Le rouge et le noir

« Rouge » au Grand Palais décrit en creux l’asservissement de l’homme sous le régime stalinien, tandis que « Le modèle noir » au Musée d’Orsay rend compte du recouvrement progressif par les Noirs de leur dignité d’être humain.

Alors que l’abolition du servage en Russie en 1861 suit de quelques années seulement le décret de 1848, qui en France met fin à l’esclavage, les deux pays vont connaître des projets de société très différents. La révolution de 1917 remplace un tsar par d’autres tyrans – Lénine et Staline – qui, au motif de vouloir faire advenir un « homme nouveau », l’enchaînent dans le collectivisme. Et s’ils ont sorti des millions de gens de la misère, ils ont aussi exécuté des millions d’autres.

En France, sous la République la condition et le statut des Africains et Antillais s’améliorent lentement. Leur situation est loin d’être satisfaisante, mais la trajectoire sociale ne les mène pas vers ce qui sera plus tard l’Apartheid d’Afrique du Sud ou le ségrégationnisme américain.

Soyons précis, ce n’est pas le propos affiché des deux expositions. « Rouge » retrace les mouvements artistiques entre 1917 et la mort de Staline, mettant bien en évidence l’effervescence créative plus ou moins contrôlée des premières années, puis la reprise en main du dictateur enrôlant les arts dans sa propagande officielle. De son côté le Musée d’Orsay ne veut pas relater la situation des Noirs en tant que groupe social, mais en tant que modèle et figure dans les arts. Il s’agit de leur donner toute leur place dans l’histoire de l’art, en essayant notamment de retrouver leur nom.

Ces deux expositions très intelligentes montrent une fois encore combien les arts sont des miroirs de nos sociétés et que l’on peut les visiter à la fois pour se divertir par la contemplation esthétique mais aussi pour comprendre la marche du temps. Et qui sait, en tirer un éclairage pour le présent. Elles attireront certainement moins de monde que « Toutankhamon ». D’une certaine façon, tant mieux pour les heureux visiteurs, car contrairement à ceux de la Villette qui verront surtout des vitrines, ceux-ci auront tout leur temps pour (re)découvrir des pages si importantes de notre histoire.