Klimt et Moser au seuil du siècle, Schiele et Kokoschka à la veille de la Grande Guerre, quatre personnages clés des derniers feux de l’Empire. Entre reconnaissance publique, scandales, succès et concentration de pouvoirs, leurs parcours ne cesseront de se croiser, de s’encourager et... de se distinguer.
En ce début de siècle à Vienne, les jeux de protection et de réseaux sont légion. Klimt alors au sommet de son succès, porte un regard bienveillant et enthousiaste sur la jeune génération et sur le jeune Schiele en particulier. Quant à Kolo Moser, enseignant à la très progressiste école des arts décoratifs, son influence permettra aux artistes en devenir de s’impliquer dans les projets engagés par la Wiener Werkstätte qu’il dirige avec l’architecte Josef Hoffmann. C’est le cas de Schiele comme de Kokoschka. Klimt intercède également en faveur de ce dernier pour qu’il participe à l’exposition de la Kunstschau de 1908. L’année suivante, il y introduit Schiele, à peine rencontré. En retour, le jeune artiste fait apparaître la figure protectrice du peintre dans quelques-uns de ses dessins, et Kokoschka dédicace au maître son conte illustré Les Garçons rêveurs en 1908. Mais les contacts réels entre les deux générations restent rares. Tous quatre nés à Vienne ou dans les environs, issus d’une formation académique solide et disparus pour trois d’entre eux en 1918, les similitudes de parcours s’arrêtent là ou à peu près. Et si les deux aînés cultivent une solide amitié, les cadets ne s’entendent que de loin.
Klimt, le prince des peintres
Lorsqu’en 1897, Klimt (ill. 6) fonde la Sécession, il est déjà un personnage central de la vie culturelle viennoise. Admis dans l’entourage du maître de la peinture historique des années 1870, Hans Makart (1840-1884), il obtient très vite des commandes publiques. L’inflexion nouvelle prise par sa peinture dans les années 1890 lui confère progressivement un nouveau statut. La quasi-totalité de ses clients sont de très riches industriels, qui ne cesseront de le soutenir, même durant la longue campagne de dénigrement dont il fera l’objet à propos des peintures des facultés au début du siècle. Mais l’épisode le laissera amer. Les années 1910 lui apporteront le succès, alors que l’artiste adopte une manière plus distante et devient le peintre de la haute société, représentant notamment femmes et filles de ses enthousiastes mécènes.
Moser l’intransigeant
Koloman Moser (ill. 7, 8) est de ceux qui fréquentèrent le Café Sperl dans les années 1890, partageant avec Hoffmann et Olbrich les conditions de préparation de la Sécession. Figure de proue du brillant graphisme viennois, ce sont les orientations naturalistes défendues par la Sécession qui le poussent à la rupture en 1905. Et nouvelle rupture en 1907, lorsqu’il quitte la Wiener Werkstätte qu’il a pourtant initiée. Regrettant les permanentes difficultés financières et les projets trop divers, tenant « trop compte du goût de la clientèle », il se consacre dès lors à la peinture et à l’enseignement. Son départ de l’Atelier viennois hâte la dislocation de son unité de style, d’autant que Moser semblait maître d’un ferme réseau de mécènes. Il avait lui-même épousé Ditha Mautner von Markhof, issue d’une riche famille applaudissant à la Sécession.
Kokoschka l’indocile
C’est Kokoschka (ill. 9, 10) qui, étudiant à l’école des arts décoratifs, menaça de se suicider avec un couteau de boucher si sa bourse lui était refusée, puis qui se rasa le crâne lorsqu’on la lui supprima. Lui qui fit réaliser une poupée grandeur nature à l’effigie d’Alma Mahler après leur rupture et la fit décapiter lors d’une performance orgiaque. Lui encore qui provoqua scandale et bagarres en 1909 lors de la représentation de sa pièce de théâtre. Lui qui, enfin, s’engagea en 1915 et fut laissé pour mort au front. Kokoschka l’indocile n’eut pourtant que peu de mal à convaincre son public. Sa soif de reconnaissance, l’inébranlable certitude de son talent et l’appui vigoureux de quelques amis, parmi lesquels Karl Kraus et Adolf Loos lui offrent une place relative dans les microcosmes artistiques berlinois et viennois dès les années 1910. Il s’installe pourtant dans les années 1920 à Dresde pour y enseigner, et se fixe en Suisse après la guerre, pour y poursuivre une peinture soucieuse – sans doute la seule des quatre artistes – des tensions du monde.
