La bande dessinée bénéficie d’un formidable renouvellement créatif et gagne aujourd’hui de nouvelles sphères. Mais le mouvement reste encore timide.
A voir Chris Ware déployer par milliers ses puzzles narratifs en librairie, Richard McGuire gagner la presse après le dernier festival d’Angoulême ou Jochen Gerner recevoir le prix Drawing Now 2016, l’on serait tenté de s’extasier sur la percée de la bande dessinée de création. Si les lignes bougent incontestablement, la réalité est plus contrastée. Schématiquement, la frange la plus créative de la BD se retrouve aujourd’hui chez les éditeurs indépendants (Cornélius, Frémok, L’Association…), microéditeurs et éditeurs de fanzines (Matière, The Hoochie Coochie…). Seuls quelques titres réalisent l’essentiel des 459 millions d’euros de chiffre d’affaires liés aux 39 millions d’albums vendus en 2015. En raison des mouvements de concentration dans l’édition, cinq entités dominent cette économie, totalisant près de 70 % des exemplaires vendus : Média Participations, Delcourt, Glénat, Hachette et Madrigal. Sur les 5 255 ouvrages publiés en 2015, seuls 326 concernent les éditeurs dits « alternatifs ».
Des festivals et des galeries spécialisées
Autre difficulté, le schéma liant créativité de la production et indépendance des maisons trouve des limites. Une fois le succès venu, certains auteurs peuvent intégrer le catalogue des gros éditeurs ; d’autres circulent entre indépendants et grands groupes : ainsi, Marc-Antoine Mathieu est publié par Delcourt, Emmanuel Guibert l’est à la fois par L’Association et Dupuis, de même que Rupert & Mulot. Chez les plus gros éditeurs sont créés des labels spécifiques et des publications s’inspirant du succès de L’Association dans les années 1990. Parallèlement à ces circuits, l’autoédition et le livre d’artiste se sont développés, poussés par la baisse des coûts de production, la simplification de la fabrication, la multiplication des formations en BD ou le développement du crowdfunding. Pour l’ensemble des acteurs évoluant en dehors des grands groupes, l’accès aux librairies reste ardu, malgré le développement de circuits alternatifs.
Les plateformes numériques restant anecdotiques, les nombreux festivals constituent alors un débouché important pour les petites structures les plus créatives : Angoulême en premier lieu, Quai des bulles à Saint-Malo, Colomiers, BD-Fil à Lausanne, Cultures Maison à Bruxelles… « Pour The Hoochie Coochie [éditeur et imprimeur], les festivals représentent 50 % des ventes en chiffre d’affaires, et cela pourrait atteindre 70 % pour les éditions Adverse », indique Alexandre Balcaen, éditeur. Des expositions sont souvent organisées au sein de ces événements : cette année, l’œuvre de Brecht Evens se déployait aux Rencontres du 9e art d’Aix, celle de Marc-Antoine Mathieu au Pulp Festival à la Ferme du Buisson. En dehors de la chaîne du livre, les originaux de bande dessinée trouvent des débouchés commerciaux en galeries, de plus en plus nombreuses. « Au début, il s’agissait de libraires qui proposaient des planches, puis cela s’est professionnalisé », expliquait Jean-Marie Derscheid, pionnier en la matière, aux premières Rencontres nationales de la bande dessinée à l’automne.
Plus d’une quinzaine de galeries spécialisées sont recensées : Arts Factory, la plus expérimentale, Daniel Maghen, Barbier & Mathon, Martel, Huberty & Breyne, Champaka… Quelques confrères spécialisés en art contemporain font également une place aux créateurs de BD qui sortent alors du livre : Winshluss chez Georges-Philippe et Nathalie Vallois, Jochen Gerner, David B. ou Killoffer chez Anne Barrault. De leur côté, Artcurial, Sotheby’s, Christie’s, Millon et d’autres se partagent le gâteau des enchères. Mais, hormis Enki Bilal, la bande dessinée historique franco-belge continue de capter les plus hauts prix, laissant loin derrière les créateurs contemporains les plus créatifs (10 000 euros pour une planche de Building Stories de Chris Ware chez Christie’s en 2015).
