NARBONNE
Au Musée NarboVia, les découvertes archéologiques autour des ports de la Narbonne antique s’accompagnent d’un dispositif de médiation très physique.
Narbonne (Aude). Pour sa troisième exposition temporaire, le musée Narbo Via s’éloigne un peu des terres pour plonger dans les flots. Il ne faut pas aller très loin, ni très en profondeur pour faire surgir des eaux le passé maritime de Narbonne : les étangs qui séparent encore aujourd’hui la ville de la mer Méditerranée ont été ces quinze dernières années le terrain d’investigation des archéologues. Corinne Sanchez, archéologue au CNRS, qui dirige le programme de recherche sur le port antique de Narbonne, est la commissaire de cette exposition qui dépasse le simple compte rendu de fouille. Centré sur les découvertes faites dans les étangs de l’Aude, le parcours est complété par des fouilles menées le long de la côte occitane, afin de replacer l’antique Narbo Martius dans le contexte de routes commerciales denses et intenses.
Le parcours est divisé entre une approche locale, qui s’intéresse aux particularités de l’écosystème des étangs et aux premières formes de commerce avant la colonisation romaine, et une vision globale, incarnée par une monumentale carte du bassin méditerranéen soulignant les échanges qui relient les provinces romaines, des Cornouailles au Liban. Dans ce réseau, Narbo Martius occupe une place stratégique, point de connexion entre la façade méditerranéenne et l’Aquitaine, puis la côte atlantique. Une « plaque tournante » qui est un port d’import et d’export, mais aussi de transit.
Dans cette mondialisation avant l’heure, et à l’échelle de la Méditerranée, les cargaisons des navires se composent et se recomposent au fil des ports, comme l’a montré l’étude d’une dizaine d’épaves retrouvées de Port-Vendres (Pyrénées-Orientales) à Fréjus (Var). Présentées dans le détail, ces fouilles subaquatiques ont révélé la nature et l’intensité des échanges commerciaux sur les rives de la Méditerranée. Dans la même salle, une grande vitrine expose une partie du contenu de ces précieuses cargaisons, où figurent quelques éléments spectaculaires. On trouve ainsi de gros pains de verre brut, qui ne pouvaient être produits qu’en Égypte et étaient destinés à être refondus et remodelés, mais aussi une large fenêtre ronde en verre, miraculeusement intacte, qui aurait pu coiffer le dôme de thermes gallo-romains.
L’approche matérielle du passé est encouragée par des dispositifs olfactifs, des amphores que l’on ouvre pour découvrir le parfum plus ou moins agréable de leur cargaison, et des objets préhénsibles. Le meilleur moyen de se rendre compte du poids d’une amphore gauloise n’est-il pas de la soulever ? Cette médiation participative est également présente dans la partie pointue du parcours, consacrée à la construction navale, et dont les textes seuls – rédigés dans un jargon maritime – ne permettent pas une compréhension claire. C’est presque à une démarche d’archéologie expérimentale qu’est ici invité le visiteur, pour actionner le système reliant les planches d’une coque de bateau par exemple.
Plus spectaculaire encore, on peut lever une grande voile carrée, et pourquoi pas la rendre triangulaire grâce à un système de poids, pour profiter des vents. Cette médiation qui s’appuie sur des modes de compréhension manuels autorise un discours très scientifique, comme dans la présentation des fouilles de l’épave de Mandirac, un navire retrouvé au milieu d’une digue antique au cœur des étangs. La scénographie également engage physiquement le visiteur, en confrontant des échelles de grandeur, comme les restes en élévation de la jetée du port de Fréjus présentés à côté de jeux et petits objets de poche qu’emportaient les marins.
Au sortir du parcours, le meilleur complément à cette « immersion » dans la vie d’un marin gallo-romain sera une balade dans les étangs narbonnais, où les découvertes ne cessent d’éclairer le fonctionnement du port antique. Près de Gruissan, à l’île Saint-Martin, c’est un complexe de ravitaillement et de repos pour les marins de passage qui se dessine au fil des campagnes de fouilles. À Port-la-Nautique, un vaste vivier d’agrément laisse entrevoir la richesse de la villa maritime qui se trouvait à l’emplacement du petit port de plaisance actuel. Le musée Narbo Via propose ainsi des visites hors les murs, et même embarquées pour découvrir in situ les lieux-clefs de cet intense trafic maritime, aujourd’hui remplacé par de biens plus paisibles balades à vélo.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°637 du 5 juillet 2024, avec le titre suivant : À Narbonne, les ports disparus refont surface