Ventes aux enchères

Vente Renault : la firme ignore le contrat moral passé avec les artistes

Par Anne-Cécile Sanchez · lejournaldesarts.fr

Le 30 mai 2024 - 736 mots

Christie’s s’apprête à disperser des œuvres acquises par Renault lesquelles n’avaient pas vocation à être cédées.

Depuis quelques jours, la presse s’émeut de la mise à l’encan par Renault d’une trentaine de chefs-d’œuvre de sa collection, signés Pierre Alechinsky, Arman, Jean Dubuffet, Sam Francis, Roberto Matta, Miro, Robert Rauschenberg, Niki de Saint Phalle, Antoni Tapiès, Victor Vasarely, etc … ainsi que deux ensembles de dessins d’Henri Michaux. 

Il resterait aujourd’hui 250 œuvres et un fonds photographique important (200 clichés de Robert Doisneau, mais aussi de Robert Franck et de Marc Riboud) dans cette collection, initiée à la fin des années 1960 par Claude Renard, collaborateur de la firme automobile, avec à l’époque, une forte ambition sociale concrétisée par l’institution d’un service « Recherches Art et Industrie ».

C’est ce que rappelle en introduction le catalogue édité par Christie’s à l’occasion de la vente programmée le 6 juin prochain. « Pendant près de vingt ans, l’objectif de ce service ne sera pas d’acquérir des œuvres pour diversifier les investissements du groupe (Renault), ou de se servir de l’art à des fins d’image et de promotion. L’esprit est tout autre : il s’agit de véritablement faire entrer l’art et les artistes contemporains dans l’entreprise ». On ne saurait mieux résumer l’esprit de cette collection « que cette vente aux enchères vient justement bafouer », souligne Maître Olivier de Baecque, avocat de Delphine Renard, la fille de Claude Renard. 

Plusieurs documents attestent d’un contrat moral passé avec les artistes. Les œuvres commandées ou acquises (à des conditions préférentielles) n’avaient pas vocation à être commercialisées. Une lettre manuscrite de Simon Hantaï datée de 1992 est notamment très explicite à ce sujet, évoquant « des œuvres autrefois cédées la Régie Renault sous la condition de leur inaliénabilité ».

Un grand mystère a longtemps entouré cette collection, déplore-t-on chez Renault. C’est un euphémisme : dans les années 1980, l’entreprise a souhaité mettre un terme à ses acquisitions d’art et a relégué les œuvres. « Il aurait suffi de s’adresser à n’importe quel musée pour sauver cette collection prodigieuse », observe François Barré, alors délégué aux Arts Plastiques et qui a été le témoin impuissant de ce « scandale étouffé ». Une partie des œuvres, déposées au sein d’une nouvelle association, l’Incitation à la Création, a ensuite été captée par le promoteur immobilier Jean Hamon devenu le président de l’IAC. 

Cette fois-ci, Renault a fait appel à l’agence Viarte pour l’accompagner, afin de « trouver une solution pour valoriser ce patrimoine sans peser sur les finances de l’entreprise », est-il expliqué en interne. Viarte propose, « à travers le prisme de la création artistique, des solutions inédites aux problématiques rencontrées par les décideurs dans les entreprises », peut-on lire sur le site Internet de cette agence peu connue et assez opaque : les onglets contact, projet et presse ne débouchent en effet sur aucune page d’information. Son compte Instagram affiche 153 followers et une trentaine de posts, le dernier date du 15 mars 2024. 

On sait simplement que la fondatrice de Viarte, Claudia Ferazzi, a été administratrice générale du Musée du Louvre (2011 à 2013), puis secrétaire générale de la Villa Médicis de 2013 à 2017. Entre 2017 et 2019 elle été conseillère Culture et Communication d’Emmanuel Macron. Son mari, Fabrice Bakhouche, est l’ancien directeur de cabinet de Fleur Pellerin au ministère de la Culture et de la Communication. L’agence a travaillé pour cette mission avec le marchand et influenceur du monde de l’art Stéphane Corréard

Pourquoi se séparer d’une partie des œuvres de la collection ? « L’ensemble du produit de la vente sera apporté à un Fonds de dotation pour l’art, ainsi que les 250 œuvres restantes, plus le fond de photographies. Ce qui rendra cette fois le cœur de collection inaliénable », affirme t-on chez Renault où l’on précise : « une trentaine d’œuvres sont la propriété d’une filiale de Renault en Suisse et ne pourront pas être apportées au Fonds en France ». Encore un mystère…
 
Si aucun recours légal ne permet de s’opposer à cette vente, celle-ci n’en mérite pas moins d’être dénoncée, souligne Delphine Renard dans une lettre envoyée à la presse ainsi qu’au ministère de la Culture. C’est sur ce point qu’elle entend alerter les possibles enchérisseurs. « Afin que les collectionneurs sachent ce qu’ils achètent ». Les restes d’une collection abandonnée et aujourd’hui démantelée. 

INFORMATION

La collection Renault, un temps d'avance (33 lots)
Vente le 6 juin à 17h chez Christie's
 
Henri Michaux dans la Collection Renault (30 lots)
Vente en ligne du 30 mai au 7 juin 2024

réaction

Lire la tribune signée par plusieurs artistes et ayants droit qui s’opposent à la vente Renault chez Christie’s

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