PARIS
L’appel d’offres pour la création de vitraux contemporains pour la cathédrale suscite en ce moment un certain émoi. Un débat qui rappelle les querelles du siècle dernier.
Paris. En avril 2019, la cathédrale Notre-Dame de Paris est ravagée par un incendie dantesque. Passée l’émotion nationale, les polémiques sur l’intégration d’un geste architectural contemporain dans la reconstruction embrasent la scène médiatique. Si cette piste est vite abandonnée, un autre débat se fait jour quand le président de la République prend tout le monde de court en annonçant vouloir doter la cathédrale de verrières contemporaines. La volonté de remplacer six vitraux réalisés à l’initiative d’Eugène Viollet-le-Duc au XIXe siècle scandalise une partie des défenseurs du patrimoine, dont le blog La Tribune de l’art qui lance une pétition. Cette requête, qui a reçu 139 696 signatures à ce jour, n’a pas ébranlé le chef de l’État, puisqu’il vient de mettre sur pied un comité chargé de désigner l’artiste lauréat. Si la pétition en soi n’est pas surprenante – ce type d’initiatives étant extrêmement banal –, la pomme de la discorde a en revanche de quoi étonner les historiens. Car nos pétitionnaires ont-ils conscience de rejouer quasiment mot pour mot une polémique vieille de presque un siècle ?
Ce n’est en effet pas la première fois que les vitraux du célèbre édifice défraient la chronique. Dans les années 1930, une controverse similaire mobilise les artistes, le monde du patrimoine et le grand public dont la presse s’en fait les gorges chaudes. L’affaire prend d’ailleurs une telle ampleur que des observateurs sont sidérés que les Parisiens se déchirent sur ce sujet alors que la guerre est imminente. L’équation n’a pas changé : il s’agit déjà de remplacer des verrières de Viollet-le-Duc par des baies contemporaines. En revanche, cette initiative ne relève pas du politique mais de ce qu’on appelle aujourd’hui la société civile.
Paris, 1935. La future Exposition internationale de 1937 approche à grands pas et met le monde de l’art en ébullition. Un groupement de douze verriers, dont Max Ingrand et Jacques Gruber, prépare d’immenses vitraux pour le pavillon pontifical. Le leader du groupe, Louis Barillet, contacte les Monuments historiques avec une offre de service. Si l’administration les en juge dignes, il propose que leurs vitraux soient ensuite accrochés dans les baies hautes de la nef de Notre-Dame. Un emplacement logique car les vitraux déjà en place sont presque unanimement critiqués pour leur manque d’intérêt tant plastique qu’historique. Réalisés lors de la restauration de la cathédrale, ils se composent de grisailles ornementales. Elles ont, elles-mêmes, remplacé des vitreries blanches posées sous Louis XV pour faire pénétrer davantage de lumière dans l’édifice, occasionnant la dépose de vitraux médiévaux.
La proposition des douze artistes reçoit un accueil favorable de la commission ad hoc ; elle l’encourage mais ne prend aucun engagement concret. La dépose des grisailles soulève en effet quelques réserves au sein de l’administration. Le vice-président de la commission proteste auprès de sa tutelle estimant que le rôle des Monuments historiques n’est pas d’encourager la création mais de conserver l’existant. Il craint, par ailleurs, qu’une telle entreprise ne crée un précédent, et émet des doutes sur le manque d’unité que cet ajout pourrait entraîner. Malgré ses réticences, le projet prend forme et l’inspecteur général Eugène Rattier établit avec le cardinal Verdier le programme iconographique. Il est convenu que chaque artiste réalise une verrière composée de deux lancettes représentant chacune un saint, le tout surmonté d’une rose illustrant un verset du Credo [voir ill.].
L’épreuve du feu a lieu début 1937 quand des maquettes et quelques lancettes complètes sont installées in situ à titre d’essai. Un test probant car la commission ne demande que quelques menues modifications pour harmoniser l’ensemble. La totalité des vitraux est ensuite dévoilée dans le pavillon, lieu qui rencontre un tel succès que contrairement aux autres constructions de l’Exposition internationale, il est conservé et reste ouvert tout au long de l’année 1938.
La véritable querelle éclate quand le pavillon ferme ses portes et que les vitraux sont accrochés – pour de bon pense-t-on – dans la cathédrale. Deux camps s’affrontent : les partisans du renouveau de l’art sacré, dont le cardinal Verdier qui affirme que les cathédrales ne sont pas des musées et ne doivent pas être sanctuarisées, versus les défenseurs du patrimoine. La presse s’exprime largement en faveur du projet, mais une minorité virulente fait bruyamment entendre son mécontentement. Dans les colonnes de la revue Les Pierres de France, Achille Carlier dénonce par exemple d’« abominables bariolages ». Et interpelle les autorités : « Donnez donc aussi les plus rares manuscrits comme cahier d’écriture à nos écoliers tant que vous y êtes. » Malgré le climat électrique les vitraux restent en place et la commission valide le projet, sous réserve de légères modifications.
Nouveau coup de théâtre, la guerre est déclarée. Les verrières sont démontées pour être protégées des combats, ce qui paradoxalement leur sera fatal. L’atelier de Louis Barillet dépose l’ensemble des vitraux et demande à ses confrères de venir les récupérer. Mais, lassés de ce énième revirement, la plupart ne s’exécutent pas. Après-guerre, le projet est enterré et un seul artiste du groupe tire son épingle du jeu : Jacques Le Chevalier qui continue inlassablement à faire des propositions pour répondre aux préconisations indécises de la commission. Dans les années 1960, on lui passe enfin commande de vitraux abstraits.
Et les vitraux de 1937 ? Ceux qui n’avaient pas été récupérés par leurs auteurs sont devenus, par transfert, propriété de la direction régionale des Affaires culturelles (Drac) d’Île-de-France. Ils sont restés entreposés dans de vastes caisses dans les tribunes de Notre-Dame jusqu’à l’incendie. Véritables phœnix, ils connaissent au sortir des flammes une seconde vie. Ces baies d’essai n’avaient en effet pas été cuites ; la Drac a donc décidé de procéder à cette opération pour les préserver. Sept de ces verrières au destin contrarié sont présentées cet été dans une exposition organisée à la Cité du vitrail de Troyes : l’occasion pour le public de découvrir l’objet du scandale et de se faire son opinion.
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1937, La polémique des vitraux de Notre-Dame
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°632 du 26 avril 2024, avec le titre suivant : 1937, La polémique des vitraux de Notre-Dame