La dispersion réussie d’une partie de l’atelier de l’artiste franco-chinois décédé il y a trente ans marque une première étape de sa redécouverte.
Paris. Le 5 avril, Artcurial mettait en vente 50 œuvres sur papier de T’ang Haywen (1927-1991). Celles-ci ont toutes été vendues, largement au-dessus de leurs estimations (très basses cependant, en moyenne 2 000 euros chacune), pour un total de 215 000 euros frais compris. Ce n’est pas encore l’exubérance irrationnelle du marché, mais c’est un début encourageant pour une œuvre dont le marché a longtemps été perturbé par une succession de mésaventures.
La succession de T’ang Haywen, justement, est à l’origine de ces problèmes. T’ang arrive à Paris en 1948, en provenance du Vietnam où sa famille chinoise s’est réfugiée, pour étudier la médecine. Il préfère plutôt être artiste et mène une vie de bohème. Lorsqu’il décède en 1991, il laisse un stock important d’œuvres non répertoriées, sans personne pour s’en occuper ; il n’a pas de galerie et a coupé les ponts depuis longtemps avec sa famille. Constatant la vacance de la succession, la justice fait réaliser un inventaire et confie une partie de la vente en 1992 au commissaire-priseur Yves-Marie Leroux. Pourquoi une partie seulement ? Parce que l’autre partie a été volée par les manutentionnaires de Drouot, les « cols rouges » qui avaient pris la fâcheuse habitude de se servir lors des inventaires. L’affaire a éclaté en 2009 et il fallu de longues années de procédures avant que les Domaines puissent mettre sur le marché le stock détenu par les « Savoyards », dont les 50 lots d’Artcurial.
Entre-temps, plusieurs autres affaires judiciaires sont venues compliquer le dossier. Elles concernent la titularité des droits patrimoniaux. Philippe Koutouzis, l’expert de la vente d’Artcurial, affirme avoir obtenu ces droits en 1995 auprès du frère de l’artiste qu’il a retrouvé en Chine. Plusieurs personnes contestent l’existence du frère, à commencer par le galeriste Enrico Navarra (disparu depuis), qui livre une bataille judiciaire sans merci à l’expert. Au terme de ces années de procédures, la justice déboute les différents plaignants demandeurs et reconnaît définitivement en 2018 la titularité des droits à Philippe Koutouzis.
Celui-ci n’a pas attendu 2018 pour consolider son expertise sur l’artiste, rassembler des archives, préparer un catalogue raisonné, établir des certificats d’authenticité… et lutter contre les contrefaçons. Car il semble que de nombreux faux T’ang Hayen circulent sur le marché, se réclamant de la provenance « Leroux » (la vente en 1992 du commissaire-priseur dont le bordereau était opportunément très incomplet). Très souvent, Philippe Koutouzis tombe sur le nom de Jean-Robert Pellotier, président d’un Comité T’ang Haywen, à l’origine de la mise en vente d’œuvres de l’artiste. Philippe Koutouzis a pu prélever un échantillon de papier d’une des œuvres litigieuses et le faire analyser par un laboratoire spécialisé – lequel a conclu que le papier datait de 2018, soit bien après la mort de T’ang…
Les Domaines ont confié à Philippe Koutouzis le soin de sélectionner les œuvres mises en vente chez Artcurial (d’autres vacations auront lieu) ainsi que les œuvres proposées à la donation au Musée Guimet. Le Musée national des arts asiatiques a depuis accepté la donation par les Domaines de 30 carnets d’étude, 650 dessins et 200 œuvres, et a promis d’organiser une exposition en 2024.
Cette exposition, le succès de la vente Artcurial, l’affermissement de la légitimité de l’expert, devraient permettre à la cote de l’artiste de continuer à grimper. Et il y a de la marge si l’on considère la cote de Zao Wou-ki et celle de Chu Teh-Chun, deux artistes français d’origine chinoise, de la même génération que T’ang mais aux parcours plus apaisés.
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T’ang Haywen sort lentement du purgatoire
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°609 du 14 avril 2023, avec le titre suivant : T’ang Haywen sort lentement du purgatoire