Le Grand Palais revient sur cette période faste de création dans la capitale de l’empire austro-hongrois. À côté de Klimt, Schiele et Kokoschka, il dévoile le travail méconnu de Koloman Moser.
Gustav Klimt (1862-1918), Oscar Kokoschka (1886-1980), Egon Schiele (1890-1918) et Koloman Moser (1868-1918), ou le quarté gagnant de la peinture à Vienne à l’aube du XXe siècle. C’est en tout cas la thèse de Serge Lemoine, chef d’orchestre de l’exposition « Vienne 1900, Klimt, Schiele, Kokoschka, Moser » présentée jusqu’au 23 janvier 2006 au Grand Palais. Le commissaire a opté, comme lors de la rétrospective « Le Néo-impressionnisme » organisée au printemps au Musée d’Orsay, pour une approche strictement formaliste du sujet. Se concentrant sur la période 1890 - 1918, il a scindé le parcours en trois grands axes : « Histoires », « Paysages » et « Figures ».
Le bouillonnement créatif de Vienne en 1900 n’est pas le sujet de l’exposition. Ici on découvre le cheminement de quatre artistes sécessionnistes, tous issus de l’une des prestigieuses académies d’art de Vienne : l’innovante Kunstgewerbeschule (École des arts appliqués) pour Klimt et Kokoschka ; la plus traditionnelle Akademie der bildenden Künste (Académie des beaux-arts) pour Schiele et Moser. Si le tandem Klimt-Schiele ou l’expressionnisme sauvage d’Oscar Kokoschka ne constituent pas une découverte, Koloman Moser a, en revanche, rarement l’honneur d’être exposé en France, a fortiori sur le même plan que ses trois contemporains. Sans doute le choix des œuvres rend-il cette confrontation inégale, tant Klimt a tenu un rôle de meneur, voire de dominateur. La volonté du mouvement de créer des œuvres chargées de sens et de symboles, dans une esthétique nouvelle, est lisible dans « Histoires ». Parmi ces compositions allégoriques, on retrouve la Vérité nue, par Klimt, l’Agonie, de Schiele, Tristan et Iseult, par Moser, ou l’Annonciation de Kokoschka. Là où Klimt use de son style décoratif et ornemental, peuplé de femmes, à grand renfort de cadres réalisés sur mesure, chargés d’or et de couleurs vives, Schiele décline le pathos dans des dégradés de noirs et de bruns au sein de compositions acérées (Cardinal et religieuse (Caresse), 1912). Adepte des couleurs claires aux tons pastel, Moser délimite ses corps de traits foncé et doré, leur donnant un aspect irréel, tandis que Kokoschka superpose les épaisseurs de peinture ad libidum pour un résultat brut, voire pâteux. La prééminence de Klimt apparaît dans l’intimité d’une petite salle, où l’on peut à la fois admirer Danaé (1907), Judith II (Salomé) (1909) et Les Trois Âges de la vie (1905). Un privilège rare…
Patchworks et assemblages
La tradition ornementale et décorative de Klimt est également identifiable dans ces paysages où fleurs, fruits, arbres et prairies ne font qu’un pour composer un patchwork de verdure : le célèbre Rosier sous les arbres (v. 1905), seule toile de l’artiste détenue dans les collections nationales françaises (Musée d’Orsay), mais aussi Champ de coquelicots (1907), Jardins et sommet de montagne (1916) et Forêt de sapins I (1901), dans lequel les troncs dénudés tissent leur toile. Egon Schiele, lui, construit une surface quadrillée en imbriquant les maisons de Krumau. L’angularité et la géométrie de ces compositions contrastent singulièrement avec les paysages de montagne convenus de Moser. Absent de la sélection des « Paysages », Kokoschka donne allégrement le change dans la section « Figures ». Encore une fois, le caractère physique, presque brutal, de ses toiles prend le dessus sur ses sujets. Pauvre Alma Mahler… (La Poupée (Alma Mahler), 1918). Qu’il s’agisse d’Eduard Kosmack, d’Erich Lederer ou d’Edith Schiele son épouse, Egon Schiele aborde tous ses modèles de la même manière. L’arrière-plan est suggéré, lorsqu’il n’est pas inexistant, tandis que la composition est centrée sur le sujet. Les portraits de Schiele les plus réussis sont ceux où il est son propre modèle. Si cette série d’autoportraits vaut par sa mise en relief des chairs, le regard de Schiele est perçant. Discrète, la salle réservée aux dessins fait honneur à l’artiste. Production presque automatique car vitale chez Klimt, le dessin prend une forme plus aboutie chez Schiele. Ses corps contorsionnés et ses couleurs vives dégagent une force telle que les nus féminins et sensuels de Klimt paraissent bien pâles en comparaison. Dans la salle finale, le Portrait de Mäda Primavesi (v. 1912) de Klimt finit d’enfoncer le clou : la frontalité du personnage et l’éclat des couleurs s’accordent parfaitement avec la posture décidée de la jeune fille, dont l’apparente effronterie n’était certainement pas convenable pour l’époque. Tout comme l’audace des peintres de la Sécession.
Jusqu’au 23 janvier 2006, Galeries nationales du Grand Palais, square Jean-Perrin, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, www.rmn.fr, tlj sauf mardi 10h-20h, 10h-22h le mercredi. Catalogue, RMN, 368 p., 250 ill. couleurs, 45 euros, ISBN 2-7118-4924-4 - Commissaire : Serge Lemoine, assisté de Marie-Amélie zu Salm-Salm - Muséographe : Jean-François Bodin - Nombre d’œuvres : 91 tableaux ( 26 Klimt, 15 Kokoschka, 16 Moser, 34 Schiele) ; 55 dessins (19 Klimt, 11 Kokoschka, 4 Moser, 21 Schiele) - Mécène : LVMH
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Lorsque Vienne faisait Sécession
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°223 du 21 octobre 2005, avec le titre suivant : Lorsque Vienne faisait Sécession