TROYES
La rénovation du Musée d’art moderne de Troyes donne lieu à un heureux dialogue entre la collection de Pierre et Denise Lévy et son écrin patrimonial.
Troyes (Aube). Une donation exceptionnelle et un lieu chargé d’histoire : en additionnant les deux, on obtient en toute logique un musée. L’équation est en réalité plus complexe, car depuis son inauguration en 1982, le Musée d’art moderne de Troyes ne s’est pas imposé sur le plan national. La donation des époux Pierre et Denise Lévy est pourtant l’une des plus importantes – et plus célèbres – du siècle dernier, et le musée a été créé au sein du palais épiscopal de Troyes. Pour faire musée, il manquait peut-être une alchimie entre l’ancien archevêché et la pléthorique collection d’art moderne : un équilibre qui fait le charme des récentes inaugurations de la collection Brache-Bonnefoi à Beaulieu-en-Rouergue (Tarn-et-Garonne) ou de la donation Cligman à Fontevraud (Maine-et-Loire). Le chantier entrepris depuis 2019 pour la modernisation du musée quadragénaire, laquelle est inaugurée le 16 avril, pourrait se résumer à une thérapie de couple.
Au début de l’histoire, c’est un mariage d’opportunité qui lie collection et palais : ils sont réunis par le patriotisme local de l’industriel du textile Pierre Lévy, qui fait don d’une bonne partie de sa collection à l’État en 1976 sous réserve qu’elle soit présentée dans sa ville de Troyes. La donation prend progressivement le pas sur l’édifice des XVIe-XVIIe siècle. Un beau mur en damier champenois devient une cimaise pour les paysages de l’école de Paris, la grande cheminée du rez-de-chaussée est occupée par un podium bleu destiné aux petits bronzes de Maillol. Le second étage est transformé en couloir par des cimaises ajoutées de part et d’autre de ce volume sous pente.
Ouverte à l’issue d’une première phase du chantier depuis décembre 2022, cette longue salle dominée par la charpente est représentative du travail mené collégialement par l’équipe scientifique (Juliette Faivre-Preda, conservatrice du musée, et Éric Blanchegorge, directeur des musées de Troyes) et le scénographe (Philippe Maffre, Maffre Architectural Workshop).
Ouvrant le parcours permanent, ce vaste espace a besoin d’un séquençage identifiable comme d’une valorisation de l’architecture : une gageure, puisque le comble est déjà rythmé par les poteaux de poutres retombant au centre du volume, et qu’il doit aussi abriter les réseaux techniques. « Il faut se servir de la technique comme générateur d’hypothèses », estime Philippe Maffre : le coffrage des réseaux sur les deux côtés du comble devient ainsi une matrice latérale pour le parcours, sur lesquelles se détachent des cimaises quadrangulaires, et surtout de belles vitrines triangulaires épousant la forme des combles. Chronologique, la progression du parcours évolue selon un léger dégradé de cimaises, du bleu pour le réalisme (dont un beau paysage enneigé de Courbet) au gris des thèmes de la modernité, sur lequel se détachent les deux superbes scènes d’usine d’Édouard Vuillard restaurées durant les travaux. Cette promenade tranquille dans l’histoire de l’art est interrompue par le jaune pétant qui accompagne les peintres fauves. « Le comble est laissé dans une couleur plutôt neutre, et les nuances sont utilisées comme un outil de sens, explique la conservatrice du musée. La scénographie vient ici appuyer le propos, avec ce jaune qui souligne le choc de la couleur que représente Derain. »
À l’extrémité du comble, une rotonde est dévolue aux œuvres africaines réunies par les Lévy – et présentées comme trophées esthétiques de collectionneurs plutôt que selon leur contexte de création originel. Elle crée une jonction avec un ancien espace de bureau, sur lequel le parcours permanent a gagné 400 mètres carrés. Dans cet espace sont présentées les timides incursions du couple dans l’univers des avant-gardes cubistes, avant une découverte faite durant le chantier : au revers des Coureurs de Robert Delaunay, l’une des icônes de la collection, figure un grand portrait de Bella Chagall encore inconnu ; il est astucieusement révélé par un jeu de miroir dans la scénographie. « On est aujourd’hui sûrs à 90 % que le portrait est aussi de la main de Delaunay », assure Juliette Faivre-Pela.
Au premier étage, les volumes s’aèrent, et la hauteur sous plafond permet de déployer de larges vitrines pour présenter l’œuvre du verrier troyen Maurice Marinot (1882-1960), l’un des points forts de la collection. Un système de rétro-éclairage transforme les grandes tables de présentation en une forêt de photophores, où l’on peut apprécier le riche travail des textures des pièces en verre de Marinot. Comme au second niveau, le séquençage du parcours ne laisse aucun temps faible dans la présentation de cette collection esthétiquement très homogène, et fait une nouvelle fois intervenir la couleur avec le rouge profond d’une salle consacrée au « retour à l’ordre » d’André Derain. Dans cet espace où sont exposées les copies des grands maîtres classiques exécutées par le fauve repenti, le visiteur pourra avoir la sensation d’être parachuté dans un musée d’art ancien.
Ce premier étage ferme sa boucle sur l’alternance de brique et de pierre calcaire du damier champenois. Cette technique de construction typiquement troyenne est mise en valeur par les étranges figures sculptées de Derain, montrées à la manière presque de pièces archéologiques sur une trame en acier détachée du mur qui joue avec le damier du XVIe siècle. Dans cette superbe présentation, patrimoine et collection sont plus que jamais réconciliés. La vaste cheminée est ici devenue une niche pour le grand lutteur d’Ousmane Sow (une acquisition pionnière pour le musée en 1990), dont le socle technique se fond dans le sol. La diversité du vocabulaire scénographique égréné au fil du parcours ne se surimpose pas aux lieux, à l’image de ces jolis piédestaux pour sculpture, clin d’œil au groupe de design Memphis, qui reprennent les teintes de la pierre locale.
Le travail mené sur la lumière, auparavant sommaire, achève quant à lui la transformation de ce qui était simplement l’accrochage de la « donation Lévy » en un véritable musée.
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Au Musée d’art moderne de Troyes, des collections mieux intégrées
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°631 du 12 avril 2024, avec le titre suivant : Au MAM de Troyes, un mariage réussi