Art moderne

SÉCESSION VIENNOISE

Lausanne fait peau neuve avec les modernes viennois

LAUSANNE / SUISSE

Le Musée cantonal des beaux-arts a réuni, pour une première grande exposition dans ses nouveaux lieux, les œuvres de Klimt, Schiele et Kokoschka considérées sous l’angle de la « peau ». Pertinent lorsqu’il s’agit des corps, le thème se perd dans les paysages et pièces de mobilier.

Lausanne. Klimt, Schiele et Kokoschka : trois artistes- « sésames » qui riment avec succès public pour un musée. Pour sa première grande exposition temporaire, le Musée cantonal des beaux-arts (MCBA), installé dans ses nouveaux quartiers depuis l’automne dernier non loin de la gare de Lausanne, a donc joué la carte de la sécurité : il a convoqué ces grands noms du modernisme viennois pour monter, en lien avec des institutions autrichiennes et des collections privées suisses, une exposition autour de la Vienne de 1900. Il s’agit cependant, comme l’énonce Catherine Lepdor, la commissaire vaudoise de cette exposition, de « dépasser l’opposition classique entre les générations de Gustav Klimt, d’Egon Schiele et d’Oskar Kokoschka, entre symbolisme et expressionnisme dans la peinture et le dessin ». C’est pourquoices créations sont ici explorées sous l’angle de la peau, « surface sensible grâce à laquelle les modernes viennois vont redéfinir les rapports entre l’homme moderne et le monde ». Le parcours de « À fleur de peau, Vienne 1900 », qui se déploie sur deux étages du musée, est donc articulé en 180 œuvres et six sections qui abordent par tous les pores cette thématique originale.

« Peaux colorées »

Au dévoilement des chairs et à la nudité nouvellement abordée par un Klimt – avec ses dessins de femmes enceintes dénudées – ou par les architectes de Vienne qui prônent la « nudité » des façades sans ornements, succèdent les portraits et les nus de Schiele où les corps en torsion et les visages émaciés se colorent par touches. Les points aquarellés de rouge de ces « peaux colorées », censés retranscrire sur les corps les zones de l’émotion, contrastent avec les sévères nus académiques d’après modèles exécutés durant la formation de ces artistes à l’École des beaux-arts de Vienne.

On retrouve dans le chapitre suivant Schiele, que le romancier autrichien Robert Musil, son contemporain, se plaisait à qualifier de « vivisecteur de l’âme ». « Sous la peau » met en lumière la fascination de cette école viennoise pour l’anatomie et pour le dessous de l’épiderme : un réseau de veines où pulse le sang, un tissu de nerfs, de muscles. Pour preuve, les portraits de Kokoschka, riches en matière picturale, où les visages des modèles sont creusés par les sillons des rides et comme marquetés de vaisseaux sanguins. La représentation réaliste et sans concession de ces visages et corps est cependant vite contredite par les « peintures de l’âme » exposées à l’étape suivante : les halos de lumière qui émanent des visages et des silhouettes dans les peintures de Max Oppenheimer ou dans les autoportraits de Richard Gerstl trahissent l’intérêt de ces artistes adeptes des sciences occultes pour les auras, les ondes invisibles autour des corps. Souvenir de Kokoschka, une modeste aquarelle du compositeur Arnold Schönberg représente deux yeux, l’un fermé, l’autre ouvert, et tente de dépeindre le créateur dans son enveloppe charnelle comme dans son intérieur.

Plus difficile à suivre pour le visiteur est la trace de la peau dans les tableaux de paysage de Klimt et Schiele, représentations austères et oppressantes de forêts, villages ou jardins luxuriants. Puis l’argumentaire de l’exposition se perd définitivement de vue au dernier étage du musée. Là s’ouvre un chapitre consacré aux arts appliqués des Wiener Werkstätte : hormis le jeu de mots de son intitulé, « Bien dans sa peau », qui fait allusion à la réforme du cadre de vie à travers la création d’un mobilier confortable et hygiénique par ces « ateliers viennois » fondés en 1903 par un groupe d’artistes et d’artisans, on cherche en vain le rapport avec le thème central de l’exposition. D’autant qu’aucune attention spécifique ne semble portée aux matériaux, à l’« épiderme » de ces pièces de mobilier et objets de décoration. On regrettera donc que la tentation de mettre en scène des chefs-d’œuvre ait finalement pris le pas sur la cohérence et la pertinence du propos initial.

À fleur de peau, Vienne 1900. De Klimt à Schiele et Kokoschka,
jusqu’au 23 août, Musée cantonal des beaux-arts, place de la Gare 16, Lausanne.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°549 du 3 juillet 2020, avec le titre suivant : Lausanne fait peau neuve avec les modernes viennois

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