L’esprit de chapelle
La voie du musée avait été ouverte dès 1967 par l’exposition « Bande dessinée et Figuration narrative » aux Arts décoratifs. « Un événement qui a changé le regard sur la BD », commentait à Angoulême David Caméo, aujourd’hui président dudit musée. Aujourd’hui, les expositions se succèdent, du Grand Palais au Lieu unique en passant par la Maison rouge. Pourtant, la motivation de nombre d’institutions est bien souvent liée au développement des publics, et les créateurs invités ne sont pas toujours ceux qui renouvellent le genre. En matière d’acquisitions, les acteurs sont bien rares, hormis la BnF et la Cité internationale de la bande dessinée d’Angoulême, dont le budget est fort mince. « Nous devons refléter la production dans sa diversité, avec les pièces les plus remarquables, la BD commerciale comme les formes les plus créatives », détaille Jean-Pierre Mercier, conseiller scientifique de l’établissement. Exceptionnellement, les Frac peuvent acquérir des pièces, tel l’ensemble de TNT en Amérique de Jochen Gerner.
Cette diffusion hors de la chaîne du livre et le fort renouvellement créatif de la part d’auteurs qui se jouent des codes de la BD amènent à s’interroger sur ses limites mêmes. « Il y a une érosion progressive des frontières. La perception a bougé. L’entrée de la production dans le registre adulte pousse les limites de tout le répertoire, y compris rétroactivement », explique Jean-Pierre Mercier. « Le décloisonnement est réel, surtout du côté de la microédition, très dynamique. Mais les idées de chapelle restent encore très ancrées dans la tête du public, des médias, des points de vente… Il reste aussi une méfiance de fond entre l’art contemporain et la BD. Mais cela avance, nous travaillons pour demain », promet Alexandre Balcaen.
Dans le cadre du cycle d’expositions « art contemporain & BD », le Frac Aquitaine présente « BD Factory ». Ce terrain d’observation transcende les frontières de la bande dessinée et explore l’influence de cette dernière sur la création contemporaine. Des années 1980 à aujourd’hui, le jeu d’hybridation et de mutation démontre l’émancipation de l’art inspiré de la BD des trois foyers qui dominent le 9e art (Walt Disney au États-Unis, les mangas au Japon et la BD européenne). Des artistes tels que Philippe Parreno et Camille Lavaud partagent leur goût du récit en images tout en mettant à jour cette passion.
1 - Le livre sens dessus dessous
Standard de la bande dessinée, le « 48 CC » (pour 48 pages cartonnées couleur) appelle le lecteur à tourner sagement ses pages une par une. Le livre-objet l’invite au contraire à le manipuler en tous sens pour réinventer la lecture et participer à la construction de la narration. Argument marketing de poids autant que nouvel eldorado créatif, cet ovni éditorial s’est fait une place dans le paysage de la bande dessinée. Avec sa série Julius Corentin Acquefacques, Marc-Antoine Mathieu joue autant avec les codes de la BD qu’avec l’objet lui-même, avec des pages évidées, déchirées, des jeux de miroirs… À déplier, la frise de 7 m de long de La Grande Guerre (2014) de Joe Sacco offre une plongée dans la première journée de la bataille de la Somme, comme un long plan séquence, quand Fenêtres sur rue de Rabaté plante son décor devant un immeuble dont les scènes évoluent au gré des jours.
Pliages et arrachages
Initialement conçu pour les cimaises des galeries ou musées, Le Panorama du feu (2010) de Jochen Gerner permet quant à lui de déployer l’imagerie guerrière de ses 51 pocket comics, recouverts de noir et additionnés de pictogrammes. C’est cette fois muni d’un filtre que le lecteur devra s’attaquer à l’ouvrage collectif Polychromie (2013), hommage aux Villes invisibles d’Italo Calvino : bleu pour lire la couche rouge du dessin et vice-versa. La véridique histoire d’un e-mail d’Olivier Philipponneau se déploie grâce aux pliages qui ouvrent un nouvel épisode du récit et donnent un nouveau sens aux dessins précédents. Un cadeau de Ruppert & Mulot en est-il vraiment un ? Le livre doit être déchiré page après page pour avancer dans le récit de deux médecins légistes causant cadeaux de Noël tout en disséquant un cadavre. Mais le phénomène de ces dernières années est sans conteste Building Stories de l’Américain Chris Ware. Géant dans tous les sens du terme, ce coffret réunit quatorze bandes dessinées de tous formats : strip à déplier, monumental journal, mini comics… avec pour personnages centraux une jeune femme et l’immeuble où elle a habité. À chacun de fabriquer sa propre histoire.
2 - Dessinateurs ou plasticiens ?
