En 2013, le scénariste Gilles Tonnerre offre à son amie Mariana Otero un album de Gilles Caron.
La cinéaste reconnaît les clichés les plus célèbres et découvre le parcours du photographe, comète passée dans le monde des magazines et disparue brutalement en 1970. Elle décide alors de se plonger dans les 100 000 images réalisées par Caron en à peine six années de reportage. Par son titre même, ce documentaire fait écho à un précédent travail de Mariana Otero. Dans Histoire d’un secret (2003), elle revenait sur le destin de sa mère, la peintre Clotilde Vautier, morte en 1968 à 30 ans à peine. Les artistes ne disparaissent jamais tout à fait et ces deux films jumeaux interrogent leur étrange présence parmi les vivants. En Irlande du Nord, Mariana Otero retrouvera les rues, les carrefours mais aussi les visages que Caron avait saisis pendant les manifestations de 1969. Le temps a passé et le photographe semble n’avoir jamais quitté Belfast ou Londonderry. Personne n’a retenu son nom ou sa silhouette. Néanmoins, ses photos ont imprimé les mémoires. Il y a cette blonde en mini-jupe, debout parmi les gravats, devenue une icône de la lutte irlandaise. Il y a ce gigantesque mural qui reproduit une image de Gilles Caron : l’enfant au masque à gaz… Toutes ces photos tissent un fil d’Ariane noir et blanc reliant pour toujours le temps présent au XXe siècle qui s’éloigne. Mariana Otero filme également des gestes de laborantins pratiquement oubliés : la lumière rubis, les secondes égrénées, l’image qui se forme dans le bain révélateur et qui se fixe, suspendue à un fil comme un drap. L’argentique est affaire d’alchimistes et de fantômes.
À l’écran, les clichés assemblés forment des séquences. Car le cinéma a le pouvoir d’animer les images et de rappeler le photographe à la vie. Ainsi, par son montage, Mariana Otero nous transporte-t-elle à la Sorbonne, en mai 68, dans l’œil de Gilles Caron. Chaque photo correspond à un déplacement. Il court, escalade un muret, redescend, se faufile dans la cohue, s’accroupit… Finalement, il trouve son angle. Alors, d’un coup d’obturateur précis, il arrache une seconde au flux du temps : le sourire espiègle de Daniel Cohn-Bendit face à l’ombre butée d’un policier. L’image entre dans la postérité. Deux ans plus tard, quelque part sur une route du Cambodge, la trace de son auteur s’évapore à jamais. Reste une petite lumière. 100 000 photos. Un regard.
Depuis une trentaine d’années, la documentariste Mariana Otero aborde des thèmes très variés : les employés d’une usine de lingerie (Entre nos mains), un établissement pour enfants psychotiques (À ciel ouvert), le mouvement Nuit debout (L’Assemblée)...
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L’œil de Caron
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°731 du 1 février 2020, avec le titre suivant : L’œil de Caron