PARIS
Gardien de la célèbre Dame à la licorne, le Musée national du Moyen Âge à Paris, rouvre ses portes le 12 mai 2022 dans un bâtiment rénové et un parcours entièrement repensé.
C’est un élément architectural qui détonne dans le paysage parisien. Imaginez un peu : un patchwork unique mêlant un prestigieux hôtel particulier médiéval, un bâtiment néo-roman et une élégante extension contemporaine, le tout connecté à une silhouette qui interpelle le passant qui ne s’attend pas le moins du monde à tomber nez à nez, au détour d’un boulevard haussmannien, sur un immense vestige gallo-romain. Avec leurs voûtes s’élevant à plus de quatorze mètres, les thermes de Cluny comptent en effet parmi les vestiges antiques les plus monumentaux du Nord de l’Europe. Pourtant, pour les amateurs d’art et d’histoire, ce site n’est pas synonyme d’Antiquité, mais bien de Moyen Âge. Et pour cause, il abrite la collection nationale d’art médiéval, dont nombre d’œuvres de renommée mondiale, telle la célébrissime Dame à la licorne.
Né en 1843 de la fusion de plusieurs collections à la colorature différente, l’établissement abrite aujourd’hui 24 000 œuvres couvrant un millénaire d’histoire. Elles proviennent essentiellement de la collection d’Alexandre Du Sommerard, immense amateur qui a joué un rôle décisif dans la redécouverte du Moyen Âge au XIXe siècle, ainsi que du dépôt lapidaire de la Ville de Paris. Ce musée incontournable était étrangement le grand oublié des nombreux chantiers de rénovation qui ont amélioré la physionomie de tant de musées. Il était en effet le seul musée national de la capitale à ne pas avoir bénéficié de travaux de modernisation. Sa muséographie était même, à peu de chose près, identique à l’accrochage imaginé dans les années 1950 ! Autant dire une éternité. Sa rénovation relevait ainsi autant de la nécessité absolue que du numéro d’équilibriste puisqu’il fallait préserver le charme unique de ce lieu tout en le rendant accessible. Littéralement accessible, car avec vingt-huit différences de niveaux, le musée était pratiquement interdit aux personnes à mobilité réduite. Les équipes de Cluny ont logiquement saisi la balle au bond lors de la promulgation des lois sur l’accessibilité pour lancer enfin des travaux. Objectif revendiqué : atteindre l’accessibilité physique, mais aussi intellectuelle.
De fait, la refonte ne s’est pas limitée à ce chantier de mise aux normes. Le projet a également intégré un volet de restauration patrimoniale portant sur les thermes, mais aussi sur la chapelle des abbés de Cluny. Cette pépite du gothique flamboyant a ainsi pu réintégrer le circuit de visite après un spectaculaire chantier portant sur sa toiture, ses verrières et son décor intérieur. Ses belles peintures murales ainsi que son riche décor sculpté ont retrouvé tout leur éclat. Plus largement, le musée a été repensé de fond en comble et ses collections redéployées dans un parcours de vingt-et-une salles déployant 1 600 œuvres. Ce circuit inédit retrace un millénaire d’histoire en évoquant la diversité de ses productions : des vitraux aux jeux en passant par la peinture, les retables sculptés, les statues monumentales, les objets de dévotion, sans oublier les reliques. Le parcours, très cloisonné, hérité de l’après-guerre, et son organisation par techniques ont cédé le pas à un accrochage chronologique et pluridisciplinaire. Cette présentation, mêlant les différentes productions d’une même époque, offre un dialogue fructueux et plus lisible. Le circuit ménage aussi de remarquables focus sur des genres et des monuments singuliers. La salle Notre-Dame, conçue après la découverte fortuite dans les années 1970 des sculptures de la cathédrale de Paris vandalisées lors de la Révolution, a ainsi conservé son aménagement. Une autre salle monographique a été pensée pour réunir les différents éléments provenant de la Sainte-Chapelle. Vitraux, sculptures et reliquaire jadis disséminés dans différentes salles sont désormais réunis de manière cohérente dans un espace reconstituant l’esprit de ce bâtiment emblématique. Autre exception au parti chronologique, les émaux de Limoges bénéficient d’une salle rien que pour eux. Cette pièce à l’atmosphère tamisée joue à fond la carte du trésor d’église avec sa collection prolifique. Cette densité spectaculaire rappelle l’accrochage historique du temps du fondateur du musée, le fameux « bric-à-brac » d’Alexandre Du Sommerard qui avait frappé Balzac.
