Malgré l’hégémonie du numérique, l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles accorde une place importante, voire croissante, à l’enseignement de la technique traditionnelle de l’argentique.
ARLES - Avec l’arrivée du numérique, cent ans après l’invention de la photographie, le monde des images est devenu foisonnant, tentaculaire, largement accessible et partagé. C’est au tournant des années 2000 que les appareils numériques s’imposent pour leur commodité, rapidité, moindre coût et efficacité. Plus d’inquiétude sur la sensibilité du film. Plus d’agrandisseur optique ni de produits chimiques polluants pour les tirages. En dix ans, la révolution technologique numérique a bouleversé l’économie de la photographie : en 2009, le Sipec (Syndicat des entreprises de l’image, de la photo et de la communication) recensait 9,2 millions de films vendus en France contre 129 millions en 2000. De nombreux laboratoires ont disparu, divers appareils et fournitures ne sont plus fabriqués, les écoles d’art ont renoncé à leur laboratoire argentique couleurs, sauf en France l’École de la photo d’Arles (ENSP). Depuis peu, certains notent une renaissance de l’argentique noir et blanc, en tout cas une chute moindre face aux megapixels.
Les jeunes diplômés d’Arles le disent bien : le numérique ne peut faire tout le futur de la photographie. Après un master en littérature comparée et un diplôme de l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles qui la laisse insatisfaite, Cloé Vignaud, 27 ans, choisit Arles pour son laboratoire argentique. « J’aime la matérialité de l’argentique, de la pellicule, avoir du concret entre les mains, choisir mes images sur planches contacts, les découper, jouer avec. » Pour Vincent Duault, 27 ans, diplômé de l’école des Gobelins, l’argentique est fondamentale dans la formation d’Arles. « Avec l’argentique, la photographie n’est pas immédiatement visible, on est dans un temps lent, une autre économie de l’image. L’étudiant doit apprendre à réfléchir, à ne pas shooter pour shooter. La pellicule, ça coûte ! » Tous deux peuvent associer une prise de vue argentique à un tirage numérique, ou l’inverse. « Comme le DJ d’électro minimale retourne à son piano, le photographe doit retourner à l’argentique », ajoute le jeune photographe.
Hybridation des pratiques
Aujourd’hui, un tiers des diplômés (25 par an) de l’École d’Arles a une pratique fidèle de l’argentique, souvent mixte, ils travaillent sur un film, le développent, le scannent, traitent l’image numériquement, puis font un tirage sur papier photosensible grâce à l’imageur Lambda. Avec les avancées technologiques, les frontières se diluent. Lore Stessel (voir photo), 28 ans, développe une pratique hybride, ancrée dans sa double identité de peintre acquise à l’école Sint-Lukas de Bruxelles, et de photographe. « Je dois m’impliquer physiquement pour que l’image m’appartienne. » Chaque image, à travers le négatif, est projetée sur un support de toile tendue sur un châssis que l’artiste enduit au pinceau d’émulsions photographiques. L’image apparaît en noir et blanc sur les zones enduites. « Pour révéler l’image, j’utilise les bains comme une peinture, je joue avec les coulures. » À travers ces couches qui se construisent et se déconstruisent – toile, émulsion, image projetée –, l’image définitive se forme dans une fusion subtile entre peinture et photo. Pour Lore Stessel, le corps humain est à la fois sujet et outil de travail. L’artiste capte des battements de vie, comme à New York où elle découvre la ville à travers les corps de danseurs ou lors d’un séjour en Zambie, où elle dessine, danse et photographie le rythme quotidien. « L’argentique ne disparaîtra pas. Dans le numérique, on peut se perdre ».
Les enjeux de l’argentique
Au temps de la multiplication infinie des images, le désir d’œuvres uniques ou en nombre assurément limité, pointe. Pour Cloé Vignaud et Vincent Duault, « l’École d’Arles ouvre toutes les voies, c’est une chance incroyable ! » L’une développe une recherche entre texte et images au Mexique autour d’un roman de l’écrivain Roberto Bolano. L’autre part aux États Unis avec une chambre photographique observer les trains, convaincu qu’avec l’argentique, « on est plus poreux ». Les diplômés de l’École ont des destinées variées : artistes, iconographes, conservateurs, commissaires d’expositions, restaurateurs, médiateurs, galeristes. Dans tous les cas, la connaissance de l’argentique compte. « Bien entendu, il ne faut pas ignorer les évolutions techniques et technologiques », insiste Rémy Fenzy, directeur de l’École. « Mais il est nécessaire de passer par l’argentique pour bien comprendre les enjeux de la représentation du monde par les outils électroniques. Il faut savoir observer le cycle de la nature, le soleil, le climat, la lumière. » Autre atout : devant des fichiers numériques à la pérennité incertaine, l’argentique devient le support convoqué pour la conservation des images numériques… Alors, quelle part pour l’argentique demain à l’École d’Arles au sein de son nouveau bâtiment prévu pour 2017 ? Rémy Fenzy n’hésite pas : « On la renforce ! ».
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L’argentique relève la tête
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°456 du 29 avril 2016, avec le titre suivant : L’argentique relève la tête