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COLLECTION DE MUSÉE

Les dinosaures, facteurs d’attractivité pour les musées

Par Marion Krauze · Le Journal des Arts

Le 27 mars 2025 - 1303 mots

L’engouement du public pour ces espèces disparues assure une grande visibilité aux muséums, qui doivent aussi vérifier la validité scientifique de leurs collections et faire face aux enjeux du marché.

Monde. C’est indéniable, les dinosaures attirent les foules. Ces créatures, qui ont arpenté nos sols, il y a des millions d’années, convoquent tout un univers lointain et fantasmagorique qui fascine. Et cela se ressent dans la fréquentation des muséums qui redoublent d’inventivité dans leur mise en scène. Scénographies tantôt ludiques, tantôt effrayantes, qui jouent sur l’immersion sonore, l’éclairage, la présentation animée… Le tout pour plaire à un public avant tout familial, souvent venu spécialement pour admirer ces espèces disparues. « Cet “effet dinosaure”, c’est une réalité. Les gens sont attirés dans les muséums par les dinosaures. Ce qui peut être frustrant, car ce sont un peu les arbres qui cachent la forêt. Mais c’est un point d’attraction, un ambassadeur qui permet aussi de faire découvrir le reste des collections », souligne Pascal Godefroit, paléontologue à l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique.

Bien sûr, la préférence va aux incontournables, ancrés dans la culture populaire par le cinéma comme Jurassic Park. Les féroces prédateurs, qui impressionnent par leur taille, leurs griffes, leurs dents, exercent une fascination toute particulière. Avec en premier lieu le Tyrannosaurus Rex, qui suscite un engouement inégalé. En témoigne le succès de l’exposition « Un T-Rex à Paris » (2018) du Muséum national d’histoire naturelle à Paris (MNHN), qui avait enregistré une fréquentation inédite (340 000 visiteurs en quatre mois). C’était la première fois qu’un T-Rex était exposé en France, un spécimen rare et quasiment complet dénommé Trix, qui avait été acquis par le Centre de biodiversité Naturalis (Leyde, Pays-Bas) et prêté à plusieurs muséums européens. En 2022, c’est le Musée des confluences de Lyon qui, cette fois-ci, s’apprêtait à accueillir pendant un an le T-Rex Ryker. Un événement très médiatisé, longuement préparé, qui a finalement été annulé à cause de doutes sur sa provenance et son exactitude scientifique.

Les vrais dinosaures sont rares

Si ces expositions-événements sont aussi attendues, c’est bien parce qu’exposer un vrai dinosaure est chose rare. En France, seule une poignée de musées présente d’authentiques fossiles montés (le MNHN, Confluences, Dinosauria à Espéraza…). La plupart sont des répliques, des moulages de plâtre ou de résine voire des copies réalisées à partir de scans 3D. « Notre musée a énormément d’ossements dans les réserves, mais pas tant de dinosaures qui peuvent être montés, qui sont présentables pour l’exposition, corrobore Damien Germain, paléontologue et responsable de collections au MNHN, dont les fonds sont surtout historiques. Quelques originaux sont exposés mais la plupart sont des moulages. On le précise dans le cartel pour être bien transparent avec le public. »

L’acquisition d’un authentique spécimen est d’autant plus précieuse pour les musées locaux. Le Muséum de Nantes, qui se prépare à rénover et à agrandir ses espaces de 2026 à 2029, a bien conscience de la visibilité qu’un tel spécimen apporterait. « L’idée de présenter un authentique dinosaure, de façon attractive dans l’atrium du futur muséum, nous a paru assez évidente, soutient Philippe Guillet, directeur du Muséum de Nantes. C’est important que les visiteurs puissent voir des originaux, être confrontés au réel. Et je pense que ce serait un élément vraiment important pour une ville comme Nantes, qui mise beaucoup sur le tourisme. D’autant qu’on occupe une place assez particulière dans Le Voyage à Nantes [organisme qui assure la promotion de sites culturels de la ville, ndlr.] puisqu’on attire tout un public familial. »

Problème, acheter un dinosaure n’est plus vraiment une option envisageable. Tout du moins pas sur le marché des enchères, où les prix astronomiques qui y sont désormais pratiqués rendent impossible toute acquisition, devenue l’apanage des collectionneurs privés. « On sait que l’on va payer bien trop cher si l’on passe par les enchères. Mais c’est possible d’acheter des fossiles directement aux découvreurs, à des prix plus raisonnables. Et cela permet aussi d’en avoir la traçabilité », pointe Pascal Godefroit. Rares sont aussi les muséums qui se lancent dans une politique d’acquisition de dinosaures, faute de moyens. Rares sont aussi ceux qui ont l’occasion d’accueillir des fossiles mis à disposition par leurs acquéreurs, à plus ou moins long terme.