Hormis ces quelques exceptions, le parcours déroule un discours chronologique aussi efficace que poétique. La grande salle consacrée à l’art roman constitue par exemple un temps fort avec sa réunion de chapiteaux sculptés, de vitraux, de fresques, sans oublier la sculpture en bois. La recréation d’une forêt de chapiteaux historiés exposés à hauteur d’œil permet de contempler au plus près la finesse de cette dentelle de pierre et de se perdre dans ses délicats rinceaux. Le musée a aussi tiré profit de sa refonte pour mieux valoriser certains ensembles dont l’art italien et les realia. Les objets du quotidien occupent en effet une place considérable dans ses collections. Pour sa réouverture, le musée a clairement mis l’accent sur ce fonds très incarné. Jeux de cartes, armes, objets précieux, vaisselle et même une improbable dînette nous brossent un portrait sensible et attachant de nos lointains ancêtres.
Cluny, un musée du XXIe siècle
Ajouter une nouvelle strate à cet exceptionnel millefeuille historique, bâti au demeurant sur un terrain archéologique, relevait de la gageure. L’architecte en charge du projet d’extension et de modernisation a toutefois su relever ce défi avec élégance et sobriété. À la manière d’un pendant contemporain aux thermes, le pavillon imaginé par Bernard Desmoulin adopte ainsi le rythme de l’élévation antique. Érigé sur des micropieux pour permettre les fouilles, ce pavillon de 600 m2 offre de nouveaux espaces d’accueil plus fonctionnels. Il dessert également les différents niveaux grâce à des rampes et des ascenseurs qui permettent de repenser la circulation jadis labyrinthique. Plus visible et chaleureux, le nouveau bâtiment comprend également des espaces pédagogiques, mais aussi de nouveaux équipements incontournables dans un musée du XXIe siècle, à l’image des espaces de régie des œuvres. Le bâtiment est orné d’une délicate guipure métallique qui reprend le motif sculpté de la chapelle gothique. Un clin d’œil qui permet de faire entrer davantage de lumière dans le musée.
Isabelle Manca-Kunert
Musée de Cluny, musée national du Moyen Âge,
réouverture le 12 mai 2022. 28, rue Du-Sommerard, Paris-5e. Tous les jours sauf le lundi, de 9 h 30 à 18 h 15, nocturne certains jeudis jusqu’à 21 h. Tarifs : 12 à 10 €, www.musee-moyenage.fr
Véritable chef-d’œuvre de la sculpture gothique, cette statue haute de deux mètres constitue une rare représentation de nu au XIIIe siècle. Inspiré des canons esthétiques de l’Antiquité, cet Adam, probablement exécuté par Pierre de Montreuil, ornait originellement le revers de la façade sud du transept de Notre-Dame de Paris. Déplacé à la Révolution, il a subi de nombreuses restaurations, car ses bras et ses jambes ont été cassés. Il a toutefois eu plus de chance qu’Ève qui a tout simplement disparu.
La Dame à la LicorneCette immense tenture de la toute fin du Moyen Âge est assurément la Joconde du musée. Les six tapisseries qui la composent sont immédiatement reconnaissables grâce à leur programme représentant les six sens et à leur décor paradisiaque. La célébrité de cet ensemble tient aussi à la beauté de son personnage principal, cette élégante dame, mais aussi au mystère qui nimbe cette œuvre. La personnalité du commanditaire tout comme l’interprétation de ce sixième sens continuent en effet de faire débat.
Couronnes du trésor de GuarrazarMoins riche que les pléthoriques fonds des XIVe et XVe siècles, la collection du haut Moyen Âge brille cependant par la préciosité de ses pièces provenant de Constantinople, des cours mérovingiennes ou encore des rois wisigoths. À l’instar de ces couronnes qui sont considérées comme d’irremplaçables chefs-d’œuvre de l’orfèvrerie des premiers royaumes de l’Occident chrétien. Ces pièces rarissimes ont traversé les siècles, car elles ont été enfouies lors de l’invasion de l’Espagne au VIIIe siècle.
Samson et le lionLe musée conserve plusieurs éléments démontés lors de la restauration de la Sainte-Chapelle de Paris au XIXe siècle. Le nouveau parcours permet de contempler dans le détail un de ses vitraux, qui offre un exemple saisissant des techniques de composition des verriers qui parvenaient à rendre une scène parlante grâce à quelques détails seulement. La gestuelle dynamique du héros ainsi que le soin accordé au décor végétal permettaient au fidèle d’identifier instantanément l’épisode biblique représenté.
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Le Musée de Cluny, à Paris
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°754 du 1 mai 2022, avec le titre suivant : Le Musée de Cluny, à Paris