TROYES
Directeur des musées de Troyes, Éric Blanchegorge préside l’Association des conservateurs des collections publiques.
Diplômé de l’École du Louvre et ancien élève de l’Institut national du patrimoine (INP), Éric Blanchegorge a longtemps dirigé les musées de Compiègne avant de piloter les affaires culturelles de la région Champagne-Ardenne, puis la restructuration des musées de Troyes. Il est aussi président de l’Association des conservateurs des collections publiques (AGCCPF).
Sur quel programme avez-vous été élu en septembre 2013 à la présidence de l’AGCCPF ?
Nos mandats sont très courts, moi-même faisant déjà partie du conseil d’administration, je ne resterai président que trois ans. Il s’agit donc moins de mettre en œuvre une politique personnelle que de poursuivre les grandes orientations du CA initiées par mon prédécesseur Christophe Vital.
Quelles sont-elles ?
Elles s’appuient sur les conclusions de notre Livre blanc de 2011 que nous réactualiserons pour fin 2015. Nous entendons défendre les intérêts de nos professions et la saine gestion des collections publiques, à travers notre revue et des actions communes avec les autres associations représentatives des métiers de la culture. Nous allons bien évidemment surveiller de près les conséquences sur notre profession de la réforme territoriale qui s’annonce.
Le Livre Blanc mettait en évidence un décalage entre les départs à la retraite des conservateurs et les ouvertures au concours. Cela a-t-il changé ?
Nous sommes en train de réactualiser les chiffres, mais même si le nombre de places à l’INP a un peu augmenté, elles restent insuffisantes face au départ programmé de nos collègues. De sorte que l’on fait de plus en plus appel aux attachés de conservation pour remplir les postes de certains conservateurs. En soit ce n’est pas gênant, car les attachés ont souvent la même formation en science ou en histoire de l’art et leur concours est presque aussi difficile ; le problème est qu’on leur a supprimé la formation post-concours et qu’au milieu de leur carrière ils sont au déjà au bout de leurs possibilités.
Comment expliquer la faible présence en France de conservateurs étrangers ?
Je ne me l’explique pas et nous n’y sommes pas opposés s’ils ont une formation et une expérience équivalente. Peut-être que la complexité administrative française et la faiblesse des rémunérations les rebutent ? Nous-mêmes d’ailleurs sortons peu de la France.
Il est souvent fait reproche aux conservateurs de ne pas avoir assez de capacités managériales, qu’en pensez-vous ?
Cette question se pose maintenant, car les musées sont devenus de véritables « entreprises culturelles ». Mais s’ils sont arrivés au niveau d’excellence qu’on leur reconnaît, c’est bien grâce au travail des conservateurs, non ? Il y a maintenant dans les musées toute une série de cadres parfaitement formés dans leurs domaines respectifs, dans des fonctions que le conservateur ne maîtrise pas forcément dans le détail. Sont-ils devenus à ce point importants qu’un conservateur ne puisse plus assurer la direction de ces professionnels ? Je ne le crois pas. La conservation n’est pas qu’un morceau des autres missions à côté de la communication ou de l’administration, au point qu’on puisse confier la direction à l’un ou l’autre des spécialistes en question. Elle est au cœur de la mission des musées et c’est donc bien un conservateur qui doit les diriger comme le suggère la loi. C’est parce que l’on maîtrise sciences, histoire et histoire de l’art, des domaines très pointus, que cela donne une assise solide pour développer d’autres connaissances et capacités à prendre les bonnes décisions. Ceci dit, je ne suis pas opposé à ce que l’on développe la formation au management à l’INP, ni à ce que les conservateurs désireux de diriger des musées (voire tout autre établissement ou administration culturel comme les textes l’y autorisent) aillent passer quelques mois sur le campus d’HEC ou de l’Insead (Institut européen d’administration des affaires). Mais rien ne remplace l’expérience. C’est parce que j’ai dirigé les affaires culturelles de la Région que l’on m’a appelé à Troyes pour restructurer les musées de la ville.
