TROYES
Lancée il y a dix ans, la refonte des musées troyens accuse un retard important. En cause, une budgétisation trop peu réaliste.
Troyes (Aube). Avant de pouvoir découvrir le Musée d’art moderne (MAM) de Troyes rénové, il aura fallu s’armer de patience : 2019, 2020, 2022, voilà une liste non exhaustive des dates d’inauguration très optimistes annoncées successivement par la municipalité pour ce chantier commencé en 2018. Pour expliquer ce retard, les éléments habituels (crise sanitaire, inflation du coût des matériaux) ne suffisent pas. Au MAM, les études préalables sont passées à côté d’importants désordres structurels, concernant la solidité des planchers notamment, tandis que des appels d’offres sont restés infructueux. La municipalité tend aussi à sous-estimer financièrement la rénovation de son patrimoine muséal : l’indispensable réhabilitation du MAM, qui a ouvert en 1982, bénéficiait initialement d’une enveloppe de 3 millions d’euros, portée graduellement à 7 millions d’euros au fil des péripéties de chantier.
En phase d’étude depuis 2011, le grand projet de refonte du pôle muséal municipal troyen est sous-doté depuis son lancement, malgré des ambitions qui dépassent l’enjeu patrimonial : « C’est un fait urbain autant que culturel », rappelle Éric Blanchegorge, ancien directeur de la culture à la Région Champagne-Ardenne, recruté en 2013 pour mener ce grand chantier. Dénommé « Mutation urbaine au cœur de Troyes : de la cathédrale au Vouldy », ce plan d’investissement est d’emblée annoncé comme un levier de restructuration urbaine, que ce soit autour des touristiques abords de la cathédrale, ou des quartiers populaires délaissés à proximité de l’usine du Vouldy, incluse dans le projet. La rénovation des musées s’inscrit également dans la politique touristique ambitieuse de la Ville, le développement de la marque « Troyes la Champagne Tourisme » dans laquelle elle investit généreusement en est l’un des marqueurs.
Pour rénover ses musées, Troyes programme initialement 19 millions d’euros en investissement, un montant ramené à 17 millions d’euros en 2014. Dix ans plus tard, cette enveloppe très (trop ?) raisonnable a permis à la Ville de ne réaliser qu’un tout petit tiers de son programme : en 2019, un raccrochage des galeries de peinture du Musée Saint-Loup était livré, là aussi avec un retard important dû aux problèmes d’étanchéité des verrières. En décembre 2022, le deuxième étage du MAM était ouvert au public, avant les deux autres étages du musée en ce mois d’avril. Une inauguration en deux temps qui dilue l’importance de l’événement.
La Ville s’apprête désormais à lancer la seconde phase du chantier muséal, soit la rénovation complète du Musée des beaux-arts dans l’abbaye Saint-Loup. Le nouveau calendrier table sur une fermeture en 2025 et une livraison des travaux courant 2028, pour réaliser un projet architectural dont le concours est clôturé depuis… 2015. « C’est la question de la mise en accessibilité qui s’est révélée très complexe, explique Marc Sebeyran, adjoint au maire chargé de la culture. Nous avons dû trouver des solutions pour adapter le premier projet. » Optimiste, l’élu détaille la nouvelle programmation des lieux : « Nous allons mettre en valeur les beaux-arts, la collection lapidaire du Moyen Âge, créer une salle d’exposition temporaire, tandis qu’au sous-sol les collections archéologiques seront renforcées par les vestiges de la tombe princière de Lavau [Ve siècle avant notre ère].»
Ce programme s’est vu augmenter à un moment donné des collections du Muséum d’histoire naturelle, lesquelles resteront finalement au sein de l’abbaye Saint-Loup. « C’est le seul de la Champagne, et il attire un jeune public. Il a toute sa place ici », explique Marc Sebeyran. Pourtant, au lancement des grandes manœuvres du pôle muséal, ces collections devaient rejoindre l’usine du Vouldy, sur les bords de Seine, ancien site de production textile. La reconversion de cette friche industrielle acquise par la commune en 2012 a du plomb dans l’aile. Baptisé « Centre européen Maille Mode Marques », ce projet associe la Ville aux grands industriels du textile. En 2018, une ouverture à l’horizon 2021 était envisagée. Mais aujourd’hui, seules des études préalables ont été menées dans les 11 000 mètres carrés de l’ancienne usine, et le directeur des musées comme l’élu à la culture se montrent prudents sur les futurs développements de ce partenariat entre la collectivité et le secteur privé : « Cela arrivera en dernière phase, on est sur [un chantier de] plusieurs années », indique Marc Sebeyran.
Au milieu du gué, la Ville de Troyes s’est aussi aperçue qu’un équipement important manquait à ce plan musées : des réserves uniques et externalisées pour les musées troyens dont les collections sont réparties à l’heure actuelle dans neuf lieux différents. Après les laborieux transferts d’œuvres du MAM au Musée Saint-Loup durant la rénovation du premier, la stratégie a été de disposer de réserves extérieures pour mener sereinement le chantier du second. Un lieu situé en périphérie, trouvé dès 2020, doit être aménagé avant le lancement du chantier afin d’accueillir les œuvres de Saint-Loup, puis les autres collections ainsi que les nombreuses donations dont bénéficie encore la Ville – « Il ne se passe pas un conseil municipal sans que l’on ait des dons », fait savoir Marc Sebeyran.
L’aménagement des réserves mobilisera 8 à 9 millions d’euros environ, tandis que le budget des travaux du Musée Saint-Loup est estimé à une petite dizaine de millions d’euros, pour un chantier patrimonial conséquent avec un développement en sous-sol qui devra accueillir la partie archéologique et le trésor de Lavau. À nouveau, un budget peu réaliste au regard du programme et de l’ampleur patrimoniale des lieux.
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La gestion imprécise de la rénovation des musées de Troyes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°631 du 12 avril 2024, avec le titre suivant : La gestion imprécise de la rénovation des musées de Troyes