GENÈVE / SUISSE
Le musée genevois revisite ses collections et procède à l’assemblage d’œuvres et objets, sans autre forme d’explication. Le visiteur est invité à laisser libre cours à son interprétation.
Genève. Dès l’entrée du Musée d’art et d’histoire (MAH), avec le slogan « Paie ce qu’il te plaît », le visiteur est prévenu : le musée genevois a mis fin, depuis quelques semaines, à l’entrée payante obligatoire et teste un système communément appliqué dans les musées britanniques. Le public répondra-t-il présent à cet appel appuyé à la démocratisation de l’accès au musée qu’a lancé, depuis son arrivée à la tête de l’établissement, Marc-Olivier Wahler ?
L’exposition « Pas besoin d’un dessin », conçue dans le même esprit, pourrait – qui sait ? – contribuer à convaincre les visiteurs récalcitrants à passer la lourde porte du MAH. Car, là où la précédente « Marcher sur l’eau » semblait rater en permanence sa cible, l’exposition du moment ne manque pas de bonnes idées – notamment au niveau de la scénographie. Il est vrai que c’est un grand chef d’orchestre qui œuvre à cette présentation renouvelée des collections du musée : Jean-Hubert Martin, « auteur d’expositions » rompu à l’exercice, a exploré les riches réserves du Musée d’art et d’histoire et conçu en vingt chapitres un parcours qui s’invite dans la presque totalité des (nombreuses) salles du musée.
L’objectif est assumé d’un bout à l’autre de l’exposition : se passer d’un discours, laisser le regard se confronter à ce qu’il voit, décomplexer le visiteur. Quitte, faute de tout texte introductif aux chapitres ou de commentaires même succincts d’œuvres, à lui faire perdre parfois le fil. De là, il n’y aurait qu’un pas pour émettre le reproche d’une certaine superficialité à une exposition qui mise presque exclusivement sur la forme – et occulte souvent le fond. Un écueil que vient relativiser le propos de Jean-Hubert Martin dans le catalogue de l’exposition : « N’importe qui peut interpréter une œuvre à sa manière, avec son propre univers mental, ses références, son système de pensée et son tropisme. » Soit. Le pari d’associer des œuvres et objets de tous types et de toute époque dans une présentation décloisonnée, sans hiérarchie dans le goût et l’histoire de l’art, en « désacralisant » leur accès, a néanmoins le mérite de fonctionner pour l’œil. L’exposition tient sa promesse de surprendre et dérouter le visiteur, de lui ôter la mauvaise habitude d’être aimanté par les cartels et avant toute chose donc, en toute légèreté, de l’amuser. Il y a sans aucun doute de l’impertinence dans le mélange des genres, tant à faire cohabiter un théâtre de guignol avec un portrait de Ferdinand Hodler qu’à achever la foisonnante section consacrée à la thématique « De l’arnaque à la décapitation » par une sculpture de la nymphe Daphné de Jean Arp, qui nous apparaît amputée de ses membres.
Mais au-delà de ces assemblages insolites et ludiques, c’est dans les immenses salles du rez-de-chaussée du musée que le « choc esthétique » annoncé opère. On retiendra en particulier la mise en dialogue intelligente de deux formes géométriques centrales (la croix et le cercle) à partir de la figure de l’Homme de Vitruve et à travers des œuvres étonnamment diverses dans la première section de « La croix et le globe » ou encore l’admirable parallèle entre les motifs géométriques d’anciens drapeaux d’infanterie suisses et des quilts de tissus patchworks américains. Blanc, jaune, rouge, bleu, violet : l’une des dernières et longues salles du parcours, intitulée « Chromatisme », donne à explorer une sélection transversale des collections muséales sous l’angle de la couleur, un nuancier à portée de main. Une mise en scène arc-en-ciel qui laisserait augurer des jours heureux pour ce musée en mutation ?
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°584 du 4 mars 2022, avec le titre suivant : (RE)voir les collections du MAH sans texte