Public, privé, des liaisons dangereuses

La pratique est plus répandue dans les grands musées à l’étranger. Apex, le dinosaure le plus cher jamais vendu aux enchères (pour 44,6 M$, à peu près la même somme en euros, chez Sotheby’s), a été prêté par son propriétaire, le milliardaire Kenneth C. Griffin, à l’American Museum of Natural History de New York pour une durée de quatre ans. Depuis décembre dernier, le stégosaure y trône dans une alcôve vitrée. L’accord du prêt stipule que les scientifiques pourront documenter le squelette – l’un des plus complets jamais découverts – en créant des scans 3D des os fossilisés. « Il faut toujours faire bien attention avec ce genre d’accords, car ils peuvent parfois être des cadeaux dangereux, met cependant en garde Pascal Godefroit. Il ne faut surtout pas que les musées participent à la valorisation de spécimens à des fins commerciales ! Quand on place un dinosaure dans une institution publique, il gagne naturellement en notoriété car le public y a accès. Donc il a une plus-value sur le circuit commercial. » Et de rajouter : « Il y a déjà eu des T-Rex de très mauvaise qualité [avec un faible pourcentage d’ossements authentiques, ndrl.] qui ont été prêtés pour des expositions temporaires dans des musées d’Europe, notamment en Angleterre, et qui se sont ensuite retrouvés sur le marché… » Ces prêts nécessitent donc d’instaurer des clauses bien précises.

Quelques musées exposent aussi des spécimens qu’ils ont directement fouillés. Une équipe de paléontologues, coordonnée par Ronan Allain du MNHN, fouille chaque été le site d’Angeac-Charente, l’un des plus grands gisements de dinosaures en Europe. Les découvertes, elles, intègrent ensuite le Musée d’Angoulême. « C’est un cas d’école, un exemple de très bonne collaboration. L’équipe peut fouiller la carrière, apporter son expertise scientifique tandis que le Musée d’Angoulême enrichit ses collections », se réjouit Damien Germain.

C’est cette option qu’a retenue le Muséum de Nantes pour trouver son futur dinosaure vedette. Là encore, une convention entre musées a été signée : l’équipe nantaise s’est associée à celle de l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique pour mener des fouilles dans le Wyoming depuis l’été dernier, sur l’un des sites paléontologiques les plus prolifiques en ossements d’Amérique du Nord. « Acheter un dinosaure, ce n’est pas possible pour un musée. Donc la seule façon d’en acquérir, c’est de mener des fouilles sur des terrains qui s’y prêtent. Même si notre démarche reste un peu exceptionnelle », concède Philippe Guillet. Le premier fossile découvert ira au musée nantais, le reste au musée bruxellois. On espère au moins un spécimen complet, même si cela va être en fonction de ce que l’on trouve. »

Entre alors en jeu un autre défi, celui de la logistique. Les musées n’ont bien souvent pas la place d’accueillir un tel mastodonte. « Il nous en faudrait un grand, mais pas trop grand pour qu’il puisse rentrer dans l’atrium. On est en train de fouiller la piste d’un sauropode juvénile, ce qui nous irait plutôt bien », confie-t-il. Le musée s’est donné deux ans pour le trouver et l’exhumer, car le coût d’une telle opération reste élevé. « Au total, on est entre 500 000 et 800 000 euros », estime Philippe Guillet. À la petite rétribution versée au propriétaire du terrain s’ajoutent les coûts des campagnes de fouille, du dégagement des os, de leur rapatriement, leur préparation en laboratoire, leur recollage puis leur remontage. De telles opérations ne sont donc pas à la portée de toutes les institutions. « On sait qu’exposer un dinosaure attire du monde, donc on fait le calcul, conclut Pascal Godefroit. C’est un investissement, qui va être pris ou non en fonction de la situation du musée. »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°652 du 28 mars 2025, avec le titre suivant : Les dinosaures, facteurs d’attractivité pour les musées

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