Patrimoine

PATRIMOINE DU XXE SIÈCLE

Rouen veut déclasser un immeuble des années 1960

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 27 mars 2025 - 717 mots

La Ville voudrait détruire le dernier édifice inscrit, vestige d’un ensemble conçu lors « des Trente Glorieuses ».

Rouen (Seine-Maritime). Déclasser un monument historique, la procédure est rare : à Rouen, c’est la mairie qui manœuvre pour retirer l’inscription qui protège un édifice de 1969, l’un des derniers survivants de l’opération « Grand’Mare ». Des vingt-cinq immeubles à la structure en acier, il n’en subsiste aujourd’hui plus que deux : l’un, réhabilité, accueille les bureaux et les activités du club de hockey rouennais. L’autre, vide depuis quatre ans, agace l’adjointe au maire chargée de l’urbanisme, Fatima El Khili, qui demande activement sa désinscription.« On ne peut pas garder cette verrue, qui constitue un risque permanent », expliquait-elle en mai 2024.

Cette remarque s’inscrit dans une longue histoire de sinistres, qui a frappé l’ensemble conçu par Marcel Lods (voir ill.), Paul Depondt et Henri Beauclair au cœur des « Trente Glorieuses ». Un demi-siècle après leur livraison, ces immeubles sont associés à des incendies récurrents, pour certains mortels. Ces départs de feu ont été imputés à la structure originale inventée par les trois architectes, faite d’acier et de cloisons légères. « Ces incendies ont été attribués à l’architecture, mais lorsqu’on regarde plus précisément, il s’agit de faits divers », relève Giulia Marino, architecte et professeure à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et à l’Université de Louvain.

Pour cette spécialiste de la réhabilitation du patrimoine du XXe siècle, « démonstration a été faite que l’on pouvait faire quelque chose d’intéressant, de réglementaire et sécurisé avec ces immeubles ». Pour preuve, elle évoque le« plot » transformé en bureau, et occupé par le club de hockey, ou celui menacé de déclassement, et qui était il y a encore quelques années tout à fait vivable. « Nous avions restauré les logements existants, avec un gros travail de nettoyage, retrace Anna Deriquehem, architecte et ex-copropriétaire de l’immeuble. Les logements étaient très appréciés des locataires, qualitativement ils étaient fabuleux. On pouvait tout à fait en faire quelque chose de très bien, et même viser le label BBC [bâtiment bas carbone]. »

Une construction qui se veut révolutionnaire

À la fin des années 1960, l’inauguration de cet ensemble résidentiel doit révolutionner la manière de construire pour ses concepteurs. Réunis au sein du Groupement d’études architecturales pour l’industrialisation du bâtiment (GEAI), Lods, Depondt et Beauclair imaginent une structure préfabriquée, légère, facile à mettre en œuvre pour répondre aux besoins grandissants de logement, en s’appuyant sur l’industrie. L’usage du béton se limite aux fondations, sur lesquelles s’emboîte un « meccano » de structures en acier. La révolution est aussi dans les plans des appartements, qui s’inscrivent dans les réflexions les plus modernes sur le logement : apport de lumière, d’air, et flexibilité des appartements pour s’adapter aux différents usages d’un locataire, au cours de sa vie.

« C’est une opération totale, qui envisageait l’architecture comme un produit de série, une voiture que l’on peut produire à grande échelle et à moindre coût, explique Giulia Marino. Le système développé par Lods permet de s’adapter à des sites très différents, à construire de petites unités ou de grands ensembles. Les brevets GEAI sont parmi les plus intéressants, et dépassent largement les frontières nationales françaises. Avec leur destruction progressive, on perd un témoin majeur de l’histoire de la construction, de l’architecture et de la société des Trente Glorieuses. »

Inscrit monument historique en 2011 par la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC), le « plot » aujourd’hui menacé de destruction est protégé à la veille d’une vague de destruction pour cet ensemble : trois immeubles en 2008, quatorze en 2013, six en 2017. Un changement de maire aura été fatal pour cet édifice, qui faisait l’objet d’un programme de réhabilitation au cours des années 2000, mais un incendie spectaculaire et meurtrier en 2011, les mairies socialistes succédant au mandat de Pierre Albertini (UDF), ont suspendu les efforts d’entretien du quartier.

Le quartier de la Grand’Mare est aujourd’hui le terrain de jeu du promoteur immobilier Cogedim, qui développe un vaste programme immobilier sur un terrain acheté au bailleur social rouennais. Un contexte de développement dans lequel l’adjointe à l’urbanisme souhaite voir disparaître la « verrue » : « Il faut qu’on travaille avec le propriétaire à la démolition de ce bâtiment […] ou s’il envisage de le revendre à la mairie », annonce-t-elle dans les colonnes de France Bleu. L’arrêté préfectoral de désinscription devrait être signé dans le courant du mois de mars.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°652 du 28 mars 2025, avec le titre suivant : Rouen veut déclasser un immeuble des années 1960

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