La bande dessinée sort de plus en plus de sa bulle. Elle semble s’émanciper du sacro-saint album cartonné hérité des maîtres franco-belges, pour être associée, par exemple, à un spectacle, tel Romain Renard prolongeant sa BD Melvile par un concert rock donné en avril dernier aux Rencontres du 9e art à Aix-en-Provence, ou quitter les cases établies pour fréquenter les galeries d’art (Anne Barrault, Georges-Philippe et Nathalie Vallois), les institutions (Frac Aquitaine, Maison rouge à Paris, Musée Sainte-Croix des Sables-d’Olonne…) et les foires d’art contemporain ; lors de la prochaine édition de Drawing Now (23-26 mars 2017), les Vallois présenteront sur leur stand des planches originales de la dernière BD de Vincent Paronnaud, alias Winshluss, Dans la forêt sombre et mystérieuse, publiée en 2016 chez Gallimard Jeunesse.
L’album, une déclinaison de la BD parmi d’autres
Si les artistes contemporains puisant leurs formes dans la bande dessinée sont légion, de Warhol à Fabien Verschaere, en passant par Di Rosa, on assiste depuis quelque temps à un phénomène nouveau : certains bédéistes, tels David B., Jochen Gerner, Killoffer et autres Winshluss intègrent le milieu de l’art contemporain. « L’Association, en 1990, note Anne Barrault, a marqué un véritable renouveau dans la bande dessinée pour adultes. Il y a eu l’émergence d’incroyables artistes non visibles dans les galeries. C’est par exemple le cas de David B. ou Killoffer qui ont toujours réalisé des dessins “pour le mur”, parallèlement à leurs livres. » Ne se contentant aucunement de présenter simplement des planches sur les cimaises, ces bédéistes plasticiens créent des fresques ou des installations in situ, dont la démarche conceptuelle ou l’humour provocateur torpillent, souvent de l’intérieur et avec beaucoup de fraîcheur, les codes de l’art contemporain. On ne s’en plaindra pas.
3 - Acrobaties numériques
L’entrée de la BD dans le numérique ouvre à la fois une nouvelle voie de création et une expérience de lecture inédite, flirtant parfois avec l’animation ou le jeu vidéo. Le petit personnage en pictogramme de Prise de Tête (2009), de Tony, perd littéralement la sienne. Charge à l’internaute, devenu acteur du récit, de la retrouver en manipulant sa souris et, par là, les cadres et images qui se superposent, se déplacent ou se transforment. Avec des récits de tous genres et formats, la revue web Professeur Cyclope illustre bien le formidable terrain de jeu qu’offre le numérique : dérouler une case à l’infini, voir des séquences animées, se faire narrer le texte en voix off, générer aléatoirement des strips… Autre voie pour le numérique, celle de se tourner vers l’installation. Présentée dans divers festivals, la « bande défilée » Phallaina de Marietta Ren, mixe ainsi gigantesque fresque narrative et sonore et lecture sur téléphones et tablettes. Malgré ces expérimentations, l’enjeu pour la BD numérique reste aujourd’hui de se trouver un modèle économique viable.
4 - Attention, bandes peintes
« C’est ce que j’aime le plus, mais je ne le fais déjà plus, affirmait en 1973, à propos de la peinture, le maître de la BD Alberto Breccia dans un entretien pour le magazine Bang ! Parce que, bien que ce soit ce que j’aime, ça ne m’intéresse pas de communiquer à travers la peinture. » S’il a pour mentor Breccia, Lorenzo Mattotti ne l’a pourtant pas suivi dans cette voie, puisque cet artiste protéiforme (peintre, illustrateur, auteur de bande dessinée) passe d’un médium à l’autre, ce qui compte étant le résultat.
En couleur directe
Prolongeant le coup d’éclat d’Arzach au milieu des années 1970, album dans lequel Moebius quittait la mise en couleur sur épreuves au profit de la couleur directe (solidaire du dessin original), la BD Feux (1986) signée Mattotti, afin d’affirmer la nature sauvage, présente des cases au fort traitement expressionniste, mêlant crayon, pastel gras et acrylique. Depuis, maintes bédéistes peintres (Druillet, Bilal, Sienkiewicz, McKean, Ross, Séra, de Crécy, etc.) se sont engouffrés dans la brèche, fusionnant les genres, leurs albums relevant d’une « cuisine interne » mixant peinture, dessin et, souvent, collage.