En quoi ce projet de restructuration des musées de Troyes est-il un « projet de territoire » ?
Ce projet voulu par François Baroin qui a démarré bien avant mon arrivée en février 2013, s’intitule à dessein « Mutation urbaine au cœur de Troyes, de la cathédrale au Vouldy ». Il vise à clairement identifier pour le public, deux pôles principaux, artistique et scientifique, et faire en sorte que cette rénovation ne soit pas qu’un projet culturel mais aussi un projet de ville. Ainsi par exemple la rénovation des musées d’art et d’histoire qui jouxtent la cathédrale s’accompagne d’une requalification de la place de la cathédrale, à proximité de nouveaux bâtiments pour les établissements d’enseignement supérieur afin de faciliter leur développement. De même l’acquisition de l’usine du Vouldy dans laquelle vont être rassemblées les collections du Museum et de l’ancien musée de la bonneterie permet de réaménager cette zone en construisant des logements. En dépassant ainsi le cadre culturel, on s’assure aussi de l’implication de tous les acteurs locaux.
Quels sont les principaux aménagements du « pôle cathédrale » ?
Ce pôle art et histoire rassemble les collections archéologiques et les collections d’art ancien et moderne au sein du Musée Saint-Loup, du Musée d’art moderne, et de l’apothicairerie de l’Hôtel-Dieu-Le-Comte. Dans la phase 1, qui va jusqu’en 2020, nous allons recréer un accueil central dans l’ancienne abbaye Saint-Loup, proche de la cathédrale, distribuant tous les niveaux notamment un nouvel espace pour les expositions temporaires, libéré après le départ des collections du Museum, ainsi que l’espace vacant depuis le transfert de la bibliothèque, pour partie dédié aux collections XIXe qu’abritent nos réserves depuis 1950. Au Musée d’art moderne qui a été créé il y a une trentaine d’années, on va revoir l’accueil, étendre les espaces pédagogiques, sortir tout ce qui ne concerne pas les collections ou l’accueil du public. Cela va permettre de récupérer 600 m².
En quoi la restructuration du Vouldy s’ancre-t-elle dans l’histoire de la ville ?
Troyes est une ville d’industrie textile et de construction de machines-outils pour cette industrie. C’est cette épopée que nous voulons raconter dans l’usine Vouldy (construite en 1877), située à 900 mètres de la cathédrale. De grandes marques (Devanlay-Lacoste, Petit Bateau…) ont assuré la prospérité économique de la région et l’assurent encore car elles font le choix d’y demeurer (il reste 3 500 salariés). Ce site est par ailleurs équidistant des deux grands centres de marques et la plus grande concentration en Europe avec plus de 400 enseignes qui accueillent 4 millions de visiteurs. Outre le label Ville d’art et d’histoire, Troyes est la Capitale européenne de la maille. Ce pôle s’appellera « Centre Européen maille mode marques » (CE3M) pour bien signifier ces particularités. Nous allons installer dans l’usine de 20 000 m² les bureaux de la conservation, les collections du Museum, ainsi que celles de l’ancien musée de la bonneterie constituées de machines, de produits textiles et de documents sur cette histoire. Et nous sommes en discussion avec Lacoste qui cherche un lieu pour créer son conservatoire. Dans la phase 2 (après 2020) nous envisageons de créer des réserves mutualisées pour nos quatre « musées de France ». J’en profite pour indiquer que nous aurons terminé à temps le récolement des 500 000 pièces de la collection.
Quel est le budget de la phase 1 ?
Il est d’environ 20 millions d’euros, ce qui est plutôt raisonnable. C’est d’ailleurs le réalisme qui caractérise ce projet. Nous voulons que les choses se fassent dans des délais normaux et que la population ait le sentiment que les projets sortent. Cela reste cependant un montage complexe, car il y a un jeu de domino entre les trois bâtiments qui vont être rénovés.
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Éric Blanchegorge : « la conservation est au cœur de la mission des musées »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°416 du 20 juin 2014, avec le titre suivant : Éric Blanchegorge : « la conservation est au cœur de la mission des musées »