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RENCONTRE

Jacques Glénat, un Schtroumpf au sommet

L'éditeur de bande dessinée fête les 50 ans de sa maison grenobloise

Par Stéphanie Lemoine · Le Journal des Arts

Le 9 mai 2019 - 1205 mots

Doté de la bosse du commerce et d’une sacrée intuition, l’éditeur de bande dessinée a su bâtir une solide maison basée à Grenoble. Parmi ses succès : « La Fille sous la dunette », les mangas de Katsuhiro Otomo ou Titeuf. Il y a cinquante ans, il publiait le premier numéro du fanzine « Schtroumpf ».

Jacques Glénat. @ Photo J.M. Blache.
Jacques Glénat
© Photo J.M. Blache

Grenoble. Il faut un effort d’imagination pour projeter dans Jacques Glénat, homme chenu et bien planté, l’éditeur en culottes courtes qu’il fut à ses débuts en 1969, à l’âge de 17 ans. Il est vrai qu’un demi-siècle a passé depuis l’époque où le jeune Grenoblois biberonné à Spirou prenait le train de nuit jusqu’à Bruxelles pour y rencontrer Franquin ou Peyo, et glaner auprès d’eux planches et anecdotes de nature à alimenter Schtroumpf, son premier fanzine. Depuis, la feuille de chou dactylographiée et ronéotypée à 60 exemplaires s’est muée en aventure éditoriale à succès. Avec 170 salariés et plus de 12 000 titres au catalogue, dont quelques best-sellers écoulés à plusieurs millions d’exemplaires, Glénat est aujourd’hui un poids lourd de l’édition française. La maison étend d’ailleurs son empire bien au-delà de la bande dessinée, et muse du côté de l’album jeunesse, du livre de chef de cuisine, du guide de montagne ou de la carte de randonnée. Sans compter ses menées dans le monde de l’art, dont témoignent entre autres la création d’une fondation en 2012 ainsi que l’inauguration, le 18 avril, du « Cabinet Rembrandt » dans le parloir du couvent Sainte-Cécile, siège grenoblois de la société depuis 2009. Autant de façons selon l’éditeur de « donner une dimension artistique, muséale, à la bande dessinée ».

Créativité et sens commercial

Les célébrations accompagnant le 50e anniversaire des éditions Glénat donnent la mesure du chemin parcouru. Outre l’inauguration du cabinet évoquée ci-dessus et une publication consacrée aux 72 gravures de Rembrandt acquises par le fonds, l’événement a enfanté un « mook ». De Glénat à Bruxelles à Glénat face aux censeurs du Zizi sexuel, en passant par Glénat au Japon, s’y déroulent tous les jalons d’un parcours où la passion pour le « 9e art » (une expression que l’homme ne goûte guère) s’abouche à un sens aiguisé des affaires. « Dans les années 1960, explique-t-il, les librairies spécialisées n’existaient pas, le Festival d’Angoulême non plus, et la bande dessinée était considérée comme un genre pour ados attardés. » Les années 1970 marquent pourtant un tournant dont Jacques Glénat saura tirer profit : l’époque voit naître L’Écho des savanes, Fluide Glacial ou Métal Hurlant, signe d’un glissement de la bande dessinée vers un lectorat d’adultes. Le jeune homme s’inscrit dans ce filon et fonde en 1973 la revue Le Canard sauvage, où il satisfait sa double passion pour la bande dessinée et le dessin de presse. Un an plus tard, il dépose les statuts de sa SARL et publie trois albums, dont Les Gnangnan de Claire Bretécher. Un tiercé gagnant : le tout jeune Festival d’Angoulême le consacre meilleur éditeur français.

