FRANCE
Roman Polanski, Woody Allen, Gabriel Matzneff, Claude Lévêque… la liste des artistes-auteurs mis en cause pour des délits sexuels supposés ou avérés ne cesse de s’allonger, portée par la vague #MeToo.
Et après chaque révélation, revient le débat sur la distinction entre l’homme et son œuvre. Pour la première fois (à notre connaissance), un sondage exclusif demande aux Français ce qu’ils en pensent. Les réponses sont en apparence contradictoires : ils sont 55 % à vouloir « absolument distinguer un(e) artiste de son œuvre » et 51 % à penser « qu’il faut prendre en compte le profil psychologique et les comportements personnels pour évaluer ce que fait un(e) artiste ».
En réalité, les questions ne sont pas sur le même registre ; dans un cas, cela relève de l’appréciation subjective (j’aime ou je n’aime pas le film J’accuse de Polanski, indépendamment de son inculpation pour abus sexuel sur mineur) et dans l’autre, cela relève de l’explication de l’œuvre par la biographie de l’artiste. Mais les deux registres peuvent se croiser. Les critiques d’art vont maintenant reconsidérer les travaux de Lévêque qui mettent en scène des enfants (La Nuit, 1984) ou des adolescents (Vacances au Cambodge, 2004) à travers le filtre des abus qui lui sont reprochés, et non plus sous l’angle d’une supposée nostalgie de Lévêque pour son enfance. On se doute que l’appréciation de ces œuvres ne sera alors plus la même.
D’autres facteurs viennent aussi complexifier le sentiment des Français en la matière et la lecture que l’on peut faire des réponses : l’épaisseur de l’œuvre (peut-on vraiment comparer la filmographie de Polanski et les – médiocres – ouvrages de Matzneff ?), la récurrence et la gravité des délits (dont l’appréciation évolue dans le temps), la repentance de leurs auteurs, les références autobiographiques dans l’œuvre…
Plus problématique encore est la question de la mise à l’écart de l’artiste pour des comportements privés critiquables, un bannissement approuvé par 33 % des sondés. Ici, l’enjeu réside dans ce qui est critiquable et qui en décide. Or il apparaît de plus en plus que les réseaux sociaux sont devenus de nouveaux tribunaux populaires prononçant des fatwas, non seulement pour des faits qui relèvent du pénal (c’est un moindre mal), mais aussi pour une parole, une œuvre qui a le malheur de déplaire à une communauté. L’œuvre ne fait plus qu’un avec l’artiste au risque d’un asséchement de la création.
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L’artiste et son œuvre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°560 du 5 février 2021, avec le titre suivant : L’artiste et son œuvre