Politique culturelle

Le Pass culture doit faire sa mise à jour

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 4 septembre 2024 - 603 mots

L’an dernier le Sénat avait tiré la sonnette d’alarme, l’Inspection générale des affaires culturelles (Igac) vient d’enfoncer le clou.

Certes, le Pass culture connaît un succès quantitatif indéniable et croissant. 81 % de celles et ceux nés en 2004 ont activé l’application de ce « GPS de la culture », contre 73 % des nés en 2003. Plus de 3,2 millions de personnes l’ont utilisée depuis sa généralisation, en mai 2021, aux jeunes de 18 ans. Le dispositif est devenu aussi accessible aux 15-17 ans, en janvier 2022, avec un crédit individuel et un crédit collectif à dépenser sous la responsabilité d’un enseignant. Mais la mesure culturelle phare de la présidence Macron ne remplirait pas ses objectifs en matière de diversification, tant de pratiques que sociale.

C’est l’ancienne ministre, Rima Abdul Malak, qui avait demandé à l’Igac d’évaluer les effets de la part individuelle du Pass culture sur l’amplification, la diversification des pratiques culturelles et d’étudier les bénéficiaires du dispositif. Le rapport ne reflète pas l’intérêt que pourrait susciter une telle proposition « disruptive » à l’égard de la jeunesse, encourager la demande plutôt qu’élargir l’offre. Sa langue est très technocratique, parfois floue. L’Igac se plaint de ne pas avoir disposé toujours de données fiables. Il est vrai aussi que le Pass a été imposé au ministère. De quoi être critique.

Premier écueil : le catalogue d’offres du Pass culture est concentré sur deux catégories de biens et avant tout sur l’une d’elles. Plus de 84 % des offres concernent des livres, 15 % ensuite la musique enregistrée. Pas étonnant, que 54 % des dépenses aillent alors vers le livre. 18 % vont ensuite au cinéma, 12 % à la musique live ou enregistrée, 8 % aux achats d’instruments, 3 % au matériel d’art plastique. Le spectacle vivant (1 %) occupe une place marginale, comme les musées mais ceux-ci sont généralement gratuits. Au total, sur les 300 € offerts à l’âge de 18 ans, les bénéficiaires ont dépensé en moyenne 254 € et, pour plus de la moitié, au moins 285 €. Deuxième écueil : les jeunes ne sont pas motivés pour découvrir tous les contenus de l’application. 47 % des utilisateurs y restent moins de cinq minutes. 61 % des consultations d’offres sont opérées via la recherche d’une proposition déjà connue. L’Igac plaide donc pour que soit « renforcée la “découvrabilité” des offres hors livres et musique par le truchement de la recommandation de l’application ». Et que soit aussi favorisée « l’amplification des réservations de certaines catégories peu consommées et jugées prioritaires en renforçant les actions de médiation spécifiques ».

L’objectif d’une diversité sociale accrue ne serait pas non plus atteint. L’Igac a commandé un sondage. Celui-ci montre que le taux de téléchargements de l’application varie en fonction du diplôme des parents : de 87 % (parents diplômés de l’enseignement supérieur) à 67 % (certificat d’études primaires). Ce sondage confirmerait aussi la persistance d’un lien fort entre les pratiques culturelles et le milieu social d’origine, dans la lignée des études réalisées précédemment par le ministère de la Culture. Bref, « la capacité du Pass culture à atteindre ses objectifs de service public ne peut être démontrée », cingle l’Igac. Le caractère durable de l’intensification des pratiques apparaît incertain, « l’existence d’effet d’aubaine ne peut être exclue », autrement dit le Pass pourrait surtout profiter à ceux qui n’en ont pas besoin. Verdict sans appel ? L’Igac formule des préconisations. Qu’en fera la, le futur ministre, quel compromis acceptera l’Élysée sur cette réalisation emblématique ? La question financière n’est pas indolore, non plus. En 2023, le ministère de la Culture avait prévu 208 M€ pour le Pass. Mais celui-ci a finalement coûté 240 M€, auxquels se sont ajoutés 51 M€ versés par le ministère de l’Éducation !

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°638 du 6 septembre 2024, avec le titre suivant : Le Pass culture doit faire sa mise à jour

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