Plus récemment, deux contemporains poursuivent le mariage heureux entre peinture et bande dessinée, ou plutôt « bande peinte ». Dans son album Providence, sorti chez Cornélius en 2013, Hugues Micol propose cinquante planches couleur, mélangeant délicatement aquarelle et gouache, dont chacune suggère une ville, réelle ou fantasmée, des États-Unis. Au fil des pages, l’ensemble, tel un palimpseste – les couches légères ou opaques se superposent pour créer des saynètes hantées par un Peter Blake –, constitue un road-trip fascinant. Avec sa BD Panthère parue en 2014 chez Actes Sud, présentant des pages sans cases ni bulles, véritables tempêtes de couleurs réalisées aux encres Ecoline, Brecht Evens est emblématique d’une nouvelle génération de jeunes auteurs brouillant volontairement les pistes entre peinture et dessin. D’ailleurs, cet inclassable Flamand, adepte des taches imprévues et des accidents heureux, travaille tel un peintre : « La plupart des auteurs de BD dessinent en continu. Moi, je fais quelques gestes et puis je regarde. »
5 - La photographie, loin du cliché
La photographie s’invite régulièrement dans les pages de la bande dessinée. Dans la manga, elle est bien souvent une matière première, photocopiée et retravaillée, puis fondue dans le dessin. Loin de ces créations, Enki Bilal utilise comme toile de fond des clichés de la ville californienne pour y incruster les personnages de Los Angeles, l’étoile oubliée de Laurie Bloom (1984), enquête au carrefour entre fiction et reportage. Dans le sillage de ses expérimentations dans Hara-Kiri, Jean Teulé télescope reportage, BD et roman-photo pour un tour des Gens de France (1988) haut en couleur, des communautés de hippies aux inventeurs de soucoupes volantes. Dans Le Processus (1993), les scènes photographiées signalent au lecteur que le héros de Marc-Antoine Mathieu est sorti de la page pour rejoindre la réalité, au sein d’une histoire en spirale digne du ruban de Möbius. La photographie est la source même de la trilogie Le Photographe (2003-2006) : case après case, les clichés de Didier Lefèvre et le dessin d’Emmanuel Guibert se succèdent, pour une immersion dans l’Afghanistan des années 1980, alors en guerre contre l’URSS.
6 - Collages et décollages
Tout comme les avant-gardes artistiques du XXe siècle ont eu recours au collage, la bande dessinée peut s’emparer de cette technique dans une démarche expérimentale. Ainsi, Pascal Matthey a littéralement mis en pièces la bande dessinée franco-belge dans son ouvrage 978. L’auteur a découpé des catalogues d’éditeurs, en a tiré des fragments d’images et les a rassemblés selon leurs seules vertus plastiques pour créer des ensembles abstraits, dépouillés de tout texte et ne laissant place qu’à des formes, rythmes et couleurs. Le format standard, 48 pages cartonnées en couleur, et l’utilisation du gaufrier classique achèvent d’en faire un pied de nez au versant le plus commercial de la bande dessinée. Robert Varlez, qui le devance d’une génération – il officiait dès les années 1970 – s’est fait une spécialité du collage. Récemment republié, il emprunte aux travaux de Muybridge sur la chronophotographie pour une œuvre silencieuse et poétique, aux confins de la BD, où les corps se défont et refont de leurs membres, mus par une étrange mécanique. Le collage peut aussi bien irriguer des démarches plus commerciales. Les albums de Blaise, passé derrière le petit écran sur Arte depuis la rentrée dernière, sont constitués de personnages en papier découpé. La technique en fait les marionnettes d’un petit théâtre à l’humour grinçant, où gravitent, autour du jeune Blaise, une série de personnages fort peu recommandables. Pour leur exploration de la carte du Tendre, Johan De Moor et Gilles Dal croisent collages, gouache, pastel, crayonnés… C’est ce télescopage de pratiques qui leur permet d’ausculter La Vie à deux, dans un patchwork loufoque issu de la culture populaire, des gondoles à Venise à Mike Brant.
