ZÜRICH / SUISSE
La nouvelle extension du musée des beaux-arts zürichois, signée David Chipperfield Architects, s’harmonise avec le bâtiment originel de style Sécession viennoise. Cette aile abritera, entre autres collections privées, la très controversée Collection Bührle.
Zürich. C’est un chapitre long de vingt ans qui s’est clos en décembre 2020, au grand soulagement de Christoph Becker, le directeur du Kunsthaus Zürich, qui avait présenté la première mouture du projet d’extension en 2001. Douze ans après le lancement du concours d’architecture et les multiples recours déposés, le chantier coûteux de cette seconde aile du Kunsthaus (206 millions de CHF, soit 170 M €), au financement pour moitié privé (apporté par la Société des arts de Zürich) et pour moitié public (la Ville et le canton de Zürich), est achevé. Le bâtiment n’ouvrira au public qu’au printemps 2021, avec la présentation de performances artistiques et, officiellement, une fois l’accrochage des œuvres réalisé, en septembre prochain.
Déjà la nouvelle réalisation architecturale est l’attraction de Zürich. Trônant dans le haut de la ville sur la Heimplatz où siège aussi le renommé théâtre « Schauspielhaus », juste en face du « Altbau », le musée originel auquel elle est reliée par un souterrain long de 70 mètres, la nouvelle extension est signée de l’agence anglaise David Chipperfield Architects.
Tout a été pensé pour donner un caractère homogène à cet ensemble muséal : à la façade monumentale en pierre blonde du Kunsthaus élevé en 1910 par l’un des acteurs de la Sécession viennoise, Karl Moser, répond l’architecture minimaliste de l’extension de Chipperfield, soit un grand cube aux façades de calcaire ajourées que vient orner une imposante porte dorée. Une réalisation qui semble osciller entre légèreté et présence massive et ne laisse pas indifférent.
Les clins d’œil à la Sécession viennoise se poursuivent à l’intérieur du bâtiment encore vide où le béton, le chêne et le marbre blanc dominent, notamment avec l’usage du laiton dans les éléments de décoration. Le volume des espaces d’exposition et des espaces dévolus à l’accueil du public est impressionnant : l’immense hall d’entrée, destiné à accueillir événements et performances, se termine par un large escalier et s’ouvre en hauteur sur les coursives des étages supérieurs. Avec cette extension, c’est 20 % des œuvres de la collection qui vont pouvoir être exposées, soit deux fois plus qu’avant. La surface a quant à elle plus que doublé, atteignant 11 500 m² et faisant de facto du Kunsthaus Zürich le « plus grand musée de Suisse » en termes d’espaces. Les ambitions en matière de fréquentation sont à la hauteur de ces chiffres : 400 000 visiteurs annuels (contre 270 000 comptabilisés en 2019).
C’est la seconde fois que le Kunsthaus est agrandi par une extension. La première fois, c’était en 1958, dans le but d’augmenter ses espaces d’exposition : Emil Bührle, alors « l’homme le plus riche de Suisse », l’avait financée à lui seul à hauteur de 6 millions de francs suisses. Dans quelques mois, l’extension Chipperfield accueillera justement la collection de ce magnat de l’industrie d’armement d’origine allemande et naturalisé suisse : près de 200 œuvres signées des plus grands impressionnistes français, jusque-là conservées de manière confidentielle dans une villa cossue de Zürich, y seront exposées dans des espaces réservés à cet effet. Grâce à ce prêt de longue durée, le Kunsthaus abritera la plus grande collection d’art impressionniste hors de France, celle dont le public français avait pu découvrir une sélection lors de son exposition en 2019 au Musée Maillol à Paris.
Aubaine ou cadeau empoisonné ? Ce coup de projecteur sur la figure de ce richissime collectionneur décédé en 1956 alimente la controverse. En 2017, prévenant la polémique naissante, la Ville de Zürich avait mandaté des historiens afin qu’ils mettent en contexte la collection et rendent « transparent et responsable » son accès aux visiteurs. Rendu public en novembre 2020, leur rapport souligne sans détours que « cette collection d’art de classe mondiale a été constituée en utilisant l’immense richesse que Bührle a amassée avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale grâce aux exportations d’armes, en particulier au régime nazi ». Comment le Kunsthaus va-t-il alors présenter au public cette collection à la genèse sulfureuse ? « Nous allons nous efforcer de pratiquer une bonne médiation, mais, après tout, nous sommes un musée d’art et pas d’histoire », soutenait déjà le chargé de la communication du musée à l’hebdomadaire zürichois Woz en 2019. « La collection Bührle a toujours eu un caractère politique », tempère Christoph Becker, selon lequel le musée participera, à travers la mise à disposition d’une documentation pour le public, à une « culture vivante du souvenir ».
Un travail de mémoire qui ne va cependant pas assez loin pour les 2 000 signataires d’une pétition rendue publique le 28 janvier : « Le Kunsthaus a incroyablement bénéficié des moyens et des possibilités d’Emil Bührle. Il est donc presque compréhensible que le regard du musée soit biaisé dans cette affaire », argumente l’historien Thomas Buomberger, l’un des signataires à l’initiative de la pétition qui plaide pour que le musée développe une approche exemplaire de ce chapitre sombre de l’Histoire. Il fut même question d’installer sur la place du Kunsthaus un mémorial sous la forme d’un canon, allusion symbolique à l’origine de la fortune de Bührle. En lieu et place du canon, le choix s’est porté, de manière plus consensuelle, sur une gigantesque sculpture colorée de la vidéaste suisse Pipilotti Rist, qui met en lumière les façades des deux ailes du Kunsthaus.
La polémique actuelle ferait presque oublier que les salles de l’extension jouxtant cette collection controversée accueilleront en prêt deux autres collections privées, de qualité : celle d’art de la deuxième moitié du XXe siècle, principalement américain, du collectionneur suisse Hubert Looser et celle d’art moderne constituée par Werner Merzbacher. Jeune juif allemand, celui-ci avait trouvé asile en Suisse en 1937 et échappé à la déportation avant d’émigrer et de faire fortune aux États-Unis où il réside toujours. Une cohabitation pleine de paradoxes qui illustre l’ambivalence du rôle de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale et sur laquelle le Kunsthaus gagnerait, une nouvelle fois, à communiquer de manière transparente.
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Le Kunsthaus Zürich devrait inaugurer son extension dans quelques semaines
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°561 du 19 février 2021, avec le titre suivant : Le Kunsthaus Zürich devrait inaugurer son extension dans quelques semaines