PARIS
Dernière pierre du projet « Cluny 4 », le chantier muséographique est une petite révolution : fini l’ancien parcours présentant les techniques et les savoir-faire, ce sera désormais une exposition permanente chronologique et historique.
Paris. Les flâneurs du boulevard Saint-Michel connaissent depuis 2018 l’extension du Musée de Cluny, cet élégant cube couvert de panneaux de fonte aux tons ocre, qui abrite les 250 mètres carrés du nouvel accueil. Il leur reste désormais, à partir du 12 mai, à découvrir la muséographie totalement repensée qui se cache derrière la nouvelle entrée, remplaçant l’accès historique du musée à l’autre bout de la parcelle, dans la cour de l’hôtel des Abbés de Cluny. « Placer l’entrée à l’opposé, cela voulait forcément dire remanier le parcours de visite », fait savoir Séverine Lepape, directrice du musée depuis 2019.
Comme pour beaucoup de musées, à l’origine du grand chantier de Cluny envisagé en 2011, il y a l’enjeu de l’accessibilité. L’ensemble composé de l’hôtel médiéval du XVe siècle, des thermes romains du IIIe siècle et d’un ajout du XIXe siècle qui fait le lien entre les deux premiers, présentait vingt-huit ruptures de niveaux tout le long de l’espace d’exposition. La première, et la plus importante d’entre elles, à l’entrée du musée, a été résolue en 2018 grâce à l’extension dessinée par Bernard Desmoulin. Ce dernier a été associé à Paul Barnoud, architecte en chef des Monuments historiques, pour l’aménagement de la vingtaine de salles qui composent l’exposition permanente. Le studio Adrien Gardère (Louvre-Lens, Narbovia…) signe la nouvelle scénographie.
« C’est un chantier de mise en accessibilité physique, mais aussi intellectuelle », insiste la directrice des lieux. Largement modernisée, grâce à des supports en Viroc – un matériau composite de ciment et bois, qui donne une certaine aspérité au parcours –, l’exposition gagne largement en clarté visuelle en abandonnant la présentation « couloir de métro » des années 1960. La réouverture des fenêtres sur jardin (dans ce qui fut le premier hôtel « entre cour et jardin » de Paris) est une première révolution dans cette muséographie figée depuis plusieurs décennies.
Le changement le plus radical se voit dans la transition d’un parcours thématique vers une exposition chronologique, qui ancre Cluny dans sa vocation de Musée national du Moyen-Âge. Imaginée au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la muséographie des conservateurs Pierre Verlet et Francis Lalay reposait sur la question des techniques. Le musée devait alors se démarquer du Louvre, conservatoire du « beau », Cluny jouant ainsi le rôle de conservatoire des savoir-faire. L’empreinte du mouvement Art & Crafts était encore vivace au milieu du XXe siècle, et la vision d’un Moyen-Âge liée à l’artisanat, au travail du matériau s’imposait. La collection d’Alexandre Du Sommerard, qu’Honoré de Balzac appelait le « prince du bric-à-brac », se prêtait d’ailleurs parfaitement à l’exercice : son fils Edmond, premier directeur du musée en 1843, étendra considérablement cette collection en veillant à la représentation exhaustive des périodes, mais aussi des techniques.
Avec le départ des collections de la Renaissance au château d’Écouen au milieu des années 1970, le propos commence à se resserrer autour d’une période chronologique, mais l’organisation des salles par techniques ne bouge pas : orfèvreries, ivoires, sculptures, vitraux demeurent présentés chacun isolément. « Ce parcours est mis à mal car la collection s’enrichit, de nouvelles salles s’ouvrent comme la salle Notre-Dame, relate Séverine Lepape. Dès les années 1990, une réflexion a été lancée autour de salles qui raconteraient plutôt la vie quotidienne. »
Grâce à la nouvelle entrée, la visite s’ouvre directement sur le frigidarium des thermes romains : une introduction parfaite pour ce parcours chronologique, qui présente quelques objets de l’Antiquité tardive, et met surtout en valeur les volumes de l’édifice thermal. « On retrouve enfin une cohérence entre l’architecture et le déroulé du parcours », souligne la directrice. De la même manière, la chapelle de l’hôtel, chef-d’œuvre du gothique flamboyant, jouxtait dans l’ancien parcours la salle abritant le trésor de la cathédrale de Bâle, un ouvrage remarquable du XIIe siècle. C’est désormais la salle de la fin du XVe siècle qui précède la chapelle, contextualisant plus justement cet incontournable de la visite.
« Décloisonner » et « recontextualiser », sont les deux mots d’ordre du nouveau parcours. Auquel on peut ajouter « reconstituer » : une nouvelle salle consacrée à la Sainte-Chapelle permet ainsi de rassembler les artefacts liés à l’édifice en un seul et même endroit, alors qu’ils se trouvaient auparavant disséminés dans les salles « orfèvrerie », « sculpture », « vitraux ». La conclusion du nouveau musée offre également une recomposition d’un chœur liturgique, en exposant dans son intégralité (et pour la première fois) les tapisseries de l’histoire de saint Étienne, auxquelles sont adjointes les stalles de la collégiale de Saint-Lucien de Beauvais : une plongée roborative dans l’art sacré du dernier quart du XVe siècle.
Le musée conserve tout de même deux passages thématiques : un premier sur les armes, les tournois et la chasse, rendez-vous attendu par les visiteurs et que les collections du musée permettent d’illustrer de manière très complète. Une seconde salle déploie la collection des émaux de Limoges, l’une des plus riches au monde, mettant en valeur la diffusion et l’utilisation de ces objets de prestige. Comme un souvenir, la salle de la Dame à la licorne est précédée d’une petite vitrine garnie de coffrets, qui évoque l’ancienne muséographie typologique, mais qui fait aussi un clin d’œil au coffret représenté sur la fameuse tapisserie, dont le secret n’a toujours pas été percé. « Nous n’avons pas à rougir de cette identité, il faut assumer le poids de nos collections en repositionnant ces techniques dans le temps long », explique Séverine Lepape. Les biais techniques de la collection sont encore perceptibles dans ce parcours chronologique, où certaines salles sont dominées par les ivoires, d’autres par la sculpture. L’identité complexe du musée continue aussi de subsister avec le même nombre d’objets exposés, autour de 2 000. Comme dans le nouveau Musée Carnavalet, Cluny n’a pas choisi l’option très répandue de l’épure : « On parie sur l’intelligence des visiteurs », gage la directrice.
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La nouvelle muséographie du Musée de Cluny
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°588 du 29 avril 2022, avec le titre suivant : La nouvelle muséographie du Musée de Cluny