7 - Le coloriage, parfum d’enfance et de primitivisme
Certains dessinateurs contemporains ne manquent pas de rappeler combien la bande dessinée, à l’ère du numérique et d’un certain cinéma féru de technologies de pointe, peut se faire avec des moyens rudimentaires : du papier, un crayon, des feutres. L’Américaine Renée French, dessinatrice de comics, a sorti en 2007 chez L’Association un roman graphique, Toile de fond, entièrement réalisé au graphite. Ses images grises et charbonneuses baignent dans une atmosphère vaporeuse dont l’inquiétante étrangeté (malformations organiques, insectes, objets étranges) n’est pas sans rappeler David Lynch. Avec ses albums rendant hommage à la ligne claire et à l’aventure (Robin Hood, 2010, Lemon Jefferson, 2012), le jeune Simon Roussin a surpris son monde en coloriant ses cases au feutre ; on y voit, comme dans un dessin d’écolier, les traces de l’outil. D’aucuns y ont vu un jeu avec les codes de la BD mais, pour l’auteur, il s’agit surtout de retrouver instinctivement le souffle de ses lectures enfantines : « Le feutre est une technique vers laquelle je suis allé logiquement car elle avait ce côté un peu naïf qui allait beaucoup avec mon propos de revenir à un plaisir enfantin de la bande dessinée. »
8 - De l’abstraction en BD
Qu’entend-on par « bandes dessinées abstraites » ? On en distingue de deux sortes, celles qui ne représentent aucun objet concret afin d’affirmer un pur jeu de lignes et de couleurs et celles qui, dans leurs séquences narratives, s’autorisent des plages d’abstraction pour permettre à leur histoire de « respirer » et d’explorer un territoire inconnu, souvent mental. Des auteurs comme Olivier Schrauwen, avec Arsène Schrauwen (2015), et Lasse & Russe, via une nouvelle graphique publiée en 2015 dans la revue alternative Franky (et Nicole) n° 3, font cohabiter leurs personnages avec des compositions géométriques. La BD radicalement abstraite existe bel et bien, elle est même depuis 2009 référencée dans l’anthologie de l’Américain Andrei Molotiu, Abstract Comics, chez Fantagraphics. Cette bande dessinée expérimentale, si elle ne s’interdit pas le récit, s’est fixée pour règles simples d’exclure figures et mots. Pour autant, une narration y est quand même à l’œuvre, comme dans Petit trait (2009) d’Alex Baladi et La Nouvelle Pornographie (2006) de Lewis Trondheim, tous deux de L’Association, puisque ces BD muettes dévoilent l’histoire de formes qui évoluent au fil des pages : la première distribue des petits bâtons qui courent sur la page comme pour traduire des phénomènes atmosphériques quand la seconde propose des motifs géométriques évoquant des positions sexuelles.
9 - Les historiques de la BD expérimentale
En matière d’expérimentation, avec les codes du médium, l’utilisation de techniques diverses et la tentation de l’abstraction, les aînés d’hier n’ont pas attendu les jeunes d’aujourd’hui pour pousser la BD dans ses retranchements. Avec son vertigineux Little Nemo in Slumberland, paru à l’orée du XXe siècle dans le New York Herald, Winsor McCay (1867-1934) prend vite conscience des ressources de son art : loin d’être qu’une simple succession de cases déroulant un récit linéaire, sa page est à parcourir comme une globalité distribuant les cases de différentes tailles en vue d’entraîner, comme devant un tableau, une lecture libre.
Bien après lui, le dessinateur argentin Alberto Breccia (1919-1993) s’affirme en tant que maître incontesté du noir et blanc multipliant, dans ses histoires sombres, telle Perramus (1986), les procédés graphiques assez rustres (papier déchiré, mélange de textures, dessin à la lame de rasoir…) dans le but de capter l’inexprimable – la noirceur humaine – en repoussant les limites de la représentation. Avec sa saga Corto Maltese, l’Italien Hugo Pratt (1927-1995) a adopté peu à peu une grande économie de moyens conduisant son marin aventurier aux limites de l’abstraction ; certaines cases de son album Tango (1987), zoomant sur un détail (pieds rapprochés ou regards croisés des danseurs), peuvent se lire comme des abstractions faites simplement de lignes et d’aplats de couleur.
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La BD sort de ses cases
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Du 19 janvier au 20 mai 2017. Frac Aquitaine, Hangar G2, bassin à flot n° 1, quai Armand-Lalande, Bordeaux (33). Ouvert du lundi au vendredi de 10 h à 18 h, le samedi de 14 h 30 à 18 h 30. Entrée gratuite. Commissaire : Claire Jacquet. www.frac-aquitaine.net
Rencontres du 9e art
Festival de bande dessinée et autres arts associés, avril et mai 2017. Week-end BD les 7, 8 et 9 avril. Cité du livre et divers lieux dans la ville, Aix-en-Provence (13). Directeur artistique : Serge Darpeix. www.bd-aix.com
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°697 du 1 janvier 2017, avec le titre suivant : La BD sort de ses cases