Un chef-d’œuvre de Chardin sous le marteau

Paris. Quatre fois par an, Artcurial organise une vacation consacrée aux maîtres anciens et du XIXe siècle. Pour ce premier opus 2022, la maison de ventes frappe fort puisqu’elle met en vente un tableau important du XVIIIe siècle français : le fameux Panier de fraises des bois peint par Jean Siméon Chardin (1699-1779). Expertisé par le cabinet Turquin, il provient de la collection Eudoxe Marcille (1814-1890). C’est la deuxième toile du maître à passer en vente en France en moins de six mois. Du jamais-vu. En novembre 2021, La Fontaine, provenant de la même collection Marcille, atteignait le chiffre record de 7,1 millions d’euros chez Christie’s Paris. Le précédent record remontait à 2013 avec La Brodeuse, vendue 2,9 millions d’euros chez Christie’s New York.

Exposé au Salon de 1761– où il passe inaperçu –, Le Panier de fraises des bois entre au XIXe siècle dans la collection de François Marcille, collectionneur averti qui va s’attacher à redécouvrir les grands maîtres du XVIIIe siècle français, de Watteau à Prud’hon. L’homme va accumuler plus de 4 500 tableaux dont une quarantaine de Boucher, une trentaine de Chardin et quelque vingt-cinq Fragonard. La collection est ensuite partagée entre ses deux fils, Eudoxe et Camille. Si l’œuvre n’a pas quitté cette prestigieuse famille depuis près de deux cents ans, elle n’est cependant pas inconnue du public. Régulièrement exposée et reproduite sur la couverture des catalogues consacrés à Chardin, la composition, d’une grande simplicité, a été célébrée par des écrivains tels Diderot ou les frères Goncourt, ainsi que par Pierre Rosenberg. Dans le catalogue de la grande rétrospective que le conservateur et historien de l’art consacre au peintre en 1979 à Paris – le Panier de fraises a été choisi pour la couverture –, il écrit : « Chardin s’est ici dépassé », « œuvre inoubliable », « Chardin, fuyant l’effet et l’éclat, avec une aisance et une assurance sans égale dans son siècle, crée, avec une déconcertante et apparente facilité, une de ses plus belles natures mortes. »

Grand maître du genre, même s’il est aussi connu pour ses scènes de la vie quotidienne et ses pastels, il a élevé la nature morte au rang de grande peinture. Il se plaisait à représenter des objets, des fruits mais aussi des animaux, comme dans le célèbre tableau La Raie, daté de 1728 et conservé au Louvre. Mais sur ses 120 natures mortes environ recensées, cette pyramide est unique en son genre. « La qualité de cette œuvre dépasse même le Panier de prunes du Louvreet le Verre d’eau et cafetière de Pittsburgh par son dépouillement, son intelligence dans l’ordonnancement des volumes et des masses colorées et la poésie qui s’en dégage », souligne l’expert Stéphane Pinta.

Dans ses compositions, l’artiste attachait une importance primordiale à la lumière et aux reflets, comme ici où les deux œillets blancs se reflètent dans le verre en cristal au premier plan. Ceci, et le rendu particulier des formes – floues de près mais qui se précisent à mesure que l’on s’éloigne de la toile – n’échapperont pas aux impressionnistes et peintres modernes.