De son aveu, il faudra tout de même trente ans pour asseoir une certaine stabilité financière. « Ça a longtemps été la galère, la course aux capitaux, aux distributeurs, il y avait toujours le feu sur le bateau, rapporte-t-il. Pendant des années, vous faites partie de ces milliers de petits éditeurs qui n’ont pas un marché bien établi. » Pour mener sa barque, Jacques Glénat peut compter sur son ouverture d’esprit et son sens du commerce, qui le portent à défendre une bande dessinée populaire, attentive aux désirs mouvants du lectorat. « Qu’est-ce qu’un éditeur ?, demande-t-il. C’est quelqu’un qui est passionné par ce qu’il fait, et qui doit posséder un petit bout de cerveau créatif, un autre commercial. Je suis gaucher, et je laisse se mélanger les deux hémisphères. » Côté hémisphère droit, l’homme doit à son flair une succession de coups éditoriaux. Premier d’entre eux : la publication en 1980 de La Fille sous la dunette de François Bourgeon, tome inaugural de la série « Les Passagers du vent ». Sacré à Angoulême lors de sa parution, l’album s’est écoulé depuis à 2 millions d’exemplaires environ. Un best-seller imputable en partie à l’hémisphère gauche de Jacques Glénat, qui propose à France Loisirs de distribuer l’ouvrage, et accède ainsi à un lectorat féminin. Ce succès procure à la maison d’édition un filon durable : la bande dessinée historique, déclinée au gré de séries (« Les Chemins de Malefosse », « Les Sept Vies de l’épervier »…) ou dans le mensuel Vécu, lancé en 1985.

L’année suivante, un voyage de Jacques Glénat au Japon pave déjà la voie de son prochain best-seller. Parti pour y vendre quelques titres aux éditeurs japonais, l’homme rapporte de Tokyo un ouvrage dont les dessins lui rappellent ceux de Moebius : Akira de Katsuhiro Otomo. La publication de l’album en 1991 coïncide avec la sortie sur les écrans français de l’adaptation cinématographique d’Akira et la diffusion dans l’émission de télé « Le Club Dorothée » de Dragon Ball Z. Son succès, phénoménal, inaugure une nouvelle ère pour la maison d’édition, qui devient leader sur le très prolifique secteur du manga. Le Japon n’est du reste pas le seul pays où Jacques Glénat va puiser ses talents. « J’ai toujours été passionné par ce qui se passe dans les autres pays du monde, explique-t-il. Nous avons publié des auteurs argentins, allemands, grecs ; on est allés les chercher parce qu’ils proposent une vision différente. » C’est par exemple chez Glénat qu’on lira en français les aventures de Mafalda (Quino) ou les enquêtes de Sam Pezzo (Vittorio Giardino).

L’ésotérisme et le roman graphique

La success story ne serait pas complète sans l’évocation de ses derniers coups. Le plus retentissant d’entre eux a une houppe blonde comme Tintin et s’appelle Titeuf (Zep). La publication en décembre 1992 de Dieu, le sexe et les bretelles, sa première aventure, inaugure une série à succès (21 millions d’exemplaires vendus, traduction dans 25 pays) en partie portée par l’irrévérence du personnage et sa capacité à hérisser les ligues de vertu. Avec elle, Glénat renoue avec son amour de jeunesse : la bande dessinée pour enfants. Hémisphère gauche oblige, il s’aventure aussi du côté de l’ésotérisme et du roman graphique. Enfin, l’éditeur s’attelle désormais à des collaborations avec le monde littéraire : « puisque tout le monde me dit que la bande dessinée, c’est pour les imbéciles et les attardés, je suis allé chercher Luc Ferry, Pascal Bruckner ou Erik Orsenna », ironise-t-il.

Ces derniers développements permettent à Jacques Glénat d’envisager sereinement la suite. Soit un tranquille passage de relais à ses filles. L’aînée, Marion, pilote désormais le secteur jeunesse, et Charlotte s’occupe des achats. Une manière de conjurer la rançon du succès pour un homme qui dit avoir consacré sa vie au travail, au point de n’avoir pas vu grandir ses enfants.

 

1952
Jacques Glénat naît à Grenoble (Isère) et grandit dans un milieu perméable aux arts.
1969
Il publie le premier numéro du fanzine Schtroumpf. En 1973, il crée la revue Le Canard sauvage.
1974
Il dépose les statuts de sa maison d’édition, et publie ses trois premiers albums.
1980
Publication de La Fille sous la dunette de François Bourgeon, premier tome des « Passagers du vent ».
1991
Publication en album cartonné du manga Akira par Katsuhiro Otomo.
2013
Création du Fonds Glénat pour le patrimoine et la création. En 2017, il acquiert une collection de 72 gravures de Rembrandt.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°523 du 10 mai 2019, avec le titre suivant : Un Schtroumpf au sommet

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