Schiele l’individualiste
Peu avant sa mort, Schiele (ill. 11, 12) remporte un vif succès lors de la 49e exposition de la Sécession. Klimt disparu, il s’apprête à devenir l’une des figures viennoises centrales. Mais c’est au seuil des années 1910, après un premier début de reconnaissance que l’on trouve les lignes susceptibles d’épicer l’histoire de sa vie. Il est alors installé à la campagne avec la jeune Wally, fait poser des enfants, accentue la volupté et l’érotisme trouble de ses dessins. Il vit hors norme, tendu vers son art. Arrêté en 1912, il passe vingt-quatre jours en prison, suspecté de détournement de mineur. À son retour à Vienne, Schiele, dont l’esprit dissipé se traduit dans l’auto-analyse brutale et impérieuse affichée par ses dessins, se marie et s’intègre à la puissante concentration culturelle viennoise. Sa femme, alors enceinte, est emportée par la grippe espagnole. Il s’éteint trois jours après elle.
- Gustav Klimt (1862-1918), - Koloman Moser (1868-1918), - Oskar Kokoschka (1886-1980), - Egon Schiele (1890-1918) 1890-1892. Klimt réalise des peintures allégoriques pour l’escalier du musée d’Histoire de l’art de Vienne. 1897. Gustav Klimt cofonde la Sécession viennoise aux côtés de Kolo Moser, Josef Hoffmann, Joseph Maria Olbrich, Carl Moll et quelques autres. Il en est nommé président. 1899. Moser est appelé à donner des cours à l’école des arts décoratifs. 1900. Début des attaques virulentes dont Klimt fera l’objet durant sept ans à propos de ses panneaux réalisés pour l’Aula Magna de l’université, jugés blasphématoires. 1903. Exposition impressionniste organisée par la Sécession qui aura une influence profonde sur Klimt comme sur Moser et Kokoschka. Moser cofonde avec Josef Hoffmann la Wiener Werkstätte. 1905. Klimt, Moser et quelques autres se retirent de la Sécession viennoise. Ils se regroupent autour de Klimt. 1907. Moser se retire de la Wiener Werkstätte. 1908. Inauguration du Kunstschau à Vienne. Première véritable présentation des toiles de Kokoschka au public. Scandale. 1909. Klimt en termine avec la frise du palais Stoclet à Bruxelles. Schiele quitte l’Académie et fonde le Neuekunstgruppe. Il expose à la Kunstschau et collabore avec la Wiener Werkstätte. 1911. Succès sulfureux de Kokoschka au Hagenbund à Vienne. 1912. Egon Schiele passe 24 jours en prison pour délits moraux. 1912-1915. Liaison tumultueuse de Kokoschka avec Alma Mahler. Il peint en 1914 La Fiancée du vent. 1915. Kokoschka est grièvement blessé au front. Schiele épouse Edith Harms. 1918. Le 6 février, Gustav Klimt meurt d’une congestion cérébrale. Schiele triomphe lors de la 49e exposition de la Sécession. Mort de Kolo Moser, le 18 octobre. Le 31 octobre, Egon Schiele est emporté par la grippe espagnole. 1920-1924. Kokoschka enseigne à l’académie de Dresde. 1939. Kokoschka s’exile à Londres. 1953. Kokoschka se fixe définitivement en Suisse jusqu’à sa mort en 1980.
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Klimt, Moser, Kokoschka, Schiele
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°573 du 1 octobre 2005, avec le titre suivant : Klimt, Moser, Kokoschka, Schiele