GENÈVE / SUISSE
Jakob Lena Knebl revisite la collection du musée genevois avec une scénographie qui ne ménage pas les œuvres.
Genève. Son titre est déjà tout un programme : « Marcher sur l’eau », la nouvelle exposition du Musée d’art et d’histoire de Genève (MAH) et la première d’une série conçue par son nouveau directeur, Marc-Oliver Wahler, fait référence à un standard de la musique rock du groupe Deep Purple (« Smoke on the water »), comme au célèbre retable du peintre Konrad Witz conservé au musée, La Pêche miraculeuse. Un grand écart pour bousculer les codes et dépoussiérer un musée encyclopédique devenu, pour filer la métaphore, un vaisseau en perte de vitesse. Le directeur des lieux souhaite « changer de perspective » sur une collection aussi riche que variée en arts appliqués, beaux-arts et archéologie.
Pour mettre cette louable intention à exécution, il a donné carte blanche à une artiste avec la mission de s’immerger dans les réserves et d’y apporter un regard nouveau. L’artiste invitée, l’Autrichienne Jakob Lena Knebl (née en 1970), n’en est pas à son coup d’essai. Elle est déjà intervenue avec le même mode opératoire dans un musée à Linz et au Musée d’art moderne de Vienne (Mumok).
Alors que voit-on ? Une statue d’Antonio Canova dans une cabine de douche en plastique, des mannequins revêtus de robes haute couture en pleine séance de spiritisme, des sculptures antiques aux membres manquants habillées de prothèses faites sur mesure… Pour mettre de l’ordre dans ce qui ressemble à un inventaire à la Prévert, l’artiste explique : « En créant des lieux hybrides et en recourant à la tactique de l’humour, je voudrais modifier nos attentes, notre façon de voir, de même que les canons de la représentation dans un musée ; remettre les objets de tous les jours dans leur contexte d’origine et faire en sorte qu’ils prennent vie. » Là réside le nœud de l’intervention de la performeuse : comment faire entrer de la vie dans un musée ? Le pari du MAH nouvelle formule est d’en faire un lieu de culture vivante dans la ville et d’inviter le visiteur à s’y sentir « comme à la maison », ce que les titres des sections de l’exposition suggèrent ; on passe du « Bar » à la « Salle de bain » en passant par la « Chambre à coucher ». Il est regrettable que Jakob Lena Knebl ait alors misé sur une scénographie aussi hermétique que superficielle, sous-tendue par un concept : l’objet d’art est un artifice – une « aromatisation de la nature » selon ses mots – et la vraie vie se trouve hors du musée.
Déroutante pour le visiteur, l’expérimentation ne lui fait pas pour autant regarder autrement la collection. Car quelle expérience esthétique ou sensorielle devrait-il y avoir à voir défiler des paires de souliers féminins du XVIIIe siècle sous cloche sur un tapis roulant type sushi bar ? Ou des pièces précieuses d’horlogerie genevoise exposées sur des supports tournants comme dans une vitrine de grand magasin ? Une exposition n’est pas qu’une juxtaposition d’objets ni une superposition de concepts scénographiques. En désavouant leur statut d’objets de collection, l’artiste commissaire prend le risque de les banaliser, quitte à les transformer en gadgets.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°568 du 28 mai 2021, avec le titre suivant : Marc-Oliver Wahler bouscule son musée d’art et d’histoire