Le surmoi culturel

Société. Lorsque le premier numéro du Journal des Arts sort en mars 1994, Sarajevo (à 1 300 km de Paris) est assiégé et, quelques jours plus tard, les Tutsis du Rwanda sont victimes d’un effroyable génocide. Trente ans plus tard, l’URSS fait la guerre en Ukraine, et Israël et le Hamas sont engagés dans un conflit sanglant. La chute du rideau de fer et la perspective de l’an 2000 avaient laissé croire que le monde allait vers l’apaisement : il n’en est rien. Si, malgré les apparences, les guerres interétatiques sont moins nombreuses, les conflits internes, le terrorisme, la cybercriminalité, la rivalité entre les grandes puissances, la déstabilisation des sociétés définissent de nouvelles formes de conflictualité.

Dans le même temps, un regard rapide sur les trente dernières années montre que l’offre culturelle s’est formidablement développée dans le monde, que ce soit à travers une attention accrue au patrimoine (la première Liste du patrimoine de l’Unesco date de 1978) ou grâce au numérique qui démultiplie, dans des proportions inouïes, la diffusion de spectacles, de musiques ou de films. Les récents débats sur les restitutions de toute nature illustrent la volonté – plus ou moins exprimée – des groupes ethniques de récupérer leurs objets culturels, symboles de leur identité.

Malheureusement, rançon de cette popularité accrue, la culture est devenue un enjeu dans les conflits. Hier le Bataclan, aujourd’hui une salle de concert de Moscou sont la cible des terroristes. Lieux de loisirs et de culture, ils symbolisent l’Occident honni. Tout comme les sculptures de Bamiyan, les tombeaux des Askias au Mali, le Carrousel du Louvre (l’attentat de 2017) ou les églises du Haut-Karabakh incarnent les mécréants. Dans un registre certes moins dramatique, mais tout aussi préoccupant, les éco-activistes ont bien compris la caisse de résonance que constituent les musées pour leurs revendications.

La culture a toujours été une échappatoire, un refuge pour les individus contre les violences du monde. Violentée, elle peut aussi être un facteur d’apaisement de la haine et de compréhension entre les groupes humains, ce que le psychanalyste Gilbert Diatkine attribue à ce qu’il appelle le « surmoi culturel ». Puisque lors d’un anniversaire, la bonne humeur est de mise, gardons l’espoir que face à l’urgence climatique, le surmoi culturel parviendra plus encore à endiguer les pulsions destructrices.