PARIS
À la veille des 220 ans de la librairie Galignani, sa directrice explique comment elle s’est organisée pour faire face aux fermetures administratives et comment la production éditoriale dans le secteur beaux-arts évolue.
La librairie Galignani est née en 1801, à Paris, sous la forme d’un club de lecture, avant de s’installer au 224, rue de Rivoli en 1856. Durant la Seconde Guerre mondiale, à défaut de pouvoir s’approvisionner en livres anglais ou américains, et refusant de vendre des livres allemands, la librairie, alors dirigée par André Jeancourt-Galignani, se dote d’un rayon beaux-arts, devenu depuis un département très prisé. Le 30 octobre dernier, Danielle Cillien-Sabatier, la directrice de l’établissement, figurait parmi les signataires d’une tribune publiée dans la presse qui interpellait le gouvernement à propos de la fermeture des librairies et des bibliothèques.
Au fait qu’elle soit une entreprise familiale et indépendante. Elle appartient toujours à la même famille : la famille Galignani à l’origine, et aujourd’hui à la famille Jeancourt-Galignani.
On a fait tout ce que l’on a pu pour préserver la vie de cette entreprise, les emplois et l’accessibilité pour les lecteurs. On a mis en place une série d’actions très concrètes pour pallier la fermeture. Concernant notre chiffre d’affaires, tout dépend du mois de décembre. Novembre et décembre, c’est pour nous 900 000 euros en général pour les trois départements confondus, français, anglais et beaux-arts. En novembre, nous avons réussi à conserver 40 % de notre chiffre d’affaires comparé à un mois de novembre habituel. Habituellement, celui-ci avoisine 3,5 millions d’euros à l’année.
Entre 35 et 40 % du chiffre d’affaires. Nous travaillons toute l’année très bien, et pas seulement en fin d’année. Car notre fonds n’est pas composé seulement d’actualités, nous avons un fonds en français et en anglais dans tous les domaines et avec des spécialités pointues. Sur certains sujets, nous sommes des référents, que ce soit pour les arts décoratifs, la mode ou la joaillerie. Notre propriétaire est conscient de l’importance du stock et de sa qualité. Prendre en quantité ce qui sort dans les trois derniers mois et les retourner au bout d’un mois si cela ne fonctionne pas, ce n’est absolument pas notre stratégie. Je n’ai pas hésité quand il y a eu l’exposition « Jewels by JAR » (Joël Arthur Rosenthal) au Met [Metropolitan Museum of Art, New York] à acheter un stock de 500 catalogues, car je savais que, sur la durée, nous écoulerions ce stock. Sur les 500, il doit m’en rester aujourd’hui une cinquantaine. Il est vrai que je n’ai pas vendu les 500 en trois mois comme il aurait fallu le faire à la Fnac.
Il s’est très bien tenu toute l’année car il y a eu une très belle production d’ouvrages. Ensuite le libraire de ce rayon est très dynamique. Il est suivi dans ses choix et ses recommandations. Je m’implique aussi beaucoup sur ce rayon. Quand je suis arrivée, j’ai mis en place un catalogue de Noël. L’an dernier par exemple, [l’artiste] Jean-Michel Othoniel a conçu notre vitrine de Noël. Et pendant la fermeture, nous avons installé une très belle vitrine avec les boiseries historiques Féau. Nous sommes aussi très actifs en termes de visibilité sur les réseaux sociaux. Tout cela contribue à ce que ce rayon fonctionne bien. Notre clientèle est certes une clientèle d’habitués, mais pas seulement. On a aussi une clientèle internationale de passage assez importante, en particulier au moment des fashion weeks, de la biennale des antiquaires ou du PAD [salon d’art et de design]. Cette clientèle nous a manqué cette année.
Oui, la vente par Internet, que nous ne faisions pas auparavant ; on pouvait réserver mais non régler, car je suis très attachée au lien avec le lieu, qui plus est un lieu historique. Je me souviens de la réaction de mon propriétaire quand je l’ai appelé au premier confinement pour lui annoncer la fermeture de la librairie. Il m’a dit : « C’est impossible, nous n’avons jamais fermé, même pendant la Première Guerre mondiale ou la Seconde. » La fermeture des librairies a été une hérésie, pas seulement sur le plan de la survie des librairies, mais aussi par rapport à ce que peut représenter le livre quand on est contraint ou privé de ses libertés fondamentales.
L’obsession qu’ont les éditeurs de vouloir rester, pour les « beaux livres », à un prix en dessous des 40 euros. Ce n’est pas forcément une bonne manière de procéder. Il est beaucoup plus intéressant d’avoir, à côté de livres très accessibles, des ouvrages plus onéreux et plus esthétiques. Car il y a une vraie demande pour ce type de livres. Une édition plus sophistiquée avec des ajouts, des apports ou une exécution plus précieuse fonctionne à chaque fois au niveau de la clientèle. Un livre à 100, 150 ou 200 euros reste quelque chose de raisonnable. Ce n’est pas une voiture ou une robe du soir.
Depuis quelque temps, tout ce qui a trait à la décoration et au life style explose. La production de livres dans ce secteur est très importante et la demande ne s’infléchit pas. Plus on produit, plus on en demande et plus on vend. L’originalité de la production, quant à elle, est davantage liée au type d’éditeur qu’au secteur.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Danielle Cillien-Sabatier, une libraire face à la crise
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°557 du 11 décembre 2020, avec le titre suivant : Danielle Cillien-Sabatier : « Je suis très attachée au lien que le client peut avoir avec le lieu »