FLORENCE / ITALIE
En mars, la préfecture de police de Paris organisait un exercice de gestion de crise. Elle simulait une crue majeure de la Seine afin de tester la réactivité des secours et l’efficacité des procédures des différents acteurs. L’objectif est clair : être fin prêt si une crue comparable à celle de 1910 frappe la capitale.
Le risque est en effet élevé que le fleuve inonde Paris, causant de terribles dommages matériels et patrimoniaux. Ironie du calendrier, cette opération intervient alors que l’on célèbre le cinquantenaire d’un cataclysme similaire, la crue de l’Arno qui a dévasté Florence en 1966.
Alors que la pluie ne cesse de tomber sur la Péninsule, personne n’imagine l’ampleur de la catastrophe. Le 4 novembre au matin, la stupéfaction est à son comble quand l’Arno submerge en quelques heures le centre historique. On estime qu’il a charrié 250 millions de mètres cubes d’eau ! De l’eau mais aussi de la boue et des hectolitres de mazout drainés depuis les caves. Des flots ininterrompus envahissent ainsi la cité et ses innombrables joyaux du Moyen Âge et de la Renaissance. L’eau s’engouffre dans les sites les plus insignes : la basilique Santa Croce, la Galerie des Offices et la cathédrale. Sans oublier la Bibliothèque nationale, qui paiera un lourd tribut, et le Musée étrusque qui sera anéanti. Malgré le danger, la résistance s’organise pour sauver ce qui peut l’être dans une impitoyable course contre la montre. Aux Offices, Umberto Baldini, chef de l’équipe des restaurateurs, sécurise les œuvres les plus importantes. Le Couronnement de la Vierge de Botticelli est en revanche trop large pour franchir la porte. Qu’importe, on lui confectionne une petite arche de Noé, une structure de fortune qui lui permet de surnager. Avec Ugo Procacci, surintendant des Monuments et des Beaux-Arts, Baldini se démène également pour évacuer les tableaux du Corridor de Vasari. L’aile du musée, qui court le long du Ponte Vecchio, tremble. Le pont, symbole de la ville, est battu par les flots et pourrait s’écrouler à tout instant.
Les « anges » au secours de Florence
Vingt-quatre heures après le début du désastre, l’eau commence à baisser. Après le bruit torrentiel, un silence de mort s’abat sur la ville. L’Arno se retire, laissant place à une épaisse gangue de boue et de saleté qui sèche très vite, entraînant des dégâts parfois irréversibles. La ville se fige face à ce spectacle de désolation. Les églises qui regorgent de trésors et les musées sont en péril. Le Crucifix de Cimabue, rudement touché, devient l’emblème de ce patrimoine meurtri. Mais dans une ville privée d’eau potable, d’électricité et où plane le spectre des épidémies, la culture n’est pas la priorité des secours. Or, si rien n’est entrepris rapidement, cet héritage exceptionnel pourrait disparaître.
La sidération est universelle et la mobilisation planétaire. Le sénateur américain Ted Kennedy fonde le CRIA (Committee to the Rescue Italian Art) pour financer des opérations de sauvetage et de restauration. Parallèlement une véritable marée humaine déferle sur la cité des Médicis. Des jeunes gens accourent des quatre coins du monde pour sauver le patrimoine de l’humanité, formant une étonnante brigade composée autant de boy-scouts que de hippies. Organisés en d’interminables chaînes humaines, ils évacuent les œuvres, les lavent, les sèchent, les protègent. Ils entrent presque instantanément dans la légende sous le nom d’« anges de la boue ». Conservateurs et restaurateurs se pressent aussi au chevet de Florence. La ville se mue ainsi en laboratoire où l’on expérimente toutes sortes de techniques et de matériaux. Les livres et les périodiques bénéficient d’un traitement inédit ; ils sont placés dans des séchoirs à tabac. Pour les tableaux, il faut au contraire élaborer un système qui les sèche graduellement afin d’éviter les pertes de matière et de pigment. Le chantier est titanesque. Chaque cas constitue un nouveau défi pour les experts. Même des fresques qui n’ont pas été en contact avec l’eau sont minées par l’humidité.
Malgré l’ampleur de la tragédie, cette mobilisation extraordinaire permet de limiter les dégâts. Cette épreuve a aussi une vertu. Elle agit comme un électrochoc, pointant la nécessité d’anticiper de tels événements en réduisant les risques et en normalisant les protocoles d’urgence. Si en 1910 les musées parisiens ont été épargnés par la Seine, la situation pourrait être autrement plus dramatique aujourd’hui. La quasi-totalité des établissements situés sur les quais disposent de réserves et d’espaces d’exposition en zone inondable. En cas d’alerte, ils auraient soixante-douze heures pour évacuer les collections et protéger ce qui ne peut être déplacé. Environ 100 000 pièces ont déjà déménagé au nord de Paris, et quantité d’œuvres ont été installées en étages. Mais il en reste encore beaucoup en zone inondable. Plusieurs solutions sont envisagées pour éviter le pire. Les musées cherchent de nouveaux emplacements pour leurs réserves et multiplient les entraînements aux procédures de sauvetage. Tout en espérant n’avoir jamais à les mettre en application.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
4 novembre 1966, la crue de l’Arno dévaste Florence
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°455 du 15 avril 2016, avec le titre suivant : 4 novembre 1966, la crue de l’Arno dévaste Florence