La création prochainement de ports francs à Luxembourg et à Pékin témoigne du rôle grandissant de ces plates-formes dans le marché de l’art.
Le 14 novembre 2012, le premier coup de pelle a été donné pour le port franc de Luxembourg, dont l’ouverture est prévue pour l’automne 2014. Sur près de 20 000 mètres carrés, la nouvelle infrastructure située à proximité de l’aéroport du Findel répondra à tous les besoins des collectionneurs et dépositaires : entreposage, emballage, encadrement, authentification, expertise, restauration, numérisation et bien entendu présentation des œuvres dans des « showrooms ». Sont visés les collectionneurs privés, mais aussi les musées et les fondations, qui ont de plus en plus recours à ces lieux, notamment celui de Genève, profitant ainsi de conditions optimales de stockage et de sécurité, ainsi que de frais d’assurance réduits. Les tarifs pratiqués à la location, de 250 à 700 euros le mètre carré pour une année, constituent enfin un argument de poids.
Mais avant d’être des lieux de stockage, les ports francs permettent des transactions multiples en toute discrétion et en franchise d’impôt. Celui de Luxembourg est la seule plate-forme au sein de l’Union européenne à bénéficier d’un régime particulier de suspension de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et des droits de douane. La TVA doit être normalement payée au moment de l’importation d’un bien au sein de la zone communautaire par son destinataire ou au moment de l’acquisition pour une livraison intracommunautaire. Les droits de douane doivent également être réglés lors de l’importation du bien. Le mécanisme du port franc permet alors de différer le paiement de ces deux taxes. En effet, en application de la loi du 20 juillet 2011, transposant la directive européenne 2006/112/CE, les œuvres d’art ne seront taxées qu’à la sortie de la zone franche de Luxembourg selon le taux en vigueur dans le pays de destination. Ce régime s’applique également à toutes les prestations de service réalisées dans le port franc sur les œuvres. Un même bien, qu’il soit d’origine intra ou extracommunautaire, vendu à de multiples reprises au sein du port franc, ne sera donc soumis qu’une seule fois à ces taxes.
Une « Bourse » de l’art
Géographiquement inséré au sein d’une place financière mondiale majeure, le port franc de Luxembourg a ainsi vocation à renforcer l’art comme valeur sûre de placement pour une clientèle européenne, russe ou du Moyen-Orient. La spéculation sur les œuvres, exonérée de toute taxation, pourrait permettre de créer à terme une véritable « Bourse de l’art », notamment sous la forme de prises de participation en indivision. Par ailleurs, la création de cet « art cluster » pour artistes, galeries, salles de ventes internationales, foires d’art internationales, devrait selon David Arendt, directeur général du site, permettre des collaborations singulières et la mise en œuvre de nouveaux moyens de financement et d’activité autour de la culture. « Ce port franc de nouvelle génération se situe à proximité immédiate d’un des premiers centres mondiaux de fret aérien, doté d’une base opérationnelle existante et très performante, dans une ville de 100 000 habitants riche de six musées et centres d’art », précise-t-il.
À certaines occasions, la richesse de ces coffres-forts situés en zone franche est révélée au public. Ainsi, fin 2011, le Kunsthaus de Zurich a présenté sous le titre « Miró, Monet, Matisse. The Nahmad Collection » près de cent chefs-d’œuvre issus de la collection privée de la famille Nahmad – parmi lesquels Le Petit Pierrot aux fleurs de Picasso –, conservés habituellement au port franc de Genève. Un tel événement s’inscrit dans la volonté de l’État helvétique de modifier son image peu flatteuse d’abri d’œuvres d’art issues de fouilles clandestines ou bien spoliées durant la Seconde Guerre mondiale. La Suisse a introduit en 2005 une loi sur les transferts de biens culturels (LTBC) qui permet de vérifier la provenance et la propriété de tous les biens culturels. Depuis 2009, les ports francs helvétiques doivent désormais fournir un ensemble d’informations particulièrement détaillées pour les marchandises dites sensibles.
Néanmoins, selon Laurent Wolf, critique d’art et journaliste au quotidien Le Temps, « le marché de l’art a toujours été un marché gris. Il le reste malgré les conventions internationales et autres réglementations qui tentent de le rendre transparent depuis une trentaine d’années. Les ports francs sont l’institution légale du marché gris. Ils sont donc aussi indispensables que la partie plus claire du marché — les galeries, les foires d’art et les sociétés de ventes aux enchères ». Et cela d’autant plus que ces plates-formes polarisent désormais l’investissement des principaux intermédiaires du marché de l’art et favorisent l’essor de foires internationales.
C’est en raison du savoir-faire helvétique que le projet du port franc de Luxembourg est mené conjointement par le Grand-Duché et la société suisse Euroasia, société mère de Natural Le Coultre, spécialisée dans l’entreposage et le transport d’œuvres d’art, également promoteur des ports francs de Genève, de Singapour et de Pékin. Natural Le Coultre est ainsi copropriétaire des 30 000 mètres carrés du port franc de Singapour avec le Comité national du patrimoine et le Conseil national des arts de la cité-État. Les États sont donc parties prenantes dans cette compétition internationale de valorisation des infrastructures nécessaires au développement des ventes d’œuvres d’art.
Entrée exclusive à Pékin
L’essor des ports francs en Asie est révélateur de la nécessité de rapprocher les œuvres d’art, délicates à transporter et à entreposer, de ces nouveaux marchés. Il l’est également de la concurrence entre Christie’s et Sotheby’s. Annoncée le 21 septembre 2012 par Sotheby’s, la nouvelle zone franche de Pékin constitue une première en Chine continentale. Au terme d’un accord de joint-venture d’une durée de dix ans signé avec une entreprise d’État, la maison de ventes new-yorkaise a marqué un point sur sa rivale. Dès mars 2013 elle bénéficiera d’une entrée exclusive sur cette place stratégique du marché de l’art, tant pour des ventes aux enchères que pour des ventes privées. Si Sotheby’s et Christie’s avaient déjà la possibilité de réaliser des opérations au sein du port franc de Hongkong, elles ne pouvaient pour l’instant vendre en Chine continentale, à moins de passer par un partenaire local. « Nous sommes dans une phase d’affrontement soft entre Christie’s et Sotheby’s, mais rien ne dit qu’elle le restera », souligne Laurent Wolf. Preuve en est, Singapour a prévu de doubler la superficie de ses entrepôts pour 2014, et Christie’s, qui dispose de 40 % de celle-ci, souhaite faire de même. Les ports francs sont bien devenus des outils stratégiques dans la mondialisation du marché de l’art.
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Port franc : un outil stratégique dans la compétition mondiale
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Abonnez-vous dès 1 €Projet du port franc de Luxembourg. © Fine Art NLC.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°383 du 18 janvier 2013, avec le titre suivant : Port franc : un outil stratégique dans la compétition mondiale