Bande dessinée

Stéphane Beaujean : « Un festival reflet de la bibliodiversité française »

Directeur artistique du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 15 février 2019 - 897 mots

ANGOULÊME

Le directeur du festival de BD d’Angoulême relie les innovations de la 46e édition, qui s’est tenue du 24 au 27 janvier, à la « crise de croissance » que connaît la manifestation, comme le secteur de la bande dessinée lui-même.

Stéphane Beaujean, directeur artistique du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême @ photo  FIBD
Stéphane Beaujean, directeur artistique du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême
© photo FIBD
Cette édition du Festival international de la bande dessinée (FIBD) d’Angoulême a été marquée par plusieurs évolutions, comme le fait de multiplier par 2,5 l’espace consacré au manga, passé de 1 000 à 2 500 mètres carrés. S’agit-il d’une orientation stratégique ?

C’est d’abord un choix dicté par un besoin structurel ; la capacité d’accueil avait clairement atteint ses limites. Nous étions au-delà des jauges de sécurité du fait de l’affluence du public sur cet espace dédié, où nous avons également accueilli de nouveaux éditeurs. À l’échelle francophone, le manga représente 40 % du marché en volume et autour de 25 % en chiffre d’affaires – les albums de manga se vendant moins cher. C’est un segment très important de la bande dessinée qu’il s’agit de prendre en compte après l’avoir longtemps négligé.
De la même façon, le festival met cette année l’accent sur les comics. Il s’agit moins d’effets de focus éphémères que de nouveaux axes que nous souhaitons développer. Tout comme nous allons renforcer le secteur du divertissement franco-belge, qui mérite d’être soutenu, en particulier à travers le prix récompensant la meilleure série. Nous aurons alors un festival qui sera le reflet de la « bibliodiversité » française.

N’était-ce pas le cas jusqu’à présent ?

Non, car le festival faisait des choix éditoriaux plus tranchés en matière de genre. Mais le contexte a changé : la pop culture est en train de trouver une forme de légitimité culturelle. Sans compter que le FIBD est à ce jour le seul événement d’envergure dans le domaine de la bande dessinée. Il se doit donc d’être à la fois commercial et représentatif de la créativité.

À quel niveau la sélection du festival s’exerce-t-elle si son positionnement est aussi large ?

Les critères du festival ne répondent pas à des logiques clivantes de genre et de catégorie mais à une ambition. En tant que directeur artistique, je privilégie les démarches d’auteurs qui sont des réformateurs, qui évitent les stéréotypes, les lieux communs. J’aime par exemple quand les artistes s’emparent d’une icône et essayent de la tordre. Il me semble que cela reste intéressant de puiser dans un répertoire de formes existant, si cela se traduit par l’invention d’un langage singulier.

L’espace dévolu au marché des droits internationaux a également été multiplié par deux sur cette 46e édition. Sur la base de quel constat cette décision a-t-elle été prise ?

On sait que le marché français de la bande dessinée est, depuis sept à huit ans, en pleine croissance. C’est une exception industrielle – le secteur de l’édition décroît – et géographique : au Japon et aux États-Unis, on observe un mouvement inverse. Cette anomalie s’explique par un effet de rattrapage ; l’économie hexagonale de la bande dessinée, plutôt modeste, a été dopée par les ventes de mangas, de comics, par l’arrivée du roman graphique…, autant de relais de croissance qui ont apporté un nouveau souffle. Cet essor est aussi lié au fait que l’on importe énormément de bandes dessinées étrangères. Le lectorat français de bande dessinée est un lectorat ouvert, curieux. Le festival d’Angoulême est à son image : du fait de cette appétence pour la création étrangère, il offre un panorama complet de ce qui se fait dans le monde. Vous pouvez acheter ici tout ce qui a été traduit, et tous les éditeurs sont présents. C’est une véritable plateforme internationale. Le marché des droits bénéficie par ailleurs d’un fort soutien à la fois du Centre national du livre et de la Région Aquitaine, soutien grâce auquel nous pouvons, par exemple, inviter des agents étrangers. Car c’est aussi un outil politique.

Cette année, pouvait-on parler d’une « crise de croissance » pour le festival ?

Oui, la billetterie, l’impact sur les réseaux sociaux, tout était en augmentation et cette édition nous a obligés à voir plus grand pour tout. Jusqu’à la programmation : le Grand Prix 2018 décerné à Richard Corben s’est ainsi traduit cette année par une exposition incluant des prêts de la part de vingt-deux collectionneurs du monde entier, soit une logistique complexe, dans un temps très contraint.

Avec le Fauve d’or attribué à la bande dessinée de l’Américaine Emil Ferris et le prix Révélation récompensant Émilie Gleason, le palmarès de cette 46e édition s’affiche international et féminin : faut-il y voir les effets d’une discrimination positive ?

Il est en effet féminin et international, mais ce ne sont pas ces critères qui ont présidé au choix des jurés. Ceux-ci ont débattu des livres en tant qu’objets, en dehors de leur contexte de création. Toute autre interprétation relève de la projection a posteriori. Ce qui ressort de Moi, ce que j’aime, c’est les monstres d’Emil Ferris ; de Ted, drôle de coco, d’Émilie Gleason ; ou encore des Rigoles de Brecht Evens, Prix spécial du jury, c’est qu’il s’agit d’ouvrages qui, chacun à leur façon, expriment une vision marginale. Ces univers assez sombres illustrent bien le fait que la bande dessinée est un médium capable de saisir le monde dans sa subjectivité. Ce sont ces voix très singulières que les jurés ont voulu célébrer, à l’issue de délibérations qui ont duré seulement deux heures. Un consensus s’est très vite dégagé, comme une évidence.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°517 du 15 février 2019, avec le titre suivant : Stéphane Beaujean : « Un festival reflet de la bibliodiversité française »

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