« Le Plaisir des images » du chercheur québécois Maxime Coulombe ouvre la porte aux sciences cognitives dans les études d’histoire de l’art.
Au Centre Pompidou, les neurosciences sont à l’honneur. L’édition annuelle de « Mutations / Créations » y présente des œuvres qui témoignent du vif intérêt des artistes pour le fonctionnement de notre cerveau. Discipline en pleine expansion, les sciences cognitives peinent en revanche à intéresser les historiens de l’art. Les progrès dans la compréhension des mécanismes de la mémoire, de la réception des sensations ou du désir s’invitent difficilement dans une discipline qui privilégie traditionnellement, dans l’étude des images, l’utilisation de sources archivistiques et historiques. Dans son essai Le Plaisir des images, Maxime Coulombe tente une introduction bienvenue de ces « sciences dures » dans la boîte à outils de l’historien de l’art. Professeur d’art contemporain à l’université de Laval à Québec, sa démarche part d’un constat : « Je me suis rendu compte que la plupart des approches en histoire de l’art s’intéresse à l’image comme une source d’érudition, explique-t-il, et nous laissons rarement la place à ce qui résonne en nous lorsqu’on regarde une image. »
Étudier l’image en s’appuyant sur les neurosciences nécessite donc un pas de côté, en s’intéressant au domaine de la réception plutôt que celui de la création. L’objet d’étude y est le regardeur, et son cerveau, plutôt que la création et son contexte historique. Là aussi, le chercheur québécois s’aventure sur un terrain laissé en friche par la recherche : investi par les tentatives de sémiologie de l’image depuis les années 1970, puis par les approches poétiques de l’histoire de l’art, tout ou presque reste à construire. Alors pourquoi pas avec l’aide des « sciences dures » ? Les concepts que le chercheur québécois va y puiser dessinent une explication convaincante des mécanismes de perception de l’image, et résonnent avec les intuitions des pionniers de la sémiologie de l’image. Il utilise ainsi les travaux du neuroscientifique Endel Tulving, qui distingue la mémoire sémantique de la mémoire épisodique. La perception de l’image articulerait ces deux types de mémoires, la sémantique lorsque nous reconnaissons les objets représentés et que nous les connectons à un savoir extérieur, et la mémoire épisodique lorsque la même image fait surgir un ensemble de sensations précises associées à un souvenir. Voilà qui figerait presque le punctum et le studium de Roland Barthes sous un vocabulaire scientifique.
Les neurosciences permettent de confirmer des sensations partagées par la plupart des visiteurs de musées, et conceptualisées par la sémiologie de l’image. Leur apport se situe dans la description précise des mécanismes qui font de l’image une porte ouverte sur nos souvenirs. Les recherches d’António Damásio et Kaspar Meyer ont ainsi permis de localiser une zone du cerveau – la zone de convergence-divergence ou CDZ – où les sensations associées à un souvenir sont stockées. Si les madeleines de Proust, visuelles, odorantes ou auditives, nous transportent dans un souvenir passé, les recherches des deux neurologues prouvent également que la mémoire sémantique (celle qui est liée au savoir) est aussi capable de stimuler des souvenirs précis. Le punctum, la dimension touchante de l’œuvre, et le studium, son aspect informatif, ne sont donc pas deux données indépendantes, perçues par deux hémisphères cérébraux différents.
Sans utiliser un vocabulaire jargonnant – dont raffole la sémiologie – ou trop technique, Maxime Coulombe dresse un panorama assez complet des problématiques soulevées par la perception de l’image. Mais l’essai souffre d’une définition trop floue de ce qu’est l’image : sous ce terme, l’auteur glisse l’ensemble des perceptions qui font appel au mécanisme de visualisation. Aucune distinction n’est faite entre les images qu’évoque la littérature, et celles bien réelles que les arts visuels nous offrent. La démonstration met ainsi sur le même plan la fiction littéraire et l’illusionnisme de l’image. Ce raccourci malheureux illustre le détachement – à tort ou à raison – de l’auteur pour la question qui jusqu’ici structure les recherches en sémiologie de l’image : quelle différence existe-t-il entre la lecture d’un texte et la perception d’une image ?
La multiplication d’exemples variés (peinture, littérature, et même séries Netflix !) rend toutefois la lecture de cet essai instructif et agréable à lire, et offre à l’histoire de l’art l’image d’une discipline vivante, qui pour une fois ne tourne pas le dos aux notions de plaisir, de désir et d’émotion. Elles qui sont au cœur de notre expérience de regardeur devraient désormais trouver une place dans le champ de la recherche.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Dans le cerveau du regardeur
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°542 du 27 mars 2020, avec le titre suivant : Dans le cerveau du regardeur