoi pas, même, jouer un rôle moteur dans la recherche… Ce sont les besoins du service de médiation pour la reconstitution numérique du Capitole qui ont poussé les chercheurs à reconsidérer leurs calculs quant à l’emplacement du monument.
Avec son architecture, qui rappelle à la fois la domus romaine et les couches stratigraphiques de l’archéologie, ses riches collections et son ambition scientifique, Narbo Via a tout pour réinscrire durablement Narbo Martius sur la carte de l’Antiquité en France. Modulable, le musée s’enrichira également au fil des découvertes archéologiques sur le territoire de la ville : les fouilles en cours dans les étangs narbonnais, autour du port de La Nautique, devraient alimenter ses cimaises de nouveaux trésors, et ses alcôves de nouvelles hypothèses.
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La Romanité retrouvée de Narbonne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°570 du 25 juin 2021, avec le titre suivant : La Romanité retrouvée de Narbonne