ZURICH / SUISSE
Encensé à son arrivée dans les collections du musée l’an dernier, ce tableau de paysage n’est aujourd’hui plus attribué au maître vénitien.
Zürich. C’est un petit tableau de 33 centimètres sur 55, un paysage atmosphérique animé par un couple galant et les contours d’un village dans le lointain, qui se retrouve sur le devant de la scène. Acquis par la Fondation Dr. Joseph Scholz qui l’offrit à la Kunsthaus de Zürich en mars 2019, l’œuvre est alors célébrée comme « l’unique peinture du Titien exposée dans une collection d’art publique de Suisse », selon les propos du musée réputé pour sa collection d’art moderne. Pour Christian Klemm, ancien conservateur en chef des peintures de la Kunsthaus et membre du conseil de la fondation qui proposa l’achat, le tableau daté des années 1518-1520 apparaissait comme un exemple précoce de la peinture de paysage autonome à la Renaissance.
Que l’on ne trouve aucune trace de la peinture dans des catalogues consacrés à Titien (1488/1489-1576) et qu’elle fut peinte à l’huile sur papier avant d’être marouflée sur toile (une technique encore jamais observée chez le maître vénitien), rien dans un premier temps ne vint créer un doute sur l’authenticité du tableau.
Mais pour le professeur émérite d’histoire de l’art à l’université de Zürich, Franz Zelger, ce fut le prix peu élevé (environ 2 millions de francs suisses, soit 1,8 million d’euros) payé par la fondation acheteuse qui instilla le doute – quand des Titien s’étaient envolés à plus de 70 millions de dollars sur le marché ces dernières années. L’historienne de l’architecture spécialisée en Renaissance Britta Hentschel s’étonnait, elle, de l’absence de scène mythologique ou religieuse dans ce paysage lumineux, du jamais-vu chez Titien. Au final, ce sont les investigations tenaces du journaliste Christoph Heim du quotidien zürichois Tages Anzeiger qui ont fermement remis en cause l’attribution à Titien. Parcourant deux cents ans de provenance, Heim découvre que le tableau, longtemps attribué à Giorgione puis à son entourage, n’est attribué à Titien qu’à la fin des années 1990 par Paul Joannides. Auteur d’un unique ouvrage sur le peintre vénitien, cet historien de l’art anglais rédige alors ce qu’il réfute avoir été un certificat d’authenticité mais une note (un « report »). L’œuvre, passée entre-temps entre les mains du marchand d’art londonien Fergus Hall, est vendue telle quelle à la Fondation Scholz puis exposée à la Kunsthaus de Zürich sans qu’aucune autre expertise ne soit menée.
L’opération de communication pour le musée en plein chantier dont l’extension signée David Chipperfield Architects sera inaugurée à la fin de l’année tombe à plat ; le cartel a été il y a peu modifié avec la mention : « attribué à Titien » Mais le nom du Titien peut-il encore être associé à ce tableau qui n’est peut-être ni italien, ni datable du XVIe siècle ? Seules des analyses plus scientifiques pourraient prochainement lever le voile sur la véritable nature du tableau.
Mais pour un Titien de perdu, un autre de retrouvé. Le Kunstmuseum de Bâle a annoncé l’automne dernier être sur la voie d’une réattribution d’une peinture de ses collections : jusqu’à présent considéré comme un Sebastiano del Piombo, le Portrait de Pietro Aretino pourrait bien être de la main de… Titien.
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Un faux Titien à la Kunsthaus de Zürich
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°537 du 17 janvier 2020, avec le titre suivant : Un faux Titien à la Kunsthaus de Zürich