SUISSE
Depuis quelques années, de nombreux musées suisses agrandissent leurs espaces devenus trop exigus au regard du succès des expositions temporaires et de la place qu’il faut allouer à l’enrichissement des collections d’art contemporain. Un point commun : une architecture sobre et un financement privé élevé.
Suisse. En 2000, à Londres, la Tate s’installait dans une ancienne friche industrielle pour y déployer ses collections d’art moderne et contemporain. Si l’agrandissement des musées ne date pas d’hier et semble concerner tous les pays, le phénomène prend un tour particulier en Suisse. Qu’il s’agisse de s’adjoindre des bâtiments voisins en les rénovant ou de construire des bâtiments neufs, on retrouve ces extensions aux quatre coins du pays – à Zurich au Musée national suisse, à Bâle au Kunstmuseum et au Musée des cultures, à Genève au Musée d’ethnographie ou encore à Coire au Musée des beaux-arts. Ce printemps, c’est au tour du Kunsthaus de Zurich de dévoiler son bâtiment jumeau, tandis que la Fondation Beyeler à Riehen (Bâle), le Musée d’art et d’histoire de Genève (MAH) et encore le Kunstmuseum de Berne planifient, de leur côté, des chantiers pour les prochaines années. Faut-il y lire une réponse à cette envolée de la fréquentation observée dans les musées de Suisse ? Rendus publics en septembre 2020, les chiffres de 2019 confirment une augmentation continue du nombre des visiteurs : 14,2 millions d’entrées enregistrées, soit 1 million de plus que trois ans auparavant, en 2016. Un beau score pour un pays de 8 millions d’habitants.
Sam Keller, directeur de la Fondation Beyeler, tempère cette course à la fréquentation dans un entretien donné au quotidien bâlois Berner Zeitung, en août 2020 : « Pour nous, croître ne signifie pas augmenter la fréquentation, mais augmenter les opportunités. » Car, pour le musée d’art le plus visité de Suisse qui planifie la construction de trois pavillons dans un parc adjacent, par l’architecte helvétique Peter Zumthor (inauguration prévue en 2023), l’extension est l’apanage du musée moderne : « Un musée du XXIe siècle n’est plus seulement un lieu destiné aux objets, mais aussi aux hommes. C’est un espace social où l’on peut faire des expériences, seul ou à plusieurs. » Quitte à délaisser la contemplation solitaire des œuvres, le musée mise sur son existence dans la sphère publique. Le Kunsthaus de Zurich vise ainsi à devenir « pour le public, un espace vivant au cœur de Zurich » ; même ambition pour Marc-Olivier Wahler à Genève qui souhaite « insérer dans le tissu urbain » le futur MAH qu’il dirige. Qui dit extension, dit avant tout accroissement des services au public – des espaces de médiation permettant la tenue d’événements ou de performances, mais aussi ceux pour la restauration, la librairie et la vente des produits dérivés.
Construire des extensions répond néanmoins à une nécessité plus impérieuse : le manque d’espaces consacrés aux expositions temporaires, devenues un des attraits majeurs de la visite des musées. Comme au Musée des cultures de la ville rhénane agrandi de manière spectaculaire en 2011 avec l’ajout d’un étage coiffé d’un toit géant par le duo d’architectes bâlois Herzog et de Meuron [voir ill.], le Kunstmuseum de Bâle, où le bâtiment principal avait été conçu en 1936 pour les collections permanentes, fait le même constat : « Chaque fois, il fallait réorganiser et improviser », confiait son directeur Bernhard Mendes Bürgi à l’inauguration de l’extension en 2016. Le Kunstmuseum de Berne entrevoit, lui aussi, les limites de son musée construit en 1879 : « Il est essentiel pour nous de gagner plus d’espaces d’exposition. Nous voulons pouvoir montrer l’art contemporain de manière appropriée. La qualité des pièces – hauteur, lumière, équipement technique, mais aussi leur atmosphère – est importante », explique sa directrice Nina Zimmer.
Architecture sobrement suisse
Pour ces collections muséales suisses qui s’enrichissent et exposent par ailleurs toujours plus d’art contemporain, il semble indispensable de disposer de locaux adéquats. Les similitudes en matière de nouvelles extensions sont à cet égard frappantes sur le plan architectural. À l’extérieur, même pureté et minimalisme des lignes et des matériaux, même forme cubique, et même monumentalité des espaces intérieurs ; à noter aussi une fréquente exploitation des sous-sols et l’existence de passage souterrain reliant le bâtiment principal au nouveau, dans les musées de Bâle, Zurich ou Coire. Une formule architecturale que résume l’architecte Emanuel Christ du cabinet bâlois Christ et Gantenbein, auteur des extensions des Kunstmuseum de Bâle et du Musée national suisse : « Kunstcontainer » (« Container d’art ») à l’extérieur et « Barockes Stadtpalais » (« palais baroque ») à l’intérieur.
Ce n’est probablement pas un hasard si la plupart des cabinets d’architecture engagés dans ces chantiers sont suisses – expression d’une scène architecturale nationale très vivante. Ces architectes parlent le même langage, connaissent les processus longs des votations populaires et des recours, et maîtrisent le credo urbanistique helvétique fondé sur la sobriété. Une raison peut-être du succès formel de l’extension du Kunsthaus à Zurich par l’architecte britannique David Chipperfield (vaisseau minimaliste surnommé « le bunker ») et de l’échec, en son temps, du projet d’extension du Musée d’art et d’histoire de Genève par le Français Jean Nouvel (taxé d’extravagance et de « pharaonisme »).
Le mécénat, la clé de l’équation
Ces chantiers coûteux ne pourraient cependant pas voir le jour sans l’aide conséquente du mécénat helvétique, une tradition bien entretenue dans le pays. Les collectivités publiques (communale et cantonale) ne financent souvent les coûts qu’à moitié. Aux donateurs privés de compléter, telle l’héritière de la firme Roche, Maja Oeri qui finança à hauteur de 70 millions de francs suisses (63 millions €) le Neubau du Kunstmuseum de Bâle, ou la Kunstgesellschaft Zürich, l’association des amis du Kunsthaus, qui a réussi à mobiliser la moitié des 206 millions de francs suisses (170 millions €) nécessaires pour l’extension. En Suisse, chaque musée d’importance dispose de son réseau de mécènes et de donateurs locaux organisé en « sociétés des arts » qui lui assure un soutien en matière d’acquisition d’œuvres, d’entretien ou d’expositions : une illustration de la « charity » à la suisse. La Fondation Beyeler, elle, s’enorgueillit de financer ses extensions évaluées à 120 millions de francs suisses (109 millions €) uniquement grâce à des fonds privés – et pour moitié issus des milliardaires suisses Hansjörg Wyss et Stephan Schmidheiny. Autrefois, les mécènes helvétiques offraient des œuvres d’art, voire des collections entières aux musées ; aujourd’hui, ils semblent préférer financer des écrins pour mettre en valeur les trésors légués par leurs prédécesseurs.
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En Suisse, la vague d’extension des musées ne faiblit pas
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°564 du 2 avril 2021, avec le titre suivant : En Suisse, la vague d’extension des musées ne faiblit pas