LUXEMBOURG
Le 17 septembre est inauguré, sur l’aéroport Findel au Luxembourg, un nouveau port franc. Cinquième port franc le plus important d’Europe, il est entièrement tourné vers l’art et son marché, voire vers les musées auxquels il entend apporter une solution pour leurs réserves.
Et si collectionner était une affaire de place ? Collectionneurs et institutions, privés ou publics, le savent bien : à un moment ou à un autre, tous se heurtent au problème du stockage. Car que faire des œuvres que l’on a passionnément acquises dès lors que l’on n’a plus la place de les exposer au public ou de les accrocher à son mur. Les revendre ? Pour les musées français, la question ne se pose pas, les collections étant inaliénables. Quant aux particuliers, s’ils peuvent s’en séparer, le faire n’est pas aussi simple, une œuvre s’inscrivant souvent dans l’histoire et la vie du collectionneur. La solution ? Acheter une toujours plus grande habitation ou bâtir de toujours plus grandes réserves. Sinon, investir dans des espaces de stockage, entrepôts plus ou moins chers et plus ou moins accessibles. Voire plus ou moins sécurisés.
Sécurité et traçabilité
Certains trouveront la réponse à leur problème au Luxembourg qui inaugure, le 17 septembre, un nouveau port franc en Europe dont la construction a été encouragée par l’État (qui met à disposition du gestionnaire Natural Le Coultre le terrain pour 30 ans renouvelables). Qu’est-ce qu’un port franc ? Ni plus ni moins qu’une zone de stockage située dans une zone franche, où les taxes ne s’appliquent donc pas. « Un paradis pour les spéculateurs et les gens qui ont des choses à cacher ! », diront les mauvaises langues qui remarqueront que les ports francs ne s’installent pas n’importe où : à Genève, Singapour, Monaco… et, aujourd’hui, au Luxembourg. Une insinuation que Paul Dühr, l’ambassadeur du Luxembourg en France, écarte d’un revers de main. Aux accusations de paradis fiscal, celui-ci préfère parler de « compétences acquises en matière de sécurité et de confidentialité » au moment où, rappelle son excellence, le Grand Duché s’engage à lever le secret bancaire. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, ne pouvant pas concurrencer ses voisins la France et l’Allemagne sur le terrain de l’industrie, le petit État investit dans les services, notamment dans la sauvegarde des données informatiques et, maintenant, dans un port franc.
« Je n’aime pas le nom de port franc qui a une connotation négative d’évasion fiscale, ce qui n’est pas le cas de notre projet », souffle David Arendt, le directeur général du site, qui lui préfère le nom de Freeport. L’ancien directeur financier a conscience de la mauvaise réputation que traînent ces structures qui serviraient de base arrière pour le trafic d’œuvres et d’antiquités et pour les spéculateurs plus soucieux de faire fructifier leur placement que la chose de l’art. « Les collectionneurs qui ont des choses à cacher, nous ne les voulons pas. Ceux qui veulent de la discrétion, en revanche, on les assume ! », se défend David Arendt qui précise que toute marchandise qui entrera passera d’abord par la douane. D’ailleurs, ajoute celui-ci, selon la loi européenne, tous les transitaires sont audités et inspectés : « Il y a en Europe une traçabilité qui n’existe pas en Suisse. »
Concurrencer Genève
De l’extérieur, le port franc ressemble à une forteresse imprenable de 22 000 m2 sur quatre étages avec des façades recouvertes de gabions (casiers remplis de pierres). À l’intérieur, les box sont maintenus à une température et une hygrométrie constantes. Tous sont ultra-sécurisés, certains possédant même une chambre forte à laquelle on accède par une antichambre. Côté services, le bâtiment offre un lobby de 700 m2 décoré par l’artiste portugais à la mode Vhils – les actionnaires du site, eux-mêmes collectionneurs, sont allés le chercher chez Magda Danysz –, où les clients pourront organiser des fêtes, des expositions privées, voire des ventes de gré à gré, ainsi qu’un service de restauration d’œuvres d’art. « Même le site n’a jamais connu de catastrophe naturelle ! », ajoute David Arendt dont le discours est ultra-rodé. Ces arguments, destinés aux propriétaires d’œuvres d’art, d’œuvres digitales, de métaux précieux, de vins fins, de bijoux, etc., visent bien sûr à concurrencer Genève. « Le port franc de Genève n’a pas été conçu pour l’art, souligne M. Arendt. Ce n’est qu’après la guerre qu’il a investi dans le stockage de biens de valeur. Au Luxembourg, nous sommes dès le départ au top en matière de sécurité et d’accueil. » La proximité avec l’aéroport – quelques dizaines de mètres – est d’ailleurs l’un des arguments de poids : quand il faut à l’aéroport de Genève charger ses biens de valeur sur des camions pour rejoindre le port franc, au Luxembourg, les marchandises sont directement déchargées de l’avion sur le quai du Freeport : « Ce qui élimine les risques liés à la manutention. »
Mais, pour certains, l’argument décisif ne sera ni la sécurité, ni les services proposés, mais l’exonération de la TVA. Car, « cerise sur le gâteau », reconnaît David Arendt, tous les biens qui entreront au port franc, comme toutes les prestations qui y seront effectuées (ventes d’œuvres, restauration…), bénéficieront d’une suspension de TVA qui ne sera réglée qu’à la sortie définitive de la marchandise. La législation prévoit même qu’une œuvre peut sortir temporairement pendant un an et un jour sans être taxée afin d’être prêtée pour une exposition en musée, en galerie, ou pour une foire. Sans être fiscal, le port franc a tout d’un paradis.
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Un port franc, nouveau paradis luxembourgeois
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Abonnez-vous dès 1 €Le Freeport, nouveau port franc du Luxembourg. © Bureau d’architecture 3BM3.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°671 du 1 septembre 2014, avec le titre suivant : Un port franc, nouveau paradis